5 Innovations et implication locale.
Une conception nouvelle de la citoyenneté, c’est-à-dire du rapport des sociétés au pouvoir, émerge dans ces territoires : une citoyenneté participative, où la société civile souhaite reprendre un rôle actif dans les dynamiques politiques locales. Evoquer une nouvelle forme de citoyenneté émergente dans ces espaces périurbains ne veut cependant pas tout à fait dire évoquer une nouvelle forme de pouvoir.
Le rapport au pouvoir et au politique passe à travers les préoccupations territoriales. La majorité des entretiens révèlent chez les habitants une réelle préoccupation pour le devenir de leur territoire, ainsi que la conscience de la possibilité accrue d’agir à l’échelle municipale, ou locale.
C’est une réelle conscience du pouvoir contenu dans l’acte de voter/de se présenter, comme de celui détenu dans le cadre d’une association, pour le changement territorial.
L’innovation en matière d’implication dans le système social et politique local, réside en ce que la préoccupation territoriale est replacée au cœur des territorialités périurbaines, se posant en garante d’un mode de vie articulant mobilité spatiale et habitation d’un territoire local.
5-1 Le droit de regard territorial.
Il y a aujourd’hui un désintérêt politique, qui se manifeste notamment par une abstention électorale croissante, même à l’échelle locale, qui a pu être analysé comme une perte de sens de la citoyenneté. Les sociétés prennent conscience d’une transmission d’informations difficile entre populations et pouvoir, dans un contexte où les sociétés et les espaces sont intégrés dans des dynamiques agissant à l’échelle de l’agglomération au moins, de la métropole, voire du monde.
La commune conserve ici une originalité intéressante, car elle possède le pouvoir de gestion sur elle-même, d’autant plus importante relativement, qu’elle est justement intégrée dans des dynamiques globales sur lesquelles elle n’a que peu de prise. La quasi « autonomie » du pouvoir municipal pour des petites communes comme celles qui nous concernent fonde leur spécificité, et représente un atout considérable pour les sociétés qui y résident.
La proximité du pouvoir municipal et la possibilité d’une action locale via cette proximité font partie de la spécificité des territoires périurbains, et ne constituent cependant rien d’inédit : les conflits pour la maîtrise du territoire mettent en œuvre depuis longue date ce type de dynamiques confrontant des intérêts individuels agrégés ou contradictoires.
Les entretiens révèlent des préoccupations dont l’enjeu dépasse l’usage du sol ou l’équipement des communes. Le territoire considéré comme système social local, voire comme « communauté », et le devenir de ce territoire, deviennent objets de préoccupation et d’intérêt, d’action également. II y a volonté et revendication d’un droit de regard territorial, qui s’exprime par le vote local, la participation aux réunions du conseil municipal, aux réunions publiques de concertation, par la consultation des documents publics concernant la gestion de la commune.
Le simple fait de s’inscrire sur les listes électorales de la commune de résidence constitue un acte citoyen fort, tel qu’il est entendu en tout cas par les personnes interrogées. Cet acte est vécu comme moyen de montrer qu’ils « ne font pas que dormir ici, mais qu’ils y vivent vraiment ».
Même si quelques uns, encore une fois, « ne s’intéressent pas du tout à la vie communale », votent ailleurs parce qu’ils ne « sont pas d’ici », ou ne votent pas parce qu’ils « ne votent jamais », la majorité292 disent se sentir « concernés » sinon « impliqués » dans la gestion de leur commune.
Cela n’est pas incompatible avec un désintérêt ou une non-participation aux débats nationaux, ni avec une abstention aux élections législatives, présidentielles, européennes. Les préoccupations sont d’ordre local : l’investissement politique et/ou citoyen concernera ainsi la commune, le canton et à travers lui le département de l’Hérault.
«Je ne suis pas impliqué directement, parce que je n’ai pas le temps, et puis ça fait pas très longtemps que je suis ici. Mais, je vais à quelques conseils municipaux, je lis les panneaux d’affichage devant la mairie aussi. Je suis concerné par la gestion de la commune, tout simplement parce que j’y vis. » (Salarié Sanofi, 36 ans, Viols-en-Laval)
« Nous, on vote ici, même si on sait qu’on n’est que de passage. Il me semble que c’est normal, en fait ; vivre quelque part c’est s’intéresser un peu à ce qui s’y passe, et donc c’est voter. » (Couple correctrice, musicien, 29 et 34 ans, Notre Dame de Londres.)
« Je suis au conseil municipal. Mon mari est responsable du foyer rural. On avait envie de s’intégrer, de se sentir appartenir à ce village, quand on est arrivé (il y a 8 ans). S’intégrer en agissant dans la commune, ça a été une bonne solution. » (Couple salarié, institutrice, environ quarante ans, Valflaunès.)
Il y a conscience des droits et des devoirs associés au statut de citoyen, et la volonté d’assumer ce statut, dans le cadre du territoire local.
Les habitants périurbains se reconnaissent ainsi acteurs du devenir de leur territoire, conscients de « compter individuellement », par leur présence, leur parole, leur voix électorale. Ce droit de regard territorial est ainsi une exigence de regard, une exigence de transparence de la part des conseils municipaux : le devenir du territoire dans lequel ils vivent ne peut être « décidé en dehors d’[eux], qui y vivent ».
La participation, l’implication dans la vie locale servent ainsi spécifiquement l’individualité de chacun des acteurs. Elles sont avant tout une garantie de la conservation et/ou de la transformation de leur territoire, et de la constitution et/ou de la préservation d’un mode de vie articulant autonomie et appartenance. Les territorialités ambiguës des résidents trouvent ainsi une forme d’ancrage dans l’investissement local.
5-2 L’association territoriale : une action locale.
Par le biais des associations, ce droit de regard devient action locale. Ici, l’activité personnelle prend une forme spécifique, localisée, qui interagit fortement avec le territoire au sein duquel elle s’inscrit ou souhaite s’inscrire. Elle s’inscrit dans le cadre de projets collectifs portés pour la plupart par des nouveaux résidents.
Les associations, depuis les années 1970, sont partie intégrante de la vie sociale périurbaine. Depuis quelques années, une dynamique nouvelle semblerait naître : les acteurs associatifs ne se retrouveraient plus sur le mode d’un accord de volontés/intérêts individuels autour d’un thème - sportif, culturel, etc. - mais fonderaient davantage leur action sur une perception accrue de leur territoire et la volonté d’y participer.
Les projets associatifs naissent sur la base de cette volonté des acteurs de la société civile d’être acteurs du territoire local : ils visent à « changer le territoire », « préserver le territoire », « faire vivre le territoire », « créer du lien », etc.
Ces projets, non lucratifs, visent ainsi à créer du lien social et/ou à retrouver une cohérence territoriale. Leur action concerne trois types de projets :
_ l’organisation d’événements et de fêtes, de rencontres, visant à faire le lien entre nouveaux et anciens résidents.
« On vit ici, on ne se connaît pas, il fallait faire quelque chose. » (Présidente de la bibliothèque du Mas Londres, et organisatrice d’événements littéraires.)
_ l’animation d’associations communales ou intercommunales. Elles visent à la création et au développement de structures d’accueil, de services culturels le plus souvent, dans le souci de « faire vivre la commune ». Les municipalités aident souvent - au moins en leur fournissant un local - ces associations.
_ la défense/l’opposition à un projet territorial/environnemental dans le cadre de la commune, du canton, ou de la structure intercommunale (4 cas).
En 1996, l’A.V.R.A., Association Valflaunésienne de Réflexion et d’Action, a été créée à Valflaunès par deux nouveaux résidents, démissionnaires d’un conseil municipal majoritairement tenu par des propriétaires viticoles. Elle est née de ces deux démissions, que les deux personnes concernées justifient ainsi : « Localement, le retour des comportements du passé, le manque de transparence voire la dissimulation, l’attentisme, la suspicion, non seulement freinent les efforts novateurs, mais sont même une entrave à la bonne gestion au quotidien. Cet état de faits nous conduit à cesser nos fonctions. » L’association vise ainsi à « la défense de tous les aspects de la qualité de vie à Valflaunès, par la mise en place d’une structure fédérative de réflexion, d’observation et de vigilance, pour tout ce qui concerne le développement harmonieux du village et le maintien de son site exceptionnel. » Elle publie une journal d’informations bi-mensuel, qui présente, analyse et critique les différents dossiers concernant la commune (POS, gestion de l’eau, investissements, etc.) « en vue d’une gestion transparente, ouverte sur les habitants, avec des projets clairs, et une démarche de concertation ». La Présidente de l’Association déclare avoir créé l’AVRA pour « créer un aiguillon pour la mairie, informer les jeunes et ouvrir les yeux aux vieux ».
Des conflits émergent dans le cadre de ces projets, axés sur la différence de perception et de pratique du territoire. L’exemple d’un projet développé à Mas de Londres est représentatif. Une bibliothèque a été fondée par un groupe de nouveaux résidents, et fonctionne sur la base du bénévolat, dans un local prêté par la municipalité. Le projet avoué sous-tendant la création de cette bibliothèque, était « de faire le lien entre les anciens et les plus jeunes, entre les nouveaux et les autochtones ». A ce projet se greffent l’organisation de soirées, de lectures, une chorale, l’édition d’un petit journal d’informations relatives à la vie de l’association, etc. La démarche se heurte cependant à l’indifférence de nombre des habitants autochtones. En outre, l’association et le comité de fêtes municipal ne sont pas parvenus à fusionner ou à s’associer pour l’organisation d’événements communs. Cette association semble ainsi fonctionner - concrètement et symboliquement - pour ses membres fondateurs et un petit groupe de nouveaux résidents intéressés. La force évocatrice du projet pour ce groupe n’en est pas moins importante.
5-3 Une démocratie participative au service de l’individu.
Cette conscience de ses droits et devoirs vis-à-vis de la commune, qui constitue une forme d’implication locale est innovante en ce qu’elle réhabilite une démocratie participative293, et cela de plus en plus.
L’implication dans les processus de gestion territoriale est partie prenante des territorialités des résidents périurbains. Elle ne constitue en effet en rien un régression, mais participe des territorialités complexes des acteurs.
L’implication dans la vie politique locale constitue en effet en premier lieu une validation du statut de « citoyen acteur ».
La citoyenneté participative fonde un équilibre neuf entre pouvoir et sociétés, où le pouvoir fonde son efficacité sur la qualité de la transmission réciproque des informations. C’est un nouveau mode de rapport au pouvoir dans un contexte global où les pouvoirs nationaux ou supranationaux apparaissent de plus en plus lointains.
Elle est aussi une validation du statut de « citoyen territorialisé ».
Ainsi peut-être la gestion du pouvoir local des communes représente-t-elle un moyen d’articuler pouvoir et sociétés et de conserver une forme de citoyenneté, celle-ci conçue comme garante d’un territoire et d’un mode de vie articulant intégration dans la société globale et appartenance au territoire.
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