CHAPITRE 27 - Une simulation architecturale, aléatoire et universelle : la thèse de 1979
Lorsque, de son côté, en 1978, de Reffye décide de mettre en forme son travail de thèse, il n’a qu’à reprendre la méthode qu’il a développée lui-même auparavant, de manière il est vrai opportuniste et quelque peu bricolée, dans le contexte agronomique qui a été jusqu’alors le sien : 1- modélisation fractionnée ; 2- simulation spatiale ; 3- simulation aléatoire. Très vite, de Reffye sait qu’il peut ainsi atteindre le but qu’il s’est fixé : procéder à une simulation la plus réaliste possible visuellement et du point de vue de la botanique, au moins pour le caféier. Les critiques qu’il formule de manière circonstanciée, au début de son mémoire de thèse, à l’encontre des modélisations antérieures de l’architecture et la croissance des plantes ne rendent donc pas compte des idées motrices qui l’ont effectivement mené à la réalisation qui a été la sienne dans son travail de recherche. Ce ne sont pas véritablement elles qui l’ont conduit vers la solution informatique. Nous les donnerons donc à lire comme des critiques faites essentiellement a posteriori : en tant qu’ingénieur agronome, de Reffye ne connaissait pas la plupart de ces travaux de biologie théorique et de modélisation de la plante individuelle avant qu’il ait mis au point sa propre solution mathématique et informatique, en 1978. Ce qu’il faut en effet souligner fortement, c’est le fait que de Reffye n’appartient ni au milieu de la biologie théorique officielle qui commence à se structurer à l’époque en France, notamment sous l’impulsion de Pierre Delattre (1926-1985)1, ni au milieu des écologues ou biologistes modélisateurs qui, à l’INRA ou à l’ORSTOM, et sous l’impulsion de personnalités comme Jean-Marie Legay, se sont entre-temps regroupés, principalement autour des actions concertées de la DGRST, ainsi que nous l’avons vu.
Structuration et institutionnalisation de la biologie théorique en France
1975 - 1981
Au début des années 1970, la pratique théorique des formalismes mathématiques en biologie n’est pas reconnue en France comme une activité véritablement unifiée et structurée2. Les chercheurs concernés sont dispersés dans des laboratoires de médecine, de physico-chimie, de biochimie, d’histologie, de biophysique, de biologie mathématique ou de botanique3. À partir de 1975, cette activité va être progressivement reconnue et officialisée. Cette année-là en effet, le professeur Jean-Henri Maresquelle (1898-1977)4 de l’Institut de Botanique de Strasbourg fonde un club de discussion informel, et sans moyens propres, mais dans lequel il regroupe des collègues d’horizons très différents autour de thèmes interdisciplinaires comme « thermodynamique et biologie »1. Ce club portera son nom (« club Maresquelle de biologie théorique ») après sa mort accidentelle en 1977. Il réunit deux fois par an une vingtaine de chercheurs dans des locaux de la rue d’Ulm. À partir de 1980, Yves Bouligand, alors directeur du Laboratoire d’Histophysique de l’EPHE et rattaché au centre de Cytologie Expérimentale du CNRS d’Ivry-sur-Seine, reprend l’animation de ce club. En 1978, il avait déjà dirigé trois colloques sur le thème « La morphogenèse : de la biologie aux mathématiques »2. Derrière ces travaux dispersés, transparaît en fait la volonté commune de combattre l’hégémonie de la biologie moléculaire et de reprendre le flambeau de d’Arcy-Thompson en s’aidant des nouvelles mathématisations « dynamiques » issues de la physique (Prigogine), des mathématiques de la qualité issues de la topologie (Thom) ou encore des formalismes axiomatiques (Lindenmayer, Lück). En 1977, devant le succès certain de cet entreprise au moins au vu du nombre de chercheurs impliqués, le CNRS, en la personne de Michel Thellier, alors chargé de Mission auprès de la Direction des Sciences de la Vie, confie à Pierre Delattre l’organisation d’une Ecole de Biologie Théorique à insérer, au départ, dans le seul cadre de la Formation Permanente du CNRS. Le biochimiste qu’est Pierre Delattre travaille alors au Département de Biologie du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Parti de problématiques biochimiques de dosimétrie, au début des années 1970, il s’était illustré par des réflexions épistémologiques sur les conditions des transferts rigoureux de concepts de la physique à la chimie, et de la chimie à la biologie3. En 1978 et 1979, en prélude à la mise en place de cette Ecole de Biologie Théorique, il est chargé par le CNRS d’organiser à l’ENS, avec Michel Thellier, un colloque sur le thème « Elaboration et justification des modèles – Application en Biologie »4. En parallèle, il participe également aux travaux de l’ATP/CNRS (Action Thématique Programmée de la section Sciences Pour l’Ingénieur du CNRS) présidée par un économiste du CNAM, Jacques Lesourne5, et intitulée « Analyse des systèmes »6. À partir de 1980, d’abord grâce aux fonds de la Formation Permanente du CNRS, Delattre encadre donc les premières Ecoles7. En novembre 1981, est décidée la création de l’AMTB : Association pour le développement des Méthodes Théoriques destinées à la Biologie. Cette création se fait essentiellement dans le but d’offrir une structure juridique qui permette une diversification des financements, notamment venant de divers organismes publics mais aussi privés : le CNRS ne veut pas assurer à lui seul le financement de cette formation qui se trouve sur ce point en concurrence directe avec les formations en microbiologie et en génie génétique1. Il est hors de question pour le CNRS d’empiéter sur ces orientations prioritaires. On perçoit là un scepticisme évident de la part de ses instances dirigeantes.
Dans ce premier paragraphe, nous allons donc exposer et commenter les critiques successives que de Reffye est à même de faire dès 1979 face aux autres approches de la modélisation de la morphogenèse des plantes. Elles sont très précieuses pour notre problématique. Car, pour la première fois, elles vont nous permettre de mettre systématiquement en perspective tous les auteurs antérieurs, assez isolés, dont nous avons précisé jusqu’à présent les approches sans les voir véritablement converger les unes vers les autres ni aucune en particulier vers une méthode de modélisation à la fois universelle et opérationnelle.
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