Journal intime



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Mardi 18 février 1992 (23h.52)
J'ai donc décidé, à partir d'aujourd'hui, de tenir mon Journal à l'aide d'un traitement de texte et de le conserver dans l'ordinateur. C'est une expérience que j'avais envie de tenter depuis déjà quelques semaines, et je mets à profit la fin d'un cahier pour mettre ce projet à exécution. Rien ne m'empêche, après tout, si les résultats ne sont pas à la hauteur de mes espérances, de revenir en arrière et de reprendre l'écriture manuscrite, dès que j'en éprouverai le besoin. C'est que j'attends beaucoup de l'utilisation de cet outil. Outre une simplification des problèmes de stockage (malgré la nécessité d'effectuer des sauvegardes journalières pour parer à tout incident) et les facilités de recherche, je me sens plus libre de corriger, de déplacer des termes ou des membres de phrases, voire de réécrire des paragraphes entiers. C'est peut-être pour moi un nouveau démarrage et un tremplin pour une extension de l'écriture: même si l'instrument technique ne fait pas tout, il peut aider à surmonter certaines difficultés qui bloquent l'exercice d'une faculté qui ne demande qu'à être mieux exploitée.

C'est dans des circonstances un peu particulières que je commence la rédaction de ce Journal sous cette nouvelle forme. Joëlle est absente ce soir, retenue à Bellegarde par son travail, et, comme toujours dans ces circonstances, je suis rien moins que raisonnable. Minuit ont déjà sonné et je suis encore à ma table de travail. Si je le pouvais - mais je sais que mon organisme ne résisterait pas -, je ne me coucherais pas, tant je voudrais faire de choses. Il est vrai que ce soir j'ai rapporté du CIRTIL un nouveau logiciel permettant de dessiner avec l'ordinateur et le temps que j'ai passé à l'installer et à l'essayer ne m'a pas permis d'effectuer les tâches que j'avais inscrites à mon programme. Ce produit a ravi Blandine qui l'a étrenné et donc j'ai gardé la première réalisation. Pour ma part, j'y vois surtout la possibilité d'améliorer la présentation des états que j'imprime (logos, nouveaux types de caractères, graphisme...).

Cette soirée à donc été particulièrement perturbée et je suis bien conscient des bouleversements que l'ordinateur a introduits dans ma vie depuis trois mois. Tout n'est pas négatif, loin de là, dans ces changements, mais je suis de plus en plus dépendant de cette prolongation de mon esprit, outil génial qui transforme la vie, en bien ou en mal, selon l'usage que l'on en fait et l'attitude que l'on adopte à son égard. Actuellement, tout tourne pour moi autour de cette machine et, la nuit dernière, n'arrivant pas à dormir, j'ai encore pensé à de nouvelles applications possibles. Là non plus, cela ne résout pas tous mes problèmes, mais cela facilite ma tâche et satisfait mon goût du classement. En contrepartie, cela favorise ma tendance à la dispersion, et, comme je veux trop en faire, j'ai des difficultés à maîtriser tous ces logiciels que j'accumule. Il me faudrait toujours plus de temps...

A part cela, nous vivons nos dernières journées de formation, avec un groupe de cinq personnes auxquelles nous répétons une leçon que nous connaissons par coeur. Beaucoup de gens nous demandent, avec sollicitude, ce que nous ferons lorsqu'il n'y aura plus de formations à assurer.

Journée froide. L'hiver est loin d'être fini et la neige n'est pas loin.
Mercredi 19 février 1992 (19h.32)
Ce n'est pas toujours évident, lorsque l'on anime une formation, de gérer le temps. On a parfois le sentiment d'être en retard sur le déroulement normal d'une session et il suffit que l'on accélère un peu le rythme pour que la fin du programme soit atteinte avant le terme prévu. Or il n'y a rien de plus gênant que de plus savoir quoi dire à un public convoqué pour une durée déterminée. Il faut à tout prix trouver un thème, un sujet qui relance le débat, qui prolonge le travail entrepris, quitte à improviser des exercices ou des contrôles de connaissances. Cette fois, ce n'est pas un excès mais un défaut de temps dont nous avons été victimes. Il a fallu bâcler un peu la fin, d'autant plus que monsieur Béranger était obligé de partir à cinq heures moins le quart et que le taxi allait l'attendre. L'essentiel, c'est que, malgré tout, nos stagiaires étaient satisfaits et souhaitaient revenir à l'occasion de séances de recyclage ou de réactualisation des connaissances.

Pour la première fois depuis les événements de janvier Marie-Odile m'a téléphoné ce matin. La solution que j'ai proposée pour résoudre le problème qui bloque un traitement depuis deux semaines ne lui convenant décidément pas, elle a de nouveau contacté le centre de Valbonne qui l'a renvoyée vers nous pour que nous développions une procédure de correction. Pour ma part, je ne peux que transmettre la demande aux personnes chargées des études et, en premier lieu, à Lassonde, à qui appartient la décision. Danve et Le Goff ne semblent pas disposées à faire des efforts pour une ligne de matériel que Valbonne garde jalousement et dons nous avons pas la maîtrise. Lassonde, par contre, est plein de bonne volonté et semble décidé à sortir l'URSSAF de Mâcon de l'ornière. Nous verrons bien sur quoi cela débouche concrètement. Ce qui compte pour moi, c'est que le contact soit rétabli, même si cela a pour première conséquence de me donner un peu plus de travail.


Jeudi 20 février 1992 (20h.49)


Hier soir, j'ai fini la lecture de "Happy end", court roman de Manuel Vázquez Montalbán. Ce vagabondage à travers les mythes du cinéma américain de 1930 à nos jours est plus qu'un divertissement gratuit, un exercice de virtuosité. On se demande bien, tout au long de cette divagation irréaliste, où veut en venir l'auteur, mais les douze dernières pages abattent les cartes et annoncent la couleur de cette allégorie: "Je suis né trop tard...Toute épopée, tout lyrisme avaient été consommés...j'ai ouvert les yeux sur l'Histoire lorsque commençait à disparaître tout drapeau de la liberté.La liberté est un but lointain...Pendant très longtemps, le monde va cheminer sans horizon, les miroirs resteront aveugles, incapables de réfléchir des modèles.". Fin désabusée, ce qui ne surprend pas de la part du "père" de Carvalho, qui traduit toute une philosophie de l'Histoire et de la destinée humaine.
Vendredi 21 février 1992 21h. 00
Fin de la troisième session de formation "Contentieux", session qui fut plutôt un groupe de travail, car nous avons autant exploré, expérimenté et tâtonner avec nos stagiaires que nous leur avons appris. C'est que nos formations se spécialisent de plus en plus et que nous avons affaire à un public déjà au fait des problèmes. Il ne s'agit plus d'enseigner les rudiments, mais de chercher à aller plus loin. Or dans ce domaine, il faut se mettre à l'écoute des utilisateurs et se contenter de les guider dans la réalisations de leurs souhaits. Il semble que nous y ayons réussi, puisque, une fois de plus notre auditoire s'est déclaré très satisfait de ces quatre jours que nous avons passé à travailler ensemble et que tous les participants nous ont remerciés pour notre prestation.

C'est également la fin de notre programme de formation. Nous n'avons plus rien de prévu pour l'instant dans ce domaine. Je ne suis pas fâché de souffler un peu et de ne plus être soumis pendant quelques temps à ce rythme infernal qui ne permet pas de répondre à toutes les demandes que l'on nous soumet et encore moins de trouver du temps pour soi. Je sais bien que même sans formation à assurer nous ne manquerons pas de travail et que certaines journées seront aussi harassantes parce que hachés et sans la compensation des contacts avec l'extérieur. Mais j'espère pouvoir me retrouver un peu et diversifier mes activités. Je ne doute pas de toutes façons que nous finirons par reprendre nos cours - sous la même forme ou sous une autre, et il faut souhaiter que la période de relâche ne se prolonge pas trop longtemps.



Joëlle semble fâchée ou soucieuse, en tout cas perdue dans ses pensées et assez loin d'ici. Il est vrai que l'ambiance à son travail n'est pas spécialement réjouissante et que cela peut rejaillir sur l'humeur. A moins qu'il y ait autre chose dont elle ne veut pas parler.
Samedi 22 février 1992 (22h.07)
Joëlle a fini par m'expliquer les raisons de son humeur sombre et de son esprit absorbé. Ayant décidé, après nos disputes au sujet de Marie-Odile, de ne plus mettre de barrières à d'éventuelles aventures et ne se sentant plus tenue à une fidélité qu'elle considère que j'ai rompue, elle a fait, m'a-t-elle dit, une rencontre qui est en train de prendre pour elle une place de plus en plus grande. Comme elle ne veut pas qu'il y ait de mensonges entre nous, du moins de son fait, elle a tenu à m'en informer, sans me donner, d'ailleurs, d'autres détails qu'elle juge superflus voire nuisibles. Nous sommes donc maintenant libérés, par sa décision unilatérale et sans appel, de nos engagements mutuels. Ainsi donc, pour une amitié que je n'ai pas réussi à conquérir, je me retrouve délaissé. Je pourrais me résigner à l'événement, si je ne connaissais le caractère extrême de Joëlle. Je l'imagine mal se partageant entre un mari auquel elle resterait matériellement liée et un amant qu'elle ne pourrait voir que dans le cadre de son travail ou des rares instants de loisir dont elle peut disposer actuellement. Je crains que le "modus vivendi" qu'elle prône ne soit qu'une phase transitoire et que l'évolution de ses relations avec cet inconnu qui vient de faire irruption dans notre vie ne finisse par déboucher sur une rupture totale. Je ne peux rien faire d'autre que d'attendre la suite des événements et de surveiller l'évolution de nos relations, mais j'ai le sentiment que nous sommes en train de gâcher quelque chose et, cette fois-ci, de façon irrémédiable.
Dimanche 23 février 1992 (20h.39)
Blandine est partie ce matin, pour la semaine, accompagner son club d'équitation à Saumur. Son absence m'attristerait, si mon affection pour elle pouvait s'exprimer. Mais sa froideur et les barrières qu'elle met entre nous sont telles que je suis bien obligé d'étouffer en moi les sentiments très forts que j'éprouve pour elle et dont l'intensité la hérisserait, si elle en avait la révélation. Ce qui ne l'empêche pas de faire chorus avec sa garce de soeur Yaël pour dire que je n'ai rien à faire d'elles et encourager Joëlle à mener sa vie sans tenir compte de moi. J'ai beau savoir que ce besoin d'affirmer son indépendance est propre à l'adolescence et que j'ai la chance de ne rien avoir d'autre à lui reprocher, toutes ses qualités ne me la rendent que plus chère et plus difficile à supporter cette obligation de réserve qui m'interdit de la serrer dans mes bras comme j'en ressens le désir. Et c'est de là que vient ma tendresse pour Aline, qui n'a ni son charme physique ni ses dons intellectuels, mais qui, pour l'instant, reçoit plus volontiers mes caresses et mes baisers. Mais ceci est une autre histoire...

La perspective d'une semaine à passer sans Blandine me réjouit d'autant moins que cela veut dire que je vais me retrouver seul avec une épouse de plus en plus lointaine et même parfois imperceptiblement hostile. Elle répondrait sans doute que ce sont des idées que je me fais, mais il n'y a pour moi aucun doute que son attitude a beaucoup changé, sauf au lit, ce qui est heureux, mais ne va peut-être pas durer. Je sais bien qu'elle me rétorquerait qu'il est maintenant un peu tard pour déplorer qu'elle s'éloigne après l'avoir délaissée pendant tant d'années. C'est l'éternel débat qui a empoisonné nos relations depuis fort longtemps. Qui a raison, qui a tort? Chacun et tous les deux, sans doute, car nous ne pouvions pas réagir autrement qu'avec notre tempérament et le poids de nos (in)expériences. Pour elle, j'ai eu tort de ne pas mieux montrer mon attachement; pour ma part, je lui reproche d'avoir trop exigé de moi et de ne pas m'avoir en contrepartie apporté ce que j'attendais d'elle. Nous avons toujours été en déphasage ou, pour parler un langage plus moderne et plus imagé, à côté de la plaque. Nos besoins affectifs et intellectuels n'étaient pas en accord et chacun de nous a constamment été frustré, persuadé qu'il n'était pas payé de retour sur le plan où il portait ses efforts et sur lequel, de ce fait, il attendait le plus. Oui, certes, il est trop tard pour refaire une histoire qui, de toutes façons, ne pourrait se réécrire qu'avec les mêmes mots qui sont ceux de nos errances et de nos carences. Avec ses principes actuels, Joëlle estimerait sans doute que, si j'ai raté ma vie et que j'ai échoué dans toutes mes relations avec les autres, c'est de ma faute et que je dois en chercher les causes en moi: si je n'ai pas d'ami(e)s; si mes filles se méfient de moi, si ma femme me quitte, c'est qu'il y a en moi quelque chose qui me voue à l'échec et condamne d'avance les efforts que je fais pour aller vers les autres. C'est possible, mais cela relève du même raisonnement que nous dénoncions naguère et qui condamnait les alcooliques en leur reprochant de ne pas avoir la volonté de se sortir de leur misère.

Après le départ de Blandine, nous sommes montés à Bergesserin, où la "tatan" a réintégré sa maison après un mois et demi de convalescence à la maison de repos du sanatorium. Elle ne se déplace désormais qu'avec des béquilles ou un cadre de soutien, mais son état général est on ne peut plus satisfaisant. Elle se plaint bien d'en être réduite à cette semi-invalidité, mais dans le fond, elle est bien contente d'être là et n'a pas perdu sa bonne humeur. Brigitte et Fernand, tout en déplorant qu'elle refuse de prolonger son séjour au sanatorium, n'ont pas ménagé leurs efforts pour aménager son cadre de vie et lui donner tous les moyens de se débrouiller seule. Ils refusent cependant de se laisser accaparer et demandent à ce que, passé un délai d'acclimatation et de récupération, elle assume son choix et se prenne en charge. C'est une attitude raisonnable et qui a le mérite de la franchise et de la clarté.

La journée a été très belle. Le froid est maintenant tout à fait supportable et, si mars ne nous réserve pas de mauvaise surprise, nous n'aurons pas, n'en déplaise à ma mère, à nous plaindre de l'hiver.


Lundi 24 février 1992 (20h.17)


Longue discussion hier soir avec Joëlle. Je lui dis en substance ce que j'avais écrit ici quelques instants auparavant. Et je lui reproche d'appliquer dans les relations humaines des méthodologies qui évoquent trop pour moi les recettes de succès à l'américaine. C'est une philosophie de gagnants qui rejette les faibles en les enfermant dans la responsabilité de leurs difficultés. Que la source de nos problèmes soit en nous, cela est en grande partie vrai, mais ce n'est pas en sermonnant l'imprudent qu'on le sauve de la noyade. Ce que j'attends d'elle ce n'est pas le langage des amis de Job sur son fumier.

En outre, cette attitude qui s'efforce de résoudre tous les conflits et les tensions internes tend, à mon sens, à nier le fondement de la personnalité. Non que je soutienne qu'il faut cultiver notre mal-être, mais je me méfie de tout ce qui aboutit, plus ou moins volontairement, à imposer une norme et à aplanir les rugosités de l'âme. Que seraient nos plus grands artistes sans leur névrose? Que resterait-il de Van Gogh, de Proust ou de Mahler après un traitement psychologique qui eût résolu tous leurs drames? Et si l'on pouvait en escompter pour eux un supplément de bonheur, cela eût été au prix d'une diminution d'âme. Je sais bien que ne suis pas un génie et il m'a bien fallu admettre que je ne serai jamais un écrivain, ce dont je ne me remettrai jamais. Ce n'est pas pour autant que je suis prêt à renoncer à toutes ces erreurs, déviations et déséquilibres qui ont, strate après strate, composé ma personnalité.

Mon drame, ce n'est pas ma différence, c'est de ne pouvoir la faire accepter. Ce qui me pèse, c'est de ne pouvoir me confier, parler librement et me montrer tel que je suis. Ces relations factices où nous sommes obligés de jouer un rôle et où les confidences intimes sont instantanément étouffées m'indisposent. Et ce qui me plaît tant chez Guibert, c'est sans doute cette sincérité qui fait fi de toute bienséance, au point de verser parfois dans la provocation. Mais la provocation, c'est la sincérité poussée jusqu'au mensonge, et c'est ce qui me séduit aussi chez Gainsbourg: se montrer plus noir que l'on est pour être sûr, à fortiori, d'être accepté. Aller jusqu'au limite de l'acceptable, au risque de s'y perdre, pour découvrir qui a consenti à vous suivre jusqu'au bout du chemin.

Comme nous étions en veine de confidences, j'ai avoué à Joëlle ce qui s'était passé avec Marie-Odile, ce malentendu tragi-comique, l'échec de ce rêve d'amitié et la source de mon pessimisme et de ma désillusion quant aux relations humaines. Je lui ai tout dit de nos échanges épistolaires, de son attitude inqualifiable pendant un mois et de toutes ces énigmes que sa réponse laisse planer à jamais.


Mercredi 26 février 1992 (20h.52)


Hier soir, nous sommes allés voir "l'Amant", le film que Jean-Jacques Annaud a tiré du roman de Marguerite Duras. J'ai l'avantage (ou le défaut) d'oublier rapidement les livres que je lis. Je n'ai conservé du texte de Marguerite Duras que le souvenir d'un style fascinant et d'une atmosphère envoûtante. De l'intrigue, je ne garde qu'une réminiscence plutôt confuse. Cela me libère de la tentation de comparer l'oeuvre littéraire et sa réalisation cinématographique. Cependant, une chose est certaine: le langage de l'écrivain et celui du cinéaste sont d'essence différente. Certes la voix de Jeanne Moreau est là pour nous rappeler qu'il s'agissait d'abord d'un roman, mais tout ce que l'écriture suggérait, évoquait sans le recréer, l'image nous le montre, lui donne une vie univoque qui n'est ni la réalité vécue par l'auteur, ni la représentation que le lecteur s'en fait. Le charme qui en émane ne peut donc être le même. Là où nous étions subjugués par l'art capable de susciter l'émotion à travers la seule magie des mots, nous nous retrouvons immergés dans une histoire que nous avons l'illusion de vivre et dont la réalité s'impose à nous. Ce que le récit perd en valeur universelle, il le gagne en intensité.

Jean-Jacques Annaud a fait là un très beau film, n'en déplaise à ses détracteurs et à la romancière elle-même. Peut-être, pour le goûter pleinement, faudrait-il oublier Duras, savourer les images pour elles-mêmes et suivre cela comme un feuilleton, comme un récit exotique et sentimental, une sorte de "Madame Butterfly" à l'envers. C'est une oeuvre romantique alors que le roman d'initiation de Marguerite Duras refusait l'attendrisssement, à l'image de cette enfant cruelle et impitoyable.


A midi, j'avais, pour la première fois, rejoint Joëlle à Pierre-Bénite et nous sommes allés déjeuner dans un petit restaurant à Oullins. Aujourd'hui, j'ai mangé à Saint-Fons avec ma mère, ce qui n'avait pas dû m'arriver depuis plus d'un mois.

Depuis lundi matin, monsieur Henry est hospitalisé. Cela faisait près d'un mois qu'il traînait ce qui s'est avéré être une angine et, comme il ne s'est pas soigné correctement, il s'est trouvé bientôt incapable de prendre le dessus. Samedi, il a fait appel à monsieur Declat, qui, avec monsieur Magnol, l'a conduit à la Polyclinique du Tonkin. Ils l'ont trouvé faible et amaigri, abattu par une forte fièvre. Pendant la semaine où nous le croyions parti en vacance, il a dû rester au fond de son lit, s'alimentant peu ou mal. Il a été placé sous perfusion et soumis à un traitement d'antibiotiques puissants. Il ne reste plus qu'à attendre le résultat des analyses et à souhaiter que sa robuste constitution lui permette de se ressaisir rapidement. Cette maladie survient à un mauvais moment, car il y aurait bien besoin de sa présence pour remettre de l'ordre dans un CIRTIL où tout va à vau-l'eau: plus de réunions de cadres, donc plus de concertation; une avalanche de demandes d'intervention de la part de l'URSSAF de Lyon, sans contrôle ni suivi. A son retour, une sérieuse reprise en main s'imposera.

Jeudi 27 février 1992 (21h.25)
Nul doute que cela devient de la folie: je me suis lancé dans des dépenses inconsidérées et des opérations d'envergure auxquelles un tempérament moins impulsif m'aurait peut-être fait renoncer. Je reste pourtant lucide et je suis le premier à me rendre compte de la place excessive que la passion de l'informatique personnelle est en train de prendre chez moi. Mais cela correspond tellement à mon caractère que les joies que je retire de mon ordinateur dépassent de loin les satisfactions que l'on retire habituellement d'un passe-temps. Je me sens enfin à l'aise, persuadé de réaliser quelque chose auquel j'imprime ma marque, investi d'un but et du sentiment d'être capable de l'atteindre.

Dans une même journée, j'ai commandé une nouvelle unité de disquettes et une carte d'extension mémoire, et j'ai acheté la nouvelle version du système d'exploitation. En même temps, je viens de recevoir mon inscription à une association d'utilisateurs d'ordinateurs et il s'en est fallu de peu que je ne prenne livraison de l'adaptateur minitel pour mon organiseur. Il me manque encore le même adaptateur pour l'Amstrad et deux logiciels que j'avais commandés il y a bien un mois. Autant dire que je suis dans l'informatique jusqu'au cou et que cela n'est pas près de finir.


A midi, Joëlle est venue me rejoindre à l'URSSAF et profiter de la paella. Nos relations sont actuellement idylliques. C'est presque une lune de miel. Les dissensions semblent oubliées et il ne nous manque plus que de trouver une activité commune pour renouer le dialogue. Je crains bien que l'informatique ne puisse remplir ce rôle, car malgré quelques velléités de s'initier à cette technique, Joëlle est toujours très réticente vis-à-vis de ce qui lui semble une occupation dénuée de toute élévation culturelle. Elle a beau être persuadée qu'il devient de plus en plus indispensable de maîtriser ces outils et qu'elle ne pourra, dans le cadre de son travail, échapper à leur emprise, elle n'y touche que du bout des lèvres, comme si elle redoutait un peu leur caractère maléfique. En ce qui me concerne, elle se préoccupe de me voir passer des heures assis devant mon écran et craint autant pour mes yeux que pour mon dos, mes deux points fragiles. Les écrans l'effraient, alors que moi, qui les utilise depuis des années, je suis convaincu qu'ils n'ont pas plus d'effets nocifs que les multiples agressions auxquelles est soumise notre rétine. Bien sûr, si je lui avoue qu'actuellement je sens ma vue fatiguée et souvent un peu trouble, elle ne manquera pas d'en attribuer la cause à cet usage immodéré de l'ordinateur. Quant à mon dos, il est vrai qu'il conviendrait mieux pour lui que j'aie des activités moins sédentaires, mais j'aurais de la peine à me corriger et je n'ai pas attendu l'arrivée de mon ordinateur pour passer trop de temps assis à mon bureau.

Ces problèmes de santé sont pourtant bien de nature à susciter quelque inquiétude, quand on voit autour de nous le nombre de personnes atteintes de maladies, accidents ou perturbations invalidantes. Nous arrivons à un âge où l'équilibre physiologique devient souvent précaire et où les calamités ne sont pas un vain mot. Même de plus jeunes ne sont pas à l'abri de ces maux qui peuvent, du jour au lendemain, faire basculer une vie et introduire le drame dans une famille. Nous nous sentons parfois bien fragiles et menacés, et nous prenons alors conscience du peu que nous sommes, fous qui nous croyons immortels et triomphants.

Vendredi 28 février 1992 (22h.19)
J'ai tellement emmagasiné de logiciels de toute sorte que je ne sais plus où donner de la tête. Je retombe, avec mon ordinateur, dans les mêmes travers que jadis, à savoir que je me disperse entre tous les thèmes qui me sollicitent et que je pars à la fois dans toutes les directions. Au lieu d'approfondir un à un chaque programme en ignorant provisoirement tous les autres, je voudrais tout connaître et j'essaye d'appréhender d'un coup d'oeil rapide toute la complexité des problèmes. Monsieur Sanlaville, de l'URSSAF de Lyon, m'ayant fait part, lors de nos rencontres à propos du SNV2, de son intérêt pour la micro-informatique, j'ai commencé d'échanger avec lui des logiciels et il m'a remis, ce matin, un programme permettant de dessiner des ordinogrammes. La disquette de l'association OUF contient un excellent utilitaire de visualisation. Enfin, l'installation de la nouvelle version de système d'exploitation m'a apporté de nouveaux traitements et de nouveaux langages. Tout cela nécessite un apprentissage qui prend beaucoup de temps. Joëlle n'a pas tout à fait tort de dire que je ne fais plus rien d'autre que de l'informatique. Mais, si je veux arriver à quelque chose, il faut bien que je m'investisse dans cette étude, en espérant qu'un jour je serai payé de retour. J'ai beaucoup avancé en trois mois: j'ai beaucoup appris, beaucoup réalisé et je crois qu'il n'est pas exagéré de dire que j'ai mis dans ma machine un supplément d'âme. Le tout, c'est de savoir s'arrêter et d'être capable de déclarer, le moment venu, que l'on n'ira pas plus loin et qu'il faut profiter de ce que l'on a acquis avant de rechercher du nouveau. Mais ai-je su un jour m'arrêter? Et, dans ce domaine, le problème c'est que tout évolue très vite et que l'on est constamment dépassé.


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