À l’heure de la révolution numérique et de la rigueur budgétaire, comment penser l’avenir des interactions ESR / territoires des villes moyennes ?
Gilles BAILLAT, président de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, et président de la commission "Vie étudiante et questions sociales" (bientôt "Ville et campus") de la Conférence des présidents d’université (CPU).
L'Université de Reims (25000 étudiants) est installée sur cinq villes, dont trois villes moyennes (comprises entre 25000 et 50000 étudiants).
Depuis les années 1960, les universités ont participé de fait à l'aménagement du territoire, en créant des départements d'IUT, puis des antennes universitaires, puis plus récemment se sont appropriés les ESPE : au total, 120 sites ESPE en France, 150 sites IUT en France, donc le rapport des universités au territoire ne se réduit pas aux métropoles.
Qu'est-ce qui fondait cette époque des années 1960 au milieu des années 2000 ? Les Universités sont des agents de service public et doivent viser la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur.
Récemment, deux facteurs ont modifié radicalement la donne :
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La loi LRU de 2007 et le passage aux compétences élargies des universités (2009-2011 suivant les universités),
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Les Universités deviennent des acteurs responsables, des opérateurs autonomes de l'Etat, des stratèges qui opèrent des calculs : aujourd'hui, elles sont responsables des ouvertures et des fermetures dans les sites de VM.
Pour lui, le territoire peut être un atout pour faire venir les étudiants à l'Université : "si je ne vais pas aux étudiants, les étudiants ne viennent pas à moi".
La société de la connaissance, L'économie du savoir renforcent l'importance de l'université associant la recherche et la formation. Les emplois de demain dépendent de plus en plus de systèmes générateurs d'innovation. Pour les territoires, le développement du territoire incorpore de plus en plus comme pièce essentielle ce que peut faire ou ne pas faire l'université qui a la particularité d'associer la formation et la recherche.
Quelles sont les conditions d'un gagnant-gagnant ? Les universités ne sont pas financées au titre de leurs missions déterminées par la loi pour de l'aménagement du territoire, mais les universités peuvent trouver intérêt à aller à la rencontre des étudiants, des entreprises (insertion professionnelle, formation professionnelle, transfert des résultats de la recherche), des collectivités (subventions).
L'université est une compétence des collectivités territoriales, et il est problématique qu'il y a ait une compétence exclusive des Régions en application de la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) d'août 2015. Si on considère que c'est de la seule compétence de l'Etat, il y aurait environ 12/13 universités en France. Pour les collectivités, il est important de ne pas considérer comme une dépense mais comme un investissement. Il cite l'exemple de Chalons en Champagne : avec l'argent du contrat de reconversion des sites de la défense, la réflexion des élus a été d'anticiper sur le devenir de la ville à horizon 2030/2040, l'essentiel du contrat en direction de l'ESR.
Aujourd'hui, il faut penser en termes d'écosystème dynamisant pour l'ESR et pour les villes moyennes. Pour cela, il y a trois conditions :
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La masse critique : pour le modèle économique, il faut un minimum de 500 étudiants (en dehors des autres formations) sur un site (pour l'Ile de France, 1000 étudiants), la question étant comment ouvrir d'autres formations permettant d'atteindre ce seuil.
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La lisibilité passant par la différenciation et une politique de niches : ainsi à Charleville Mézières, dans les Ardennes qui représentent 40% des exportations des fonderies de la France, avec un accord avec les collectivités et les industriels, est développée une chaire qui a vocation à porter une filière d'ingénieurs. A Chaumont (25000 habitants), dans la Haute Marne département qui perd 1000 élèves par an, 500 étudiants demandent à s'inscrire dans une licence pro "arts graphiques" (500 étudiants) adossé à un équipement municipal (musée de l'affiche)
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L'environnement propre à la vie universitaire : restauration (CROUS), logement étudiant, sports, équipements (de la responsabilité entière des collectivités territoriales), plus largement la qualité de vie (pour les étudiants, l'expérience étudiante est une expérience de vie), l'importance de l'image (exemple d'Avignon et de son Festival), de marqueur d'identité. Pour la CPU, ce qui va différencier les universités en termes d'attractivité, c'est la vie des campus.
Gilles CRASPAY, vice-président de l’Association des Villes Universitaires de France et représentant Villes de France.
Il n'est pas sûr qu'il y ait un point de vue homogène du côté de ces associations, compte tenu de la diversité des situations.
Dans le cadre d'un tropisme pour l'"universitarisation" actuelle, il convient de préserver une certaine diversité française (BTS, école d'ingénieurs…) et la question est de savoir comment on fait vivre ce vivier.
Même si la formation est un investissement, pour un président d'université, c'est un coût dont le différentiel peut être pris en charge par les collectivités.
La niche est un élément de pointe, mais il convient ne pas s'y enfermer pour l'implantation de formations post-bac ou de la recherche : une niche d'aujourd'hui n'est pas forcément une niche de demain (exemple de l'avenir de l'aéronautique). Il faut utiliser la niche d'aujourd'hui pour envisager une modification de l'environnement de demain.
Comment les collectivités locales peuvent aujourd'hui investir dans l'enseignement supérieur et la recherche ? G. CRASPAY fait part de ses inquiétudes. D'une part, la loi Fiorasso met en place des COMUE qui signent des contrats de site avec l'Etat, ce qui va marginaliser les sites secondaires et cela se fera au détriment du volet territorial et des villes moyennes. D'autre part, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), au travers de la fin de la compétence générale pour les Départements, ne va plus permettre à ceux-ci de financer l'ESR. Or les Régions, surtout élargies, connaissent un problème de proximité pour déterminer l'avenir et le choix des formations dans les sites secondaires. On assiste actuellement en Midi Pyrénées à un choix des projets par le conseil régional en lien avec les établissements, laissant de côté les collectivités infra-régionales, et à la prise des maîtrises d'ouvrage par le conseil régional (incitée par la participation minimale du maître d'ouvrage fixée à 30 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques, selon la loi MAPTAM). Ceci s'ajoutera à l'impossibilité de compléter par les Départements les financements des CPER qui connaissent une baisse de dotations pour les investissements universitaires.
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