Les conqutes des technologies de reproduction de la musique ont ainsi radicalement transformŽ la perception individuelle et collective des phŽnomnes musicaux. Ces conqutes ont permis des progrs incontestables. La musique est dŽsormais accessible ˆ tous les individus susceptibles d’acquŽrir les supports matŽriels les dispensant de la ma”trise des codes de la partition. Les supports de reproduction ont tŽmoignŽ de progrs constants puis exponentiels dans leur fidŽlitŽ, leur durŽe d’Žcoute, leur facilitŽ de conservation, de manipulation et de transport. La totalitŽ des matŽriels et supports musicaux s’est adaptŽe aux styles de vie et de travail de la majoritŽ des consommateurs potentiels des pays dŽveloppŽs. L’ensemble de ces conqutes technologiques ont transformŽ les dimensions mmes du marchŽ de la musique et mis en Žvidence la diffŽrence de nature entre le nombre potentiel limitŽ des spectateurs de musiques reprŽsentŽes et le nombre virtuellement illimitŽ des auditeurs de musiques reproduites.
I.3. La musique en Žconomie marchande
Ces conqutes technologiques ont transformŽ la musique, qui Žtait une activitŽ artisanale, en une industrie produisant des biens manufacturŽs en sŽrie, c’est-ˆ-dire uniformisŽs et standardisŽs, dans le but d’en faire baisser les cožts marginaux.
A l’heure de la domination du stade industriel, la production et la consommation de musique sont distinctes dans l’espace et le temps. Il en rŽsulte une libertŽ, totalement nouvelle pour le consommateur, de choisir le genre de musique qu’il souhaite Žcouter, ainsi que le moment, le lieu, la durŽe et la frŽquence de ses actes de consommation musicale. L’Žcoute est extensive, continue, quotidienne, au risque d’une banalisation et d’une audition concomitante de la pratique d’autres activitŽs dont tŽmoigne la femme au foyer, cible prŽfŽrŽe des radios pŽriphŽriques. L’Žcoute ˆ domicile des supports Žlectroniques permet ˆ l’individu de Ç butiner È dans le pot commun de la musique sans hiŽrarchie des urgences personnelles et des donnŽes esthŽtiques. La disponibilitŽ vingt-quatre heures sur vingt-quatre d’un environnement musical o piocher constitue la musique en un stock ˆ domicile, ˆ faible cožt, ˆ l’Žgard duquel l’implication personnelle se rŽduit souvent ˆ l’acte consistant ˆ presser une touche.
L’analyse macro-Žconomique introduit une dichotomie essentielle dans les activitŽs musicales. Dans le secteur marchand soumis ˆ la rationalitŽ Žconomique, le marchŽ dŽcle la possibilitŽ de production de masse et d’Žconomies d’Žchelle permettant de fixer un prix de vente accessible au plus grand nombre. Dans le secteur non marchand, le prix de revient du produit est trs supŽrieur au prix de vente raisonnablement attendu compte tenu du nombre de consommateurs potentiels. Cette dichotomie macro-Žconomique recoupe largement la dichotomie du lieu de consommation des phŽnomnes musicaux, puisque les produits musicaux consommŽs ˆ domicile sont majoritairement ceux du secteur marchand, que les diffŽrences de prix d’accs tendent ˆ marginaliser0.
La musique ˆ dominante populaire devient un produit de plus en plus segmentŽ. Les transferts constatŽs sur la pŽriode 1983-1993 illustrent la redistribution intervenue dans les droits perus par la S.A.C.E.M. Dans le contexte global d’un doublement en francs courants des droits perus, les mŽdias audiovisuels progressent de six points au dŽtriment de la diffusion publique de musique enregistrŽe, tandis que la part des spectacles vivants et du cinŽma continue de dŽcro”tre.
Les marchŽs de la musique se restructurent brutalement, puisque les ventes des divers phonogrammes en France rŽvlent, ds la pŽriode 1987-1990, les structures actuelles du marchŽ : mort clinique du 33 tours et du 45 tours vinyles et progression foudroyante du disque compact qui dŽpassent quarante millions d’unitŽs en 1989, pour doubler entre cette date et 1993.
L’instrument de musique est devenu un produit de sŽrie : les cha”nes de fabrication industrielle permettent ˆ Yamaha de sortir un piano droit toutes les soixante-dix sept secondes, et un piano ˆ queue toutes les six minutes, rythme qui indique l’ampleur d’un marchŽ ciblŽ qui s’appuie sur un trs vaste rŽseau d’enseignement incitant Žlves et parents ˆ la consommation des divers produits du groupe0.
Toute ambition de constituer, de dŽvelopper et de pŽrenniser une entreprise de programmes sonores passe dŽsormais par la constitution de groupes d’Ç Žlectronique grand public È, de dimension mondiale, dont les stratŽgies de vente sont nŽcessairement prioritaires sur les stratŽgies de crŽation, et tendent ˆ marginaliser le phŽnomne musical au sein de l’ensemble des marchŽs du groupe. L’innovation induit et impose une rŽvolution permanente par la mise sur le marchŽ de produits nouveaux avant mme la fin du cycle de vie du produit prŽcŽdent. La concurrence entre D.C.C. et M.D. occulte la probabilitŽ d’un standard unique, dans la mesure o la multiplication des formats des lecteurs et des phonogrammes entra”ne l’attentisme de consommateurs concernŽs avant tout par le catalogue des programmes, et o les groupes concurrents partageront les profits gr‰ce ˆ un systme de licences croisŽes0.
Devenue produit stockable et reproductible ˆ l’infini, prŽsentŽe comme produit Ç parfait È, Ç Žternel È, et favorisant l’exigence d’autonomie du consommateur moderne, la musique, phŽnomne industriel, est condamnŽe ˆ une rotation rapide des produits pour amortir d’importants investissements, et, par lˆ mme, ˆ la concentration de l’offre dans toutes ses activitŽs. Le marchŽ mondial de la musique enregistrŽe, en progression constante, atteint trente milliards de dollars en 1993, et tŽmoigne de fortes concentrations aux Etats-Unis (32% du marchŽ mondial) et au Japon (16,7% du marchŽ mondial), concentrations qui soulignent la position devenue secondaire des pays de forte tradition classique : Allemagne (8,8%), France (6,3%), Royaume-Uni (6,5%)0. Cette redistribution se lit aussi dans la consommation musicale par habitant et par an : Singapour, Ta•wan et la CorŽe du Sud prŽcdent l’Autriche et l’Allemagne ; le Japon et la Sude devancent l’Italie0.
Les stratŽgies de commercialisation menŽes par des opŽrateurs Žconomiques sur les diverses musiques de rŽbellion, regroupŽes sous le vocable de Ç world music È, dŽmontrent que la culture musicale dominante dans le monde dŽveloppŽ n’est plus la musique savante. Le phŽnomne de mondialisation de la musique ne se traduit plus par l’expansion, par l’impŽrialisme, par la gŽnŽralisation des formes de la seule musique savante ˆ l’ensemble de la plante. La mondialisation des techniques a eu pour effet de promouvoir les autres musiques, jugŽes non seulement plus spectaculaires et plus consensuelles par les ingŽnieurs artistiques, mais aussi plus rentables par les gestionnaires financiers. Ces autres musiques sont, en effet, portŽes par des technologies leur confŽrant une audience potentiellement illimitŽe, un Žcho vŽritablement planŽtaire, une prŽsence au monde qu’aucune catŽgorie des musiques populaires du passŽ n’a pu recueillir. Ces autres musiques bŽnŽficient d’un volume de production, d’une diffusion commerciale et d’une lŽgitimation sociale qui expliquent leur part dorŽnavant prŽpondŽrante dans les investissements de l’industrie privŽe et dans les dŽpenses des mŽnages.
Cette minoration du statut de la musique savante au sein du champ musical appara”t le signe de l’instrumentalisation du phŽnomne musical dans la vie sociale des sociŽtŽs dŽveloppŽes. L’extrapolation des tendances lourdes actuelles permet de prŽvoir un accroissement de la domination du processus de mise en scne visuelle de la musique et de dŽmatŽrialisation des programmes musicaux conduisant ˆ terme ˆ une disparition de l’objet phonogramme au profit d’un juke-box individuel reliŽ ˆ une banque de donnŽes tenant informatiquement le Ç compte musique È de chaque individu.
La libertŽ nouvelle du consommateur a induit une redistribution des Žquilibres du champ musical. Les technologies, longtemps pensŽes comme simples instruments et outils passifs, imposent leur logique propre en structurant l’organisation Žconomique des phŽnomnes musicaux.
Ainsi, la paradigme technologique triomphe. La technologie dŽtermine les conditions de crŽation et de consommation esthŽtiques du phŽnomne musical. La technologie dŽtermine les conditions Žconomiques du phŽnomne musical.
Ce double dŽterminisme Žtablit la position dominante de l’individu comme programmateur autonome de ses besoins. Issu de la technologie et suscitant, rencontrant et confortant la force de l’individualisme postmoderne, ce double dŽterminisme a imposŽ une redistribution radicale des Žquilibres du champ musical.
Deuxime partie - Culture, technologies et Žconomie de marchŽ
I.1. La synergie nouvelle Žconomie et culture
• La problŽmatique Žconomie et culture fut longtemps un champ tabou, non explorŽ, trahissant un antagonisme traditionnel dŽfini par un double procs. L’Žconomiste accusait la culture d’Žchapper ˆ la thŽorie fondamentale de la Valeur, de tŽmoigner de dŽsŽquilibres structurels entre l’offre et la demande, et de concerner des produits Ç superflus et somptuaires È rebelles aux lois de la sŽrie caractŽrisant les processus industriels. L’homme de culture dŽnonait la finalitŽ mercantile de l’Žconomie, et sa prŽtention ˆ vouloir mettre en Ïuvre des rgles de rationalitŽ (c’est-ˆ-dire de gestion) dans le domaine de l’imaginaire et du rve.
L’indiffŽrence, voire l’hostilitŽ, des grands Žconomistes du passŽ tŽmoigne de cette exclusion rŽciproque. Adam Smith voit dans le produit culturel un produit qui s’Žvanouit au moment mme de sa production, tels les mots du comŽdien ou les notes du chanteur. Karl Marx reconna”t comme travailleur culturel productif celui qui produit du capital, telle la cantatrice qui, par son chant, constitue le capital de son impressario, ou aujourd’hui la rock-star. Alfred Marschall juge les activitŽs culturelles improductives, ludiques et somptuaires, mme s’il note que l’utilitŽ marginale des biens culturels (la satisfaction qu’ils apportent) est croissante, contrairement aux autres biens de consommation.
L’hŽgŽmonie contemporaine de la science Žconomique tend cependant ˆ Žriger l’Žconomie de la culture en grille de lecture pertinente. Depuis au moins une dŽcennie, la fin de cette guerre froide et l’instauration d’un dialogue constructif, ont initiŽ une re de coopŽration qui exalte les synergies entre Žconomie et culture.
La science Žconomique permet de cerner les caractres de la consommation culturelle en soulignant le risque pesant sur le consommateur puisque nombre de biens culturels ne peuvent tre testŽs avant achat ou consommation. Elle permet de cerner les spŽcificitŽs des industries culturelles par rapport aux autres industries, et notamment les conditions particulires de formation du profit qui les caractŽrisent.
Elle permet de comparer les effets respectifs des politiques publiques de dŽpense budgŽtaire et de dŽpense fiscale. Elle permet une classification des biens et services culturels en retenant leur lieu de consommation0, leur fonction (crŽation ; diffusion ; formation ; administration) leur nature marchande ou non marchande0.
• Les retombŽes Žconomiques positives incontestables des activitŽs culturelles (crŽation et prŽservation d’emplois publics et privŽs ; apports ˆ l’Žquilibre de la balance des paiements ; produits d’appel pour le changement d’image d’une collectivitŽ publique) permettent d’analyser les aides publiques ˆ la culture comme un investissement.
En 1997 les retombŽes Žconomiques du Festival de Salzbourg pouvaient s’analyser de la faon suivante (source : Le Monde, 9 et 10/8/98, A.Lompech) :
4000 emplois dont 2948 artistiques.
FrŽquentation du 19/7 au 31/8 : 212 760 spectateurs (dont 75% Žtrangers), taux de frŽquentation : 93,3%.
174 reprŽsentations (9 opŽras, 4 pices de thŽ‰tre, 67 concerts).
Budget total
Subventions publiques : 65 millions de francs
Recettes billeterie : 150 millions de francs
Droits Radio-TV : 85 millions de francs
Total recettes commerciales : 235 millions de francs
Taux d’autofinancement : 78%
Selon la chambre Žconomique de Salzbourg, les recettes supplŽmentaires pour l’ensemble de l’Autriche furent de l’ordre de 1,2 milliards de francs pour un investissement public en 1997 de 66 millions de francs (sources : Le Monde, 9 et 10/8/98, A.Lompech).
L’avis du Conseil ƒconomique et Social : Ç l’impact et l’apport des ŽvŽnements culturels dans le dŽveloppement local et rŽgional È souligne avec raison que la Ç richesse d’un grand pays ou d’une petite ville ne se mesure pas, ne se mesure plus, par la seule Žvaluation de l’industrie, de l’agriculture, des commerces et des services. L’impondŽrable culture, la conquŽrante action culturelle ont ouvert, crŽŽ, dŽveloppŽ une nouvelle et considŽrable part de marchŽÈ.
Tout ŽvŽnement culturel peut Ç tre un facteur de cohŽsion sociale, d’intŽgration des jeunes en difficultŽ, de lutte contre l’exclusionÈ.
Ç Le critre culturel peut tre le plus qui peut faire pencher la balance entre deux villes en compŽtition pour l’implantation d’entreprises È.
• Cette prise de conscience se traduit Žgalement dans la nouvelle approche du Parti Travailliste depuis son accession au pouvoir en Grande-Bretagne. Le Premier Ministre, Tony Blair, remarquait en 1997 que Ç la musique Rock et la mode sont aujourd’hui plus gros employeurs que l’automobile ou la sidŽrurgie È et Chris Smith, Ministre de la culture, des mŽdias et des sports, que la culture, les sports et le tourisme, reprŽsentaient un pourcentage du PNB supŽrieur ˆ la totalitŽ de l’industrie. Les Arts et la high tech apparaissent un gisement de profits et d’emplois fondŽ sur la crŽativitŽ gŽnŽrant une nouvelle image de la Grande-Bretagne, Ç yound and cool Britannia È, et caractŽrisant les nouveaux secteurs de croissance0.
CA
en milliards de francs Emplois
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Edition 156 125 000
Design 130 ....
Logiciels 78 240 000
Mode 75 355 000
TV, radio 60 60 000
PublicitŽ 43 ....
Musique 26 115 000
Films 20 33 000
Architecture 12,5 30 000
Jeux informatiques 0,9 80 000
________________________________________________________
Total 601,5 1.128 000
Le marchŽ mondial des phonogrammes illustre parfaitement l’importance et la profondeur de la mutation qui s’opre au profit des industries de l’imaginaire.
MarchŽ mondial des phonogrammes
(1995 - sources IFPI, citŽ par le Monde du 10.09.98)
|
Europe
dont France
Grande Bretagne
Allemagne
Pays-Bas
Italie
|
80,6 milliards de francs
13,8 milliards de francs
16,2 milliards de francs
19,2 milliards de francs
4 milliards de francs
3,8 milliards de francs
|
Total gŽnŽral
|
239 milliards de francs
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