Eléments d’anthropologie des sciences humaines et sociales en univers technologique


L’articulation entre recherche et enseignement des SHS en environnement technologique



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4. L’articulation entre recherche et enseignement des SHS en environnement technologique


En marge de la littérature existante traitant de la place des SHS en écoles d’ingénieurs sur le plan de la formation, le projet HOMTECH a pris le parti de se concentrer prioritairement sur le volet recherche, peu étudié. Cependant, il serait stérile de séparer ces deux volets tant ils structurent, l’un comme l’autre – et dans une certaine mesure, l’un avec l’autre – l’activité des enseignants-chercheurs et des étudiants-ingénieurs en univers technologique. Cette partie porte donc sur l’articulation entre enseignement et recherche. Nous y interrogeons l’enseignement au prisme de ses liens avec la recherche.

Pour ce faire, nous procédons d’abord à un état de l’art de la littérature en histoire, sociologie et sciences de l’éducation abordant la place de l’enseignement des SHS dans la formation des ingénieurs en France. Il ressort de l’analyse de cette littérature que la circonscription de cette place et les difficultés à la faire évoluer s’expliquent par la construction d’une configuration socio-historique spécifique. Puis, à partir d’une enquête, comprenant : des entretiens avec des EC et des responsables pédagogiques de différents environnements technologiques (principalement l’UTC et UniLaSalle), des observations de réunions et de cours, une classification de l’offre d’enseignement, et des réponses d’étudiants à un questionnaire170, nous revenons sur l’inscription originale des environnements technologiques étudiés dans cette configuration socio-historique, en insistant sur les moyens et orientations déployés aujourd’hui pour se démarquer de la place traditionnellement réservée aux SHS, dont le principal ressort est l’affirmation d’un enseignement par la recherche.



4.1. Coup d’œil socio-historique sur l’enseignement des SHS dans la formation des ingénieurs


Depuis une vingtaine d’années les différents organes représentatifs de la profession et de la formation de l’ingénieur, au devant desquels la Commission du Titre d’Ingénieur (CTI171), semblent prêter une attention plus forte à l’enseignement des SHS dans la formation de l’ingénieur. Elle préconise aujourd’hui qu’il compte à hauteur de 30% du taux horaire de la formation globale d’ingénieur172.

Cette préoccupation peut paraître nouvelle. Cependant, Michel Cotte173 rappelle que la question remonte aux origines des écoles d’ingénieurs d’Ancien régime dans lesquelles la sélection et la formation se basaient sur les Humanités comme sur les sciences et les techniques, sans distinction174. Au XIXème siècle, alors que l’ancienne technologie disparaît progressivement au profit du couple sciences pures/sciences appliquées175, les écoles d’ingénieurs se répartissent en deux types qui, selon Cotte, structurent durablement le paysage des écoles d’ingénieurs françaises et permettent, encore aujourd’hui, de mieux comprendre la place accordée aux enseignements aux SHS176. D’un côté, les écoles généralistes, au premier titre desquelles l’École Polytechnique. Les mathématiques y sont promues comme le langage universel de la nature et des arts (des techniques) ; les « sciences pures », devenues la voie d’accès privilégié au monde, font l’objet d’un enseignement de haut niveau réduisant la culture générale à un rôle de prestige social fournissant l’aplomb et la vision stratégique nécessaires à l’exercice de fonctions d’encadrement177. De l’autre, les écoles spécialisées, nommées après la révolution « écoles d’application », où l’on entrait après la formation générale et théorique dispensée par Polytechnique178. Définies par des enseignements de « sciences appliquées » propres à un domaine technique particulier, ces écoles dispensent des enseignements « complémentaires » à la formation technique dont le rôle est plus directement utile et fonctionnel, tourné vers l’efficacité professionnelle179. À partir de là, les écoles opposent la formation scientifique et technique et le reste : tout ce qui ne relève pas directement du registre scientifique et technique et qui est donc désigné par négation comme la « formation non scientifique et technique » de l’ingénieur.

Ainsi appréhendé sur le temps long, le problème de l’intégration des SHS dans les formations d’ingénieur ne prend pas source dans une situation dans laquelle s’opposerait initialement « deux cultures », scientifico-technique et humanistico-littéraire, selon les clichés en vigueur180. Il prend source dans la décision indissociablement sociale, institutionnelle et épistémologique, de séparer et de hiérarchiser les sciences pures, d’abord théoriques, et les sciences appliquées, ensuite pratiques181. L’opposition des enseignements scientifiques et techniques et des enseignements « non scientifiques et non techniques » est un produit secondaire de cette décision inaugurale. Aujourd’hui encore, les écoles à caractère généraliste édifiées sur le modèle polytechnique ont tendance à privilégier des SHS orientées « culture générale », et les écoles orientées « métier » des SHS appliquées et opérationnelles. Cette dichotomie constitue ainsi un premier cadre de référence des débats sur la place des SHS dans les écoles d’ingénieurs : d’un côté, le modèle généraliste des humanités ; de l’autre, le modèle spécialiste des sciences économiques et sociales.

Au XXème siècle, le débat autour de la « formation sociale » ou « formation humaine » de l’ingénieur prend forme. S’inscrivant dans le mouvement de rationalisation du monde social182 tel qu’il s’exprime chez un Le Play développant « une science appliquée de la société afin de parvenir à une harmonie sociale »183 . Ou encore, chez les ingénieurs du groupe X-crise ayant intégrés les nouveaux ministères censés rationaliser le monde économique et social dans les années 1930184, l’Union Sociale des Ingénieurs Catholiques (USIC185) met en exergue « le rôle social de l’ingénieur »186. Homme de sciences se situant au delà des intérêts de classe, il doit servir d’intermédiaire entre les ouvriers et le patronat afin de pacifier les rapports sociaux. Pour cela, il se doit d’être un technicien du social et de prêter une grande attention aux conditions d’exercice du travail187. En 1942, l’USIC formule « la première formalisation d’un cadre conceptuel qui pense la formation sociale de l’ingénieur »188. Il s’agit d’un triptyque divisé comme suit : « 1/ Un complément de formation générale humaine : éducation morale, culture intellectuelle et spirituelle ; 2/ Une formation particulière au rôle du chef : apprentissage du commandement ; 3/ Une étude spécialisée des éléments de techniques sociales : économie politique et sociale, législation ouvrière, histoire du travail… »189. Il est frappant de constater que ce triptyque, qui date pourtant de l’époque du Régime de Vichy, semble fournir le schéma général des « référentiels de compétence » que l’on retrouve dans nombre de discours sur la conception et l’évaluation des formations « non techniques » des ingénieurs : la culture générale (1), la connaissance de soi et des autres en vue de diriger (2), les techniques de gestion du social (3), ou encore parfois : « savoirs », « savoir-être », et « savoir-faire ».

Après la seconde guerre mondiale, le débat se poursuit dans les organes professionnels190, entre prise de position pour le modèle des Humanités191 ou pour le modèle gestionnaire alimenté par la psychologie comportementaliste (psychométrie, relations humaines…) venue des États-Unis qui met en valeur la prise en compte du « facteur humain » dans l’organisation scientifique du travail192 ; mais aussi contre l’instrumentalisation des SHS et l’adaptation des élèves au contexte socio-économique contemporain193. En 1970, le Conseil National du Patronat Français (CNPF) propose sa propre formalisation tournée vers le management faisant converger les intérêts du patronat avec ceux du groupe professionnel des ingénieurs pour sa reproduction194. D’après le CNPF, la formation « non technique » des ingénieurs doit forger « des connaissances, notamment en gestion, des aptitudes, notamment dans les relations humaines, et enfin une attitude qui règle le comportement général du chef »195. Apparaissent dans le désordre, les trois axes déjà définis par l’USIC, les savoirs de gestion du social, les techniques d’expression et de communication en vue de diriger et la culture générale. Après 1970, le débat se déplace des organes professionnels aux enseignants et responsables des formations non techniques progressivement établies dans les écoles d’ingénieurs, ces derniers ayant la charge de définir le contenu de leur enseignement196.

C’est le cas de Denis Lemaître qui s’empare des outils des sciences de l’éducation, et notamment des apports de la sociologie du curriculum197, pour définir ce qu’il nomme « la formation humaine » de l’ingénieur198. Lemaître distingue trois « modèles concurrents »199 : le modèle des Humanités, issu des grandes écoles d’ingénieurs généralistes du XIXème siècle200, doit conduire à l’émancipation, la mise à distance et la prise en compte des enjeux sociaux et moraux. Il comprend notamment des enseignements de culture générale, histoire, philosophie ou anthropologie. Le modèle du développement personnel doit permettre de se construire, de s’affirmer et de s’épanouir personnellement et professionnellement. Il comprend notamment les enseignements liés à l’insertion professionnelle (rédaction de CV, de lettres, …), les enseignements de techniques de communication et d’expression, de psychologie, la pratique sportive et artistique, les langues et les stages. Le modèle des SHS pour l’ingénieur doit fournir des connaissances, des techniques et des outils de gestion pour assurer une efficacité organisationnelle. Il comprend notamment les enseignements de connaissance de l’entreprise, de management, d’économie industrielle, de sociologie des organisations. Selon Lemaître, chacun des trois modèles est traversé par une tension entre une logique de transformation de l’individu qu’il lie à l’idéal moderne et une logique d’adaptation de l’individu qu’il rattache à la postmodernité. De ce fait, par exemple, l’enseignement des Humanités non pas pour leur potentiel émancipatoire et réflexif mais pour le prestige social qu’elles confèrent relève d’une logique d’adaptation. De même, si Lemaître ne condamne pas l’idée de savoirs pour l’action, il pointe la possibilité d’une instrumentalisation des SHS mises au service de la performance des entreprises201. Finalement, ce n’est pas à une réelle typologie des écoles que Lemaître aboutit puisque chaque école, selon des choix politiques qui lui sont propres, privilégie souvent un mixte entre plusieurs modèles et selon différentes logiques202. Lemaître prône plutôt une « configuration idéale » dans laquelle les trois modèles, devenus « approches complémentaires » seraient développés « d’une égale manière »203.

Le discours de Lemaître a porté ses fruits. Comme le remarque Antoine Derouet, celui-ci, par son « double engagement en tant qu’acteur et en tant qu’analyste », a vu son triptyque « repris presque simultanément comme grille de référence par bon nombre d’acteurs »204. C’est notamment le cas de la CTI, qui adopte le triptyque de Lemaître en 2010, ainsi que du réseau Ingenium, créé en 2006, qui rassemble les enseignants voulant promouvoir les SHS en écoles d’ingénieurs205.

Le succès du triptyque de Lemaître trouve sa source dans une configuration socio-historique spécifique. Comme le souligne Derouet, il s’appuie sur les mêmes composantes – culture générale, développement personnel, gestion – que ceux formulés précédemment par l’USIC et le CNPF206. La récurrence avec laquelle s’imposent les différents avatars de ce qui peut, au final, être considéré comme une formalisation triadique quasi identique, donne l’impression d’un horizon indépassable, d’une saturation de l’espace des possibles concernant la place de l’enseignement des SHS dans la formation de l’ingénieur. Qu’elle soit définie par négation de la formation scientifique et technique ou qualifiée de « formation humaine » – comme si la formation scientifique et technique n’était pas déjà humaine en elle-même et qu’il fallait l’humaniser207 –, la place des SHS se définit par sa séparation stricte d’avec l’enseignement des sciences et des techniques. L’enseignement des SHS y est considéré comme un « à côté », parfois nécessaire, mais toujours situé « en complément » de la formation scientifique et technique initiale208. Dans cette configuration les SHS se trouvent écartelées entre le fameux « supplément d’âme » ou vernis humaniste critiqué par tous, et l’instrumentalisation à des fins professionnalisantes au service de la performance des entreprises, largement critiquée aussi.




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