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1Introduction


L’évaluation de l’état des ouvrages en béton, dans une démarche plus globale d’estimation de la durée de vie résiduelle, de planification des réparations ou d’optimisation de la surveillance, constitue un enjeu d’importance. Les gestionnaires d’ouvrages ont besoin d’indicateurs fiables permettant non seulement d’identifier le niveau d’altération de telle ou telle partie d’un ouvrage mais également de servir de données d’entrée consolidées pour les modèles de re-calcul. C’est dans ce contexte et autour de cette problématique qu’a été construit le projet SENSO visant à répondre à deux objectifs assignés aux opérations de recherche :

- développer des stratégies d’évaluation permettant d’alimenter de façon fiable et optimale les codes de re-calcul et les outils de gestion des ouvrages ;

- permettre le calcul des structures et ouvrages dégradés pour caractériser le niveau de sécurité résiduel et définir, si nécessaire, les réparations indispensables.
L’objectif du projet était de proposer une méthodologie d’évaluation de l’état des ouvrages en béton armé s’appuyant sur des techniques innovantes presque exclusivement issues du contrôle non destructif. En particulier une approche multi-techniques était proposée en associant différentes familles de contrôles non destructifs. Le développement de ces techniques ne constituait pas un des objectifs principaux de ce projet et ce choix a été respecté. En revanche la quantification de la variabilité des mesures face à un indicateur donné était un des objectifs essentiels de SENSO. Nous avons cherché à atteindre cet objectif aussi bien en conditions contrôlées de laboratoire que sur ouvrages. Dans ce contexte, nous proposions de constituer une base de données associant observables issues de la mesure et indicateurs de l’état des ouvrages sur une gamme représentative de bétons. Le projet visait aussi à proposer une méthodologie de traitement des données issues de l’évaluation dans la stratégie globale de surveillance des ouvrages avec pour objectif de permettre une gestion plus raisonnée du patrimoine bâti. A ce titre il était proposé de valoriser l’approche multi-techniques proposée en mettant en place une procédure de fusion des données issues de l’auscultation, ce qui constituait une avancée tout à fait innovante dans le domaine du Génie Civil.
Dans un contexte d’évaluation de l’état des ouvrages en relation avec le niveau d’altération des matériaux qui le constituent, on a l’habitude d’identifier des indicateurs d’état que l’on peut ranger dans deux catégories : les indicateurs pathologiques et les indicateurs de durabilité (mécanique et physique). Les objectifs du projet SENSO se sont concentrés sur l’évaluation quantitative et non destructive de huit des principaux indicateurs in situ :

- indicateurs de durabilité : porosité, teneur en eau, module d’Young, résistance mécanique,

- indicateurs pathologiques : profondeur de carbonatation et teneur en chlorures qui sont essentiels vis-à-vis de la corrosion des armatures.

Pour chaque indicateur, les objectifs étaient d’évaluer sa valeur (caractéristiques moyennes et degré de variabilité) et d’estimer en parallèle le degré de fiabilité de cette évaluation. Les travaux relatifs au projet SENSO ont été découpés selon 5 actions interdépendantes :

1 - acquisition de données expérimentales sur un vaste corpus de test

2 - traitement et consolidation des données

3 - fusion de données

4 - essais sur maquettes

5 - essais sur sites

2Relations expérimentales en laboratoire entre indicateurs visés et mesures non destructives


L’objet de cette phase du projet visait à étudier de manière directe, sur des corps d’épreuve supposés homogènes, les relations entre mesures non destructives et indicateurs ciblés. Ce travail a abouti à la constitution d’une base de données expérimentales unique à l’échelle internationale.

2.1Techniques d’évaluation non destructive


Différentes techniques d’évaluation non destructive (END) ont été étudiées et développées dans le cadre de SENSO :

- mesures électriques : résistivité et capacité électrique du béton ;

- mesures mécaniques : ultrasonores, impact-écho (vitesse, atténuation…);

- mesures électromagnétiques : radar (amplitude, fréquence, vitesse);



2.2Plan expérimental


Le Tableau 1 présente les caractéristiques des 9 compositions de béton mises en œuvre pour la constitution de la base de données expérimentales.


Libellé Composition

G1

G2

G3

G3a

G7

G8

G4

G5

G6

Nature Granulats

SR-14

SR-22

SC-14

CC-14

E/C

0,31

0,47

0,59

0,57

0,63

0,9

0,57

0,57

0,58

Rc (MPa)

72,9

43,3

43,8

40,5

38,3

20,2

36,6

45,0

38,2

E (GPa)

35,5

28,4

27,7

27,9

27,4

21,3

26,7

29,7

35,8

ρ (kg/m3)

2441

2469

2457

2447

2455

2405

2462

2473

2543

Porosité (%)

12,5

14,3

15,5

16,0

15,9

18,1

14,2

15,2

14,9

Tableau 1 – Valeurs des indicateurs mesurés en conditions saturées

(SR-14 : siliceux roulé - dmax = 14 mm, SR-22 = siliceux roulé - dmax=22 mm,

SC-14 = silico-calcaire roulé - dmax = 14 mm, CC-14 = calcaire concassé - dmax = 14 mm)
Pour chaque composition, 11 éprouvettes parallélépipédiques (dalles 50x25X12 cm3) ont été réalisées. Les dalles ont été conditionnées selon :


  • différentes teneur à eau (de l’état sec à l’état saturé),

  • différentes teneurs en chlorures,

  • différentes profondeurs carbonatés (55 dalles supplémentaires ont été fabriquées pour cette caractérisation).



2.3Exemples de résultats


Les figures suivantes présentent un aperçu succinct des nombreux résultats expérimentaux obtenus en laboratoire sur corps d’épreuves homogène. La Figure 1 montre par exemple l’incidence de la porosité des bétons sur la vitesse de propagation des ondes ultrasonores, ainsi qu’un biais relatif à la teneur en eau. La Figure 2 montre que l’amplitude de l’onde directe radar est sensible non seulement à la teneur en eau, mais également au degré de contamination par les chlorures.






Figure 1 – Relation expérimentale entre la vitesse de phase ultrasonore (3 cm) et la porosité du bétons : états sec et saturé

Figure 2 – Effets de la teneur en eau et de la présence de chlorures sur l’amplitude de l’onde directe radar – Bleu : eau sans chlorures – Rouge : eau + faible quantité de chlorures – Vert : Eau + forte quantité de chlorures

La Figure 3 et la Figure 4 présentent respectivement la sensibilité de la résistivité électrique du béton à la présence de chlorures et à la profondeur carbonaté. L’ensemble des résultats a permis de quantifier et de modéliser la sensibilité des observables choisies aux indicateurs pathologiques et de durabilité, ouvrant ainsi la voie à l’analyse inverse et à la fusion.








Figure 3 – Effet de la concentration en chlorures de la solution porale sur la résistivité électrique du béton (compositions G1, G3, G6 et G8)

Figure 4 – Effet de la profondeur de béton carbonatée sur la résistivité électrique du béton



3Consolidation et traitement des données


Cette phase visait tout d’abord à sélectionner des observables utiles au regard des objectifs visés. La procédure mise en œuvre repose sur trois critères de sélection :

- qualité intrinsèque de l’observable, liée à la qualité de la mesure et à sa répétabilité,

- pertinence de l’observable, i.e. sa capacité à mesurer des variations d’un indicateur,

- complémentarité entre observables.



Ce travail a conduit à l’établissement de lois empiriques (Figure 5) entre observables issues des mesures CND et indicateurs visés.






Figure 5 - Modèle de régression bilinéaire pour l’observable 11

Figure 6 - Interface graphique du module Matlab dédié à la fusion développé dans le cadre de SENSO



4Fusion des données


Sur la base des observables retenus suite à l’étude statistique une procédure de fusion des indicateurs issus des lois empiriques mettant en œuvre la théorie des possibilités a été développé. Chaque mesure d’observable, telle que la vitesse des ondes ultrasonores, la résistivité, l’amplitude radar..., est susceptible de fournir une estimation des paramètres (ou indicateurs) recherchés. Cette estimation est plus ou moins précise, et avec une confiance plus ou moins grande selon la fiabilité et la sensibilité de l’observable à chacun des paramètres. La fusion de données consiste à réunir toutes les estimations, chacune associée à la fiabilité, la sensibilité et l’imprécision de la mesure et de la technique, pour en tirer la réponse la plus plausible. Elle est une aide au diagnostic, et sa réponse ne peut être considérée comme ultime solution. De manière générale, lorsque les données de départ convergent vers une même estimation des indicateurs, le résultat tend vers cette estimation, et la fiabilité finale est renforcée. En revanche, lorsqu’elles sont en désaccord, l’opérateur de combinaison choisi doit permettre de gérer le conflit et donner l’estimation la plus plausible vis-à-vis des fiabilités, sensibilités et imprécisions. Dans le cadre de SENSO, la fusion a été abordée selon la théorie des possibilités. La Figure 6 présente l’interface graphique du module Matlab® développé dans le cadre de SENSO et dédié à la fusion des données d’END. La Figure 7 présente à gauche un résultat de fusion sans solution pertinente (sans confiance) alors que sur la figure de droite la solution retenue (critère du maximum) émerge facilement de la surface de distribution des possibilités.



Figure 7 - Distributions de possibilité fusionnée de confiance mauvaise (à gauche) ou bonne (à droite)



5Validation sur maquettes et ouvrages


.

L’ensemble de la procédure développée sur corps d’épreuves de laboratoires a ensuite été testée sur des maquettes (Figure 8), c'est-à-dire des éléments constitués d’un béton identique mais dont les propriétés visées ne sont pas nécessairement ni homogènes ni totalement contrôlées dans l’élément. L’analyse de la variabilité des mesures a montré une plus grande disparité probablement à cause du plus grand volume de béton mis en œuvre, plus difficile à mettre en place de façon homogène que dans des éléments de petite dimension. L’influence du ferraillage a été clairement mise en évidence. Pour chacune des techniques on a ainsi pu définir à partir de quelle profondeur de l’acier les mesures peuvent être perturbées et entachées d’erreur. En revanche l’influence du diamètre n’a pas paru significative. Afin de tester la validité sur maquettes de la procédure de fusion de données les résultats de l’évaluation non destructive en un point particulier ont été fusionnés. Des essais destructifs ont été réalisés au voisinage de ce point afin d’évaluer les indicateurs résistance en compression, module d’Young et porosité. Ceci a permis de confronter les résultats obtenus à ceux de la fusion et les conclusions sont tout a fait satisfaisantes.






Figure 8 - Photographies des maquettes

Des campagnes d’essais ont également été réalisées avec l’ensemble des techniques sur deux ouvrages, à savoir un quai roulier du Port Autonome de Nantes Saint Nazaire (Figure 9) et la Base sous-marine de Bordeaux (murs de bassins à flot - Figure 10). Les valeurs des indicateurs obtenues étaient en décalage par rapport aux valeurs obtenues sur prélèvements. Ces écarts peuvent être attribués au fait que les lois obtenues à partir des bétons de laboratoire ne sont pas applicables aux bétons de ces ouvrages, du fait de différences de nature, de conditions de conservation ou de mesures. La procédure de fusion développée sur la base des essais de laboratoire a été testée sur ces deux ouvrages.







Figure 9 – Poutre testé au Port Autonome de Nantes – St-Nazaire

Figure 10 – Mur en béton armé testé à la base sous-marine de Bordeaux



6Conclusion


Le projet SENSO a permis de réunir 13 partenaires d’horizons très différents (spécialistes de la mesure, du traitement des données, de la fusion, gestionnaires d’ouvrages, bureaux d’études spécialisés dans le diagnostic et le re-calcul). Une vraie synergie s’est créée afin d’améliorer la qualité de l’évaluation des ouvrages avec un double objectif, d’une part le développement d’une méthodologie pour une surveillance plus rationnelle intégrant le contrôle non destructif et d’autre part la fourniture d’indicateurs d’état permettant de satisfaire les exigences du re-calcul. La stratégie retenue au départ du projet a été de privilégier la mesure et son exploitation en mettant en application des techniques suffisamment éprouvées pour pouvoir être opérationnelles rapidement sans développements supplémentaires conséquents.

Un des apports essentiels du projet a été de construire une importante base de données reliant des observables CND de diverses origines (ultrasonores, électromagnétiques, électriques) et des indicateurs d’état du matériau. Ceux-ci ont été identifiés en raison de leur pertinence et de la sensibilité des techniques à leur détection. Cette base de données englobe une gamme représentative de bétons (avec comme paramètres le type, la dimension et la nature des granulats mais également la porosité) et contient également des informations sur la variabilité de l’évaluation à différentes échelles (liée à la mesure, au matériau, à la fabrication,…). 150 dalles de béton ont été fabriquées pour constituer cette base de données qui a nécessité 6 campagnes d’essais croisés en laboratoire. Les indicateurs visés ont été mesurés en suivant des procédures d’essais destructifs normalisées ou recommandées. Près de 150 carottes ont été prélevées et conditionnées pour la mesure des propriétés mécaniques et physiques du béton. Des mesures de profondeur carbonatée ont été réalisées sur environ 50 prélèvements et près de 150 dosages en chlorures ont été effectués. Les objectifs visés en termes de variation des différents indicateurs ont été presque totalement atteints puisqu’on a réussi à fabriquer des bétons dont la porosité s’étale de 12 à 18% avec des degrés de saturation variant entre 0 et 100%. La gamme des teneurs en chlorures et des profondeurs carbonatées usuelles a également été couverte. Un des résultats marquants de l’étude préliminaire de caractérisation des bétons concerne l’influence importante de la nature des granulats sur le module d’Young du matériau qui se révélera également particulièrement influente sur les mesures ultrasonores.



Suite aux différentes campagnes d’essai, ce ne sont pas moins de 65 observables CND et de 200000 données qui ont été traitées, analysées et stockées. Par le biais d’une analyse statistique les observables les plus fiables en regard de la variabilité à différentes échelles et les plus pertinentes vis à vis de chaque indicateur ont été identifiées. Cette base de données tout à fait unique à l’échelle internationale a permis de constituer un ensemble de lois empiriques entre observables END et indicateurs d’état du béton sur la base de régressions linéaires ou bi-linéaires. Sur la base de cette évaluation, une procédure de fusion des résultats a été mise en place. Cette procédure de fusion a nécessité plusieurs étapes : la modélisation des connaissances, la fusion proprement dite et la prise de décision qui sont toutes trois déterminantes pour assurer la qualité du diagnostic final. La procédure de fusion a enfin été éprouvée de façon encourageante sur des maquettes (échelle intermédiaire entre le laboratoire et la structure réelle) et des ouvrages réels.

7Remerciements


Les partenaires du projet SENSO remercient l’Agence Nationale de la Recherche pour le soutien financier apporté à ces travaux de recherche.


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