Realität est un mot où vous vous retrouvez même si vous ne savez pas l’allemand, puisqu’il est démarqué sur notre latin. Il est en concurrence, dans les emplois qu’en fait Freud, avec le mot Wirlichkeit qui, lui aussi, signifie à l’occasion ce que les traducteurs, sans chercher plus loin, traduisent tout uniment, dans les deux cas, par réalité.
J’ai à ce propos un petit souvenir de la véritable rage écumante qui avait pris un couple, ou plus spécialement l’un d’eux — il faut tout de même bien l’appeler par son nom, ce n’est pas du tout par hasard, c’est un nommé Laplanche, qui a eu un certain rôle dans les avatars de mes relations avec l’analyse —, à la pensée qu’un autre — que je vais nommer aussi, puisque j’ai nommé le premier, un nommé Kauffmann — avait avancé l’idée qu’il fallait distinguer ce Wirlichkeit et cette Realität, Le fait d’être devancé par l’autre dans cette remarque, qui était, en effet, tout à fait première, avait déchaîné une espèce de passion chez le premier de ces deux personnages.
Ce pseudo-mépris montré pour ce fignolage est tout de même quelque chose d’assez intéressant.
La phrase finit ainsi — gegründet ist und jeden Schein und Trug ausschliesst, exclut de cette relation analytique tout faux-semblant, toute duperie. C’est très riche, une phrase comme celle-là. Et tout de suite, dans les lignes qui viennent, apparaît — malgré le petit salut d’amitié que fait au passage Freud à l’analyste — qu’en somme, il n’y a pas das Analysieren. On est tout prêt ici d’avoir vraiment, on a toute l’apparence de cette fonction qu’est l’acte analytique. Das Analysieren ne veut pas dire autre chose que ce terme que j’ai employé comme titre d’un de mes séminaires. L’acte analytique serait la troisième des professions impossibles, unmöglichen Berufe entre guillemets.
Freud se cite ici lui-même en faisant référence au fait qu’il aurait déjà mentionné — où l’a-t-il dit ? ma recherche est incomplète, peut-être est-ce dans les lettres à Fliess les trois professions dont il s’agit, et qu’il appelle dans ce passage antérieur Regieren, Erziehen, Kurieren, ce qui est évidemment conforme à l’usage du lieu commun. L’analyse est nouvelle, et Freud la range dans la série par substitution. Les trois professions, si tant est que de professions il s’agisse, sont donc Regieren,
194- Erziehen, Analysieren, c’est-à-dire le gouverner, l’éduquer et l’analyser.
On ne peut manquer de voir le recouvrement de ces trois termes avec ce que je distingue cette année comme constituant le radical de quatre discours.
Les discours dont il s’agit ne sont rien d’autre que l’articulation signifiante, l’appareil, dont la seule présence, le statut existant, domine et gouverne tout ce qui peut à l’occasion surgir de paroles. Ce sont des discours sans la parole, laquelle vient s’y loger ensuite. Ainsi puis-je me dire, à propos de ce phénomène enivrant dit de la prise de parole, que certains repérages du discours dans lesquels cela s’insère seraient peut-être de nature à ce que, de temps en temps, on ne la prenne pas sans savoir ce qu’on fait.
Etant donné un certain style, en usage au mois de mai, de la parole, il ne peut pas ne pas me venir à l’idée que l’un des représentants du petit a, à un niveau qui n’est pas institué dans l’historique mais plutôt dans le préhistorique, est sûrement l’animal domestique. On ne peut plus employer dans ce cas-là les mêmes lettres, mais il est tout à fait clair que ce qui correspond à notre -, il a bien fallu un certain savoir pour le domestiquer — le chien, par exemple, c’est l’aboiement.
On ne peut pas ne pas avoir l’idée que, si aboiement, c’est bien cela, c’est un animal qui aboie, le Si prend un sens qu’il n’y a rien d’anormal à repérer au niveau où nous le situons, un niveau de langage. Chacun sait que l’animal domestique n’est qu’impliqué dans le langage d’un savoir primitif, et que lui n’en a pas. Il ne lui reste évidemment qu’à remuer ce qui lui est donné de plus proche du signifiant S1 - c’est la charogne.
Vous devez tout de même le savoir, vous avez bien eu un bon chien, qu’il soit de garde ou autre, quelqu’un avec qui vous avez eu de la familiarité. Cela, c’est irrésistible, la charogne, ils adorent cela. Voyez la Bathory, une femme charmante, en Hongrie, qui aimait de temps en temps dépecer ses servantes, ce qui est, bien sûr, la moindre des choses qu’on puisse s’offrir, dans une certaine position. Si jamais elle mettait lesdits morceaux un tout petit peu trop près de la terre, ses chiens les lui rapportaient tout de suite.
C’est la face un peu ignorée du chien. Si vous ne le gaviez pas tout le temps, déjeuner ou à dîner, en lui donnant des choses qu’il n’aime que
195- parce qu’elles viennent de votre assiette, c’est cela qu’il vous apporterait principalement.
Il faut faire très attention à ceci, qu’à un niveau plus élevé — celui d’un objet petit a, et d’une autre espèce, que nous essaierons de définir tout à l’heure, et qui nous ramènera à ce que j’ai déjà dit -, la parole peut très bien jouer le rôle de la charogne. En tous les cas, elle n’est pas plus ragoûtante.
C’est ce qui a beaucoup fait pour qu’on saisisse mal ce qui était de l’importance du langage. On a confondu la manipulation de cette parole, qui n’a d’autre valeur symbolique, avec ce qu’il en était du discours.
Grâce à quoi, cela n’est jamais n’importe quand, ni n’importe comment, que la parole fonctionne comme charogne.
Ces remarques ont pour but de vous amener à vous étonner, et au moins à vous poser cette question concernant le discours du maître — comment ce discours, qui s’entend si merveilleusement bien, peut-il avoir maintenu sa dénomination? comme le prouve ce fait, à savoir qu’exploités ou non, les travailleurs travaillent.
Le travail n’a jamais été autant à l’honneur depuis que l’humanité existe. il est même exclu qu’on ne travaille pas.
C’est un succès, ça, quand même, de ce que j’appelle le discours du maître.
Pour cela, il a bien fallu qu’il dépasse certaines limites. Pour tout dire, il en arrive à ce quelque chose dont j ‘ai essayé de vous pointer la mutation. J’espère que vous vous en souvenez, et si vous ne vous en souvenez pas — c’est bien possible —, je vais vous le rappeler tout de suite. Je parle de cette mutation capitale, elle aussi, qui donne au discours du maître son style capitaliste.
Pourquoi, mon Dieu, est-ce que ceci se passe, qui ne se passe pas par hasard ?
On aurait tort de croire qu’il y a quelque part de savants politiques qui calculent bien exactement tout ce qu’il faut faire. On aurait également tort de croire qu’il n’y en a pas — il y en a. Ce n’est pas sûr qu’ils soient toujours à la place d’où l’on peut agir congrûment. Mais dans le fond, ce n’est peut-être pas cela qui a tellement d’importance. Il suffit qu’ils soient, même à une autre place, pour que ce qui est de l’ordre du déplacement du discours se transmette tout de même.
196- Posons-nous maintenant la question de savoir comment cette société, dite capitaliste, peut s’offrir le luxe de se permettre un relâchement du discours universitaire.
Ce discours n’est pourtant qu’une de ces transformations que je vous expose tout au long. C’est le quart de tour par rapport au discours du maître. D’où une question qui vaut bien la peine d’être envisagée — à abonder dans ce relâchement, qui est, il faut bien le dire, offert, est-ce qu’on ne tombe pas dans un piège ? Ce n’est pas une idée nouvelle.
Il se trouve que j’ai écrit un petit article sur la réforme universitaire, qu’on m’avait expressément demandé dans un journal, le seul qui ait une réputation d’équilibre et d’honnêteté, qui s’appelle Le Monde. On avait beaucoup insisté pour que je rédige cette toute petite page à propos de la réorganisation de la psychiatrie, de la réforme. Or, malgré cette insistance, il est assez frappant que ce petit article, que je publierai un jour à la traîne, n’y ait point passé.
J’y parle d’une réforme dans son trou. Justement, ce trou tourbillonnaire, il s’est manifestement agi de faire avec, un certain nombre de mesures concernant l’Université. Et mon Dieu, à se rapporter correctement aux termes de certains discours fondamentaux, l’on peut avoir certains scrupules, disons, d’agir, on peut y regarder à deux fois avant de se précipiter pour profiter des lignes qui s’ouvrent. C’est une responsabilité de véhiculer la charogne dans ces couloirs-là.
Voilà ce à quoi nos remarques d’aujourd’hui, qui ne sont pas courantes, qui ne sont pas communes, doivent être articulées.
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