En octobre, une dizaine de chercheurs français, britanniques et zimbabwéens vont étudier les relations complexes entre les éléphants – de plus en plus nombreux –, les autres herbivores et leurs prédateurs dans le grand parc de Hwange. Dans le parc national de Hwange, au Zimbabwe, les éléphants coulent des jours heureux. Si heureux que leur population est passée en une quinzaine d'années de 15 000 à 35 000 individus, 40 000 en comptant ceux qui vivent en périphérie proche. Une croissance démographique due avant tout à la mise en place de pompes pour maintenir les points d'eau tout au long de l'année et à l'arrêt des abattages en 1986. Si les gestionnaires du parc se félicitent de la bonne forme de l'animal, tout n'est pourtant pas rose dans la meilleure des savanes. Car les autres herbivores, comme les buffles ou les impalas, eux, sont en déclin. La faute aux éléphants ? C'est pour le savoir qu'une nouvelle mission d'étude des animaux du parc (La mission est menée dans le cadre du programme Herd (Hwange Environmental Research Development), lancé en 1999 par le CNRS, le Cirad et le parc national Hwange. Chaque année, trois missions scientifiques se chargent du recueil des données, en avril, octobre et décembre. Herd fait partie de la plateforme de recherche-formation en Afrique australe « Production and Conservation in Partnership » (RP-PCP) (Cirad / CNRS), qui bénéficie du soutien du GDRI « Biodiversité en Afrique australe ») est conduite en octobre par le laboratoire « Biométrie et biologie évolutive » (Laboratoire CNRS Université Lyon 1), en partenariat avec le Centre d'études biologiques de Chizé du CNRS, les universités d'Angers, d'Oxford (Royaume-Uni) et du Zimbabwe, et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Son objectif : décrypter les effets indirects des éléphants sur les espèces avec lesquelles ils cohabitent, en particulier les herbivores et leurs prédateurs. En l'absence de signes d'une quelconque maladie, deux hypothèses ont été émises par les chercheurs pour expliquer le déclin des herbivores. D'abord celle de la compétition. En occupant les meilleures zones du parc, les éléphants obligeraient les autres herbivores à se rabattre sur des habitats aux ressources de moindre qualité. L'autre hypothèse est celle de la prédation, notamment autour des points d'eau. Une précédente étude menée par la même équipe a montré que la présence des éléphants modifiait les horaires d'accès aux points d'eau : certains herbivores sont par exemple contraints de s'abreuver à des heures où les prédateurs sont encore très actifs, devenant ainsi plus vulnérables. « Il pourrait aussi y avoir un effet indirect, qui lierait la prédation à la compétition, observe Hervé Fritz, écologue au LBBE et coordinateur de la mission. Les petits herbivores, plus vulnérables à la prédation, se concentreraient sur les zones les plus sûres pour eux. La compétition entre espèces à ces endroits stratégiques réduirait alors la quantité et la qualité des ressources disponibles. » Le nouveau dispositif mis en place pour comprendre ces relations est impressionnant : les chercheurs équiperont quatre espèces d'herbivores – dix éléphants, dix buffles, quinze zèbres et vingt impalas – et trois espèces de carnivores – trente lions, vingt hyènes et dix lycaons – de colliers dotés d'une balise GPS et d'enregistreurs d'activité et de température. Pour éviter de saturer la mémoire des colliers et de les alourdir avec de grosses batteries, une soixantaine de boîtiers d'enregistrement a été installée autour des points d'eau permanents parsemant les 15 000 km2 du parc. Dès qu'un animal équipé s'approchera à moins d'un kilomètre ou 500 mètres de la mare, le collier transmettra ses données au boîtier au lieu de le faire en continu via les satellites. « Seuls les éléphants, pour qui le poids des colliers n'est pas un problème, sont suivis en continu par satellite », ajoute Hervé Fritz. Les données permettront de mieux appréhender la dynamique spatiale des animaux. Parallèlement, les chercheurs simuleront la présence de prédateurs à différents points d'eau par des cris de chasse préenregistrés ou des crottes fraîches afin d'observer la réaction des proies. C'est l'obtention d'un financement ANR Blanc qui a permis le développement de ce programme original : jamais autant d'espèces terrestres de prédateurs et de proies n'avaient été suivies simultanément dans le temps et dans l'espace. Et si les éléphants sont bel et bien la cause du déclin des autres herbivores ? « Plusieurs solutions s'offriront aux gestionnaires du parc, répond Hervé Fritz. Ils peuvent prendre acte du changement du système et l'accepter puisque nous prévoyons une stagnation de la population des éléphants. Ils peuvent aussi utiliser des éléments du paysage, par exemple fermer certains points d'eau, pour mieux structurer l'habitat et réguler les populations. Enfin, ils peuvent décider de reprendre l'abattage. Mais il s'agirait alors d'un abattage raisonné, valorisant au maximum les bêtes tuées pour l'alimentation. Dans un contexte de changement global (aridification et expansion de l'agriculture), la compréhension du fonctionnement de ces grandes aires protégées est un enjeu qui dépasse la conservation de la biodiversité. »
Fabrice Demarthon
Contact Hervé Fritz fritz@biomserv.univ-lyon1.fr
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Agrochimie La force est dans la plante
Pour remplacer les traitements chimiques utilisés par des agriculteurs, des chercheurs ont mis au point et breveté une molécule qui stimule les défenses naturelles des plantes.Toxicité, pollution des nappes phréatiques, dégradation des sols… La liste des méfaits des traitements chimiques utilisés en agriculture fait toujours autant frissonner. Or depuis des années, de nombreux groupes de recherche s'attachent à développer des alternatives propres sans vraiment parvenir à combiner développement durable et culture intensive. Le problème est pourtant crucial, notamment en viticulture où les traitements phytosanitaires nuisent, en prime, à l'image des vignobles de renom. Sur les paillasses de l'Institut des biomolécules Max Mousseron (IBMM) (Institut CNRS Universités de Montpellier1 et 2) de Montpellier, une stratégie novatrice de protection des plantes est au point : plutôt que de combattre le pathogène comme le ferait un pesticide, de nouvelles molécules biodégradables et non toxiques viennent stimuler les défenses naturelles des végétaux, de façon préventive, contre les bactéries, virus et champignons. Ce produit breveté était présenté en juin dernier au Salon européen de la recherche et de l'innovation, et l'équipe a reçu en 2007 le trophée Inpi de l'innovation en Languedoc-Roussillon. Comment fonctionne ce nouveau traitement ? « Il s'agit de fournir à la plante une substance jouant le rôle de signal pour stimuler ses mécanismes naturels de défense. Un “éliciteur”, de nature peptidique », précise Florine Cavelier, directrice de recherche CNRS à l'IBMM. À l'origine du projet, la chercheuse avait d'abord constaté cet effet chez une famille de molécules : des peptides synthétisés par des champignons Trichoderma. Problème : ils sont difficiles à produire et donc trop onéreux pour l'agrochimie. « Nous avons alors regardé cette molécule comme un objet et non plus comme une structure chimique complexe. Nous avons cherché à fabriquer un peptide simplifié, dont la structure se rapprocherait au maximum de celle des peptides naturels pour qu'il réussisse tout de même à stimuler les défenses de la plante », continue-t-elle.Résultat, l'équipe a fabriqué un composé au nom de code « Lapp 6 ». Sa capacité à induire une protection a d'abord été testée en laboratoire à faibles doses sur des plans de melons, concombres et sur de jeunes pieds de vigne. Le succès fut au rendez-vous, puisque deux marqueurs précoces de la stimulation des défenses naturelles ont été rapidement détectés. Ensuite, cette substance a aussi été améliorée pour renforcer la lutte contre des agressions spécifiques : mildiou ou oïdium, notamment pour la vigne. Finalement, en 2005, des essais homologués ont été réalisés en plein champ sur des vignes dans trois vignobles en Bourgogne, Loire-Atlantique et Languedoc. Le traitement, appliqué par vaporisation sur les feuilles, a permis une protection significative des grappes, malgré une action moins marquée sur les feuilles.Dès 2001, l'équipe de l'IBMM avait décidé de breveter son projet, puis d'étendre le brevet à l'international en 2003. Aujourd'hui, l'innovation appartient au CNRS et à la société De Sangosse d'Agen, spécialiste des solutions phytosanitaires. Pour autant, le travail n'est pas fini : « Nous tentons d'analyser notamment la stabilité du produit dans le temps, son interaction dans le milieu environnant et sa formulation exacte », annonce Florine Cavelier. Déjà, des critères assurent dans tous les cas au Lapp 6 une entrée sur le marché de l'agriculture raisonnée : sa facilité de synthèse, son activité à des doses très faibles, sa non-toxicité et sa biodégradabilité.