Elaboration des règles de gestion
L'évolution des niveaux d’exposition admis doit être mise en relation avec trois questions : le statut de la valeur limite d'exposition, la notion d'acceptabilité, et le principe d'optimisation. En parallèle, la notion de “ dose ” a beaucoup évolué.
Le concept de dose n'a rien d'évident et son statut actuel induit souvent en erreur. Aujourd'hui la "dose efficace", unité dans laquelle sont exprimées les principales limites, n'est pas une grandeur physique, mais un indicateur pondérant diverses expositions (à divers organes, selon divers types de rayonnements), en fonction de leurs effets supposés et de jugements de valeur sur leur gravité (1 décès par cancer radioinduit équivaut par exemple à une anomalie grave dans la descendance). Elle est plus proche d’un outil de gestion que d’une grandeur physique.
Les limites s'appliquent donc à des “ doses ” différentes, et elles ont eu des objets différents. Les premières limites visaient à éliminer le risque. La première mesure de la "quantité de rayons X" a été adoptée en 1928, basée sur l'ionisation de l'air, elle a été baptisée Röntgen (r puis R). D'autres chercheurs avaient tenté de définir une SED (Skin Erythema Dose) dans les années 20. Ainsi, dès le début, il a fallu mettre ensemble les approches physiques et des approches biologiques de la dose ; on a pu estimer qu'un SED correspondait à environ 600 r (plus tard cette dose a été estimée à 500 rad ou à 500 rem pour des rayonnements X ou gamma et enfin à 5 Gy ou 5 Sv). La première valeur de la CIPR (Zurich en 1934), de 0,2 Röntgen par jour correspondait à environ 500 mSv par an. On parlait alors de "dose tolérée".
En 1941, la notion de "dose maximale admissible" est proposée aux Etats-Unis, pour signifier que la limite n'est plus une garantie absolue. Celle-ci est ramenée à 0,05 r par jour par le National Council on Radiation Protection and measurement (NCRP, vers 1946 suivi par la CIPR en 1950), correspondant donc à environ 125 mSv par an, en particulier par crainte des effets héréditaires. La notion de "limite de dose pour le public" fût proposée en 1949 (Conférence EU, RU, Canada) pour la première fois et fixée à Harriman en 1953 (1,5 Röngten par an, environ 15 mSv, soit environ 1/10 de la dose travailleur).
Les premiers concepts ne permettaient pas de gérer en même temps les incorporations de Radium (une limite de 0,1 µg a été proposée en 1941). La notion de cumul n'était pas explicite et les doses étaient exprimées sur des bases hebdomadaires ou mensuelles.
En 1958, lors de la première recommandation de la CIPR, les concepts actuels étaient élaborées. La dose "physique" était le rad, correspondant à l'ionisation des tissus et non plus de l'air (1 rad = 0,01 Gy = 0,01J-kg-1), une première équivalence biologique était le rem (on avait noté que les neutrons et les particules étaient "biologiquement" plus efficaces) et la notion de cumul était introduite avec des limites portant sur la vie entière. La notion de dose collective, supportée par le risque d'effets génétiques, était aussi développée. Les calculs permettaient de relier les concentrations le radionucléide dans le corps et des doses et donc de convertir des rems en concentration admissibles. La notion de "dose en corps entier" était esquissée, mais ne fonctionnait que dans le cas où “ les organes recevaient une dose sensiblement équivalente ”.
Le souci de limiter les "effets génétiques" ou "effets héréditaires" a conduit à deux innovations (formulées par la CIPR dans ses recommandation de 1958). La valeur limite pour les organes reproducteurs n'est qu'un “ plafond ”, résultat d'un arbitrage entre coût et bénéfice. La notion de "dose collective" est introduite indirectement. Une limite 5 rems (50mSv à l'organe) s'applique à la dose moyenne à la population (pondérée par la descendance attendue). Le système est basée sur une relation linéaire sans seuil. La notion d'acceptabilité (ici sanitaro-socio-économique) est introduite et associée à la limite. La CIPR juge que ces valeurs imposeraient un "fardeau considérable à la société" du fait des dommages héréditaires, mais qu’il est "tolérable... au vu des bénéfices attendus de l'énergie nucléaire". La nécessité de maintenir les doses "aussi bas que possible" est soulignée.
Pour l'ensemble des autres risques, la "dose permissible" doit maintenir le risque à un niveau "négligeable", qui au niveau des populations ne serait détectable que "par des méthodes statistiques appliquées à de large groupe", et resterait "probablement caché par les variations biologiques normales". Il s'agit là d'une deuxième notion d'acceptabilité, différente de la précédente, liée à la "non détectabilité" ([CIPR 1958] §31). En revanche, absence de seuil, et absence de "réparation" des organes même longtemps après l'exposition sont postulées en tant qu'hypothèses prudentes. Les limites sont plus strictes pour les gonades, les organes hématopoïétiques et la cornée (0,1 rem par semaine, environ 50 mSv par an). Pour les groupes de riverains (à cause des enfants) la limite pour ces organes est fixée à 0,5 rem par an (5mSv).
Par la suite, la relation linéaire sans seuil prend une importance croissante, et le "risque" de cancer radio-induit est jugé plus important que les effets héréditaires. La publication 26 de la CIPR de 1977 [CIPR 1977] formalise alors le système, avec des coefficients de pondération par organe et par type de rayonnement. Le concept de dose central devient la "dose efficace au corps entier" ; il ne s'applique pas pour l'estimation des effets aigus pour lesquelles les doses aux organes restent seules pertinentes. Il permet de gérer de façon uniforme toutes les situations d'exposition, au prix de hypothèses parfois fortes (par exemple que le débit d'exposition n'influe pas sur la cancérogenèse) que la pratique tend à faire oublier.
La recommandation 26 confirme une limite à 50 mSv (sur la notion de "équivalent de dose efficace au corps entier ”). Pour la première fois elle associe un risque à cette limite (environ 10-3 pour un an d'exposition). C'est donc une limite basée sur l'acceptabilité, celle-ci étant définie par comparaison avec le risque des travailleurs dans les industries "sûres" (et sous l'hypothèse que la dose moyenne des travailleurs n'est que 1/10 de la limite), et le risque est calculé avec une relation dose effet définie comme "raisonnablement prudente". Sauf pour les effets aigus, le caractère protecteur des limites est définitivement rejeté et le terme acceptable est utilisé.
Le principe d'optimisation -"toutes les doses doivent être maintenues aussi bas que raisonnablement possible" -est intégré à la recommandation, dont il constitue une pièce maîtresse.
La nouvelle recommandation de 1990 (publication 60 de la CIPR [CIPR1991]), outre la baisse des limites (20 et 1 mSv par an moyenne sur 5 ans), ne qualifie plus les valeurs limites comme “ acceptables ” mais comme “ frontière de l'inacceptable ”. Les expositions ne sont acceptables que si elles sont en-dessous des limites et si elles ont été réduites aussi bas que raisonnablement possible. Acceptabilité et optimisation sont ainsi liées et l'acceptabilité ne se juge donc plus en termes de niveaux de risque mais sur la qualité de la gestion du risque. Le texte contient de longs développements sur la façon de juger de l'optimisation et d'en encadrer les pratiques. On peut aussi noter que des notions comme le dose génétique significative ont disparu. Les hypothèses ne sont qualifiées de prudentes que très rarement. La nécessité de réévaluer le coefficient de risque ayant rendu la CIPR prudente face à de telles affirmations.
Valeurs limites, notions de dose et d'acceptabilité ont été modifées au cours du temps, pour aboutir à nos systèmes de "gestion du risque en risque acceptable" dont les grandes lignes sont décrites ci-après.
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