Les telephones mobiles



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Conclusion


Le système de protection radiologique s’est construit progressivement sur une période de plus d’un siècle. Les avancées des connaissances scientifiques ont accompagné le développement de concepts et de règles de gestion. Les rayonnements sont aujourd’hui traités comme un cancérogène sans seuil (ou à “ seuil inaccessible ”) et ubiquitaire. Comme souvent dans ce cas, les Valeurs Limites d’Exposition ne visent pas un risque nul. Dans le cas des rayonnements, il est sans doute assez original d’avoir défini la V.L.E. comme frontière de l’inacceptable et d’exiger le maintien des doses “ aussi bas que raisonnablement possible ”. La force du système de radioprotection vient de ce que les moyens de réaliser au quotidien une telle “ optimisation ” sont disponibles. Pour ce faire, l’engagement des partenaires a été nécessaire, mais il ne faut pas négliger le rôle joué par des organisations internationales qui ont su devenir le point de passage des principales synthèses scientifiques.

On peut considérer ce système comme un exemple caractéristique de “ gestion du risque en risque acceptable ”, mais il ne s’agit pas forcément d’une solution adaptable à toutes les situations. Les options prises peuvent être contestées pour elle-mêmes, ou parcequ’elles ne s’adaptent pas à d’autres situations. En particulier, la possibilité de disposer d’un bilan dosimétrique est assez spécifique et l’équivalent n’est pas toujours disponible dans d’autre domaines. En tout état de cause, le fonctionnement de ce système est le produit d’une histoire assez ancienne, et l’enseignement principal de cette analyse est l’importance et la constance de l’effort qu’il faut fournir pour rendre opérationnels les principes de gestion que l’on se donne pour maîtriser un risque.

II. Discussion avec le groupe d’experts

Q : A partir de quel moment s’est établi le consensus sur la forme de la fonction dose-réponse ? D’autre part, tous les effets font-ils aujourd’hui l’objet d’un consensus ?

R : Certains effets ne sont pas contestés mais ont disparu du débat. Il s’agit par exemple des retards mentaux des enfants exposés in utero ou des effets sur la croissance. Les effets présents dans le champ du débat sont les effets génétiques et les cancers.

La relation dose-effet entre radiation et cancer a été établie à partir de données humaines dans les années 70. Cette relation permet de quantifier le risque. En termes de gestion, on a commencé à parler d’acceptabilité du risque et de limites non atteignables dans les années 70. La gestion a démarré avec des limites de type déterministe. On voulait que les doses soient suffisamment faibles pour qu’il n’existe pas d’effets déterministes. Jusque dans les années 60, la norme d’exposition aux rayonnements est restée le dixième de la dose d’apparition des érythèmes à la peau. Dans les années 50, d’autres phénomènes ont émergé et ont été pris en compte. Il est apparu que la norme ne donnait pas un risque nul et qu’elle devait être jugée en termes d’acceptabilité. La CIPR de 1958 a développé tous ces concepts. La prise en compte de la dose collective d’exposition des populations était fondée sur les effets génétiques, c’est-à-dire sur les effets sur la descendance. On supposait qu’il était indifférent d’avoir peu de gens très exposés, c’est-à-dire avec un matériel génétique très abîmé, ou beaucoup de personnes peu exposées, et on a pris en compte des doses collectives. Les limites étaient déterminées de façon à ce que le fardeau soit acceptable pour la société. Un peu plus tard, le même type de raisonnement s’est appliqué au cancer. Au niveau de l’individu, la probabilité de développer un cancer n’est jamais nulle. Il faut donc définir des limites à un niveau acceptable mais qui ne garantissent pas un risque nul. Pour déterminer ce risque acceptable, on se sert de la relation dose-effet. En 1972, la Commission Internationale de Protection Radiologique a sorti son système de gestion du risque tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce système repose sur trois principes. Premièrement, les limites ont pour but d’éliminer les effets aigus et de maintenir à un niveau acceptable les effets génétiques et les cancers. Le deuxième principe est que le respect des limites pour les effets sans seuil ne garantit pas l’acceptabilité. Il faut donc aller aussi bas que raisonnablement possible. Le troisième principe est le principe de justification : il ne faut pas exposer des gens lorsque cela ne sert à rien. Par exemple, il n’est pas justifié de doper des bijoux avec des neutrons pour qu’ils soient plus brillants.

Q : Le voisinage d’une centrale nucléaire pour les habitants se situe-t-il à la limite de ce dernier principe ?

R : La question de la justification se pose au niveau de l’énergie nucléaire. Est-il justifié d’avoir une telle pratique, c’est-à-dire une activité humaine qui crée des doses ? La réponse est éminemment politique.

Q : Le premier constat selon lequel, dans le domaine des effets génétiques, il n’existe pas d’exposition sans risque, et le second principe, qui consiste à aller aussi bas que possible (ALARA) sont-ils indissociables ? L’existence de ce second principe est-elle liée au consensus sur l’existence d’effets sans seuil ? Ce point est important du point de vue de l’extrapolation de cette logique au domaine de la téléphonie mobile.

R : Je pense qu’il existe une ambiguïté sur le mot risque. Dans le domaine des rayonnements ionisants, le risque était une certitude pour les chercheurs. La notion de dose a été inventée peu à peu dans le domaine des rayonnements ionisants. Il existe une grandeur physique qui est le J/kg déposé par les rayonnements ionisants. Cette grandeur ne sert ni à gérer, ni à évaluer. Une dose efficace, totalement artificielle, a été inventée. Cette dose reconstruite intègre les relations dose-effet. On a remarqué que les neutrons étaient plus efficaces que les rayons gamma, qui sont eux-mêmes un peu moins efficaces que les rayons X. Les rayonnements sont donc assez différents. Un système de pondération de ces rayonnements a été mis en place à partir de données in vitro et de données animales. Pour la gestion, la notion de dose équivalente au corps entier a été introduite afin de pouvoir comparer une irradiation au poumon, à la thyroïde ou ailleurs. La réponse de chacun de ces organes étant différente, la dose de chaque organe a été pondérée par cette réponse. La dose couramment utilisée pour les rayonnements ionisants s’appelle ainsi le Sievert. Il s’agit d’une équivalence en risque des expositions de différents organes à différents rayonnements.

Le système est allé récemment au bout de sa logique avec le radon puisqu’avec le radon, le calcul d’une dose n’est plus un préalable. En revanche, les chercheurs disposent d’un lien direct entre le produit concentration-temps auquel les personnes sont exposées et les risques. Par conséquent, ce produit concentration-temps est transformé en dose sur la base de l’équivalence en risque. L’unité d’exposition au radon, qui est le Bq/m 3 équivalent par le temps passé, donne un risque. La relation dose-effet d’Hiroshima permet de dire que tel risque est équivalent à tant de milliSieverts. Nous ne passons donc même plus par le calcul d’une dose au sens physique du terme.

En qui concerne la relation dose-effet, il me semble qu’il faut distinguer deux choses. En effet, il existe deux relations différentes. La première est celle que l’épidémiologiste ajuste sur ses données et la seconde est celle qui est utilisée pour prédire. Ces deux relations ont éventuellement la même valeur mais pas du tout le même statut.

Dans le domaine des rayonnements ionisants, j’ai classé trois types d’études. Certaines études permettent de quantifier. Dans ces études, les doses et les effets sont assez bien connus. Les intervalles de confiance sur les coefficients de risque sont relativement faibles. Il est donc possible de quantifier un coefficient de risque primaire. D’autres études ne disent rien du tout. Enfin, le troisième type d’études se situe entre les deux. Les travaux les plus connus de cette catégorie sont des études où on n’est pas capable de progresser pour quantifier la relation dose-effet parce que les doses sont trop mal connues ou parce que les intervalles de confiance sont trop élevés. Les études sur les cancers de la thyroïde après l’accident de Tchernobyl font partie de cette catégorie. Sans aucun doute, l’augmentation de ces cancers est prouvée. Pour autant, les chercheurs n’ont pas pu tirer grand chose sur la quantification des risques car les doses restent très mal connues. Certaines études sur les travailleurs du nucléaire sont un peu dans ce cas-là. Les intervalles de confiance sont tellement énormes qu’ils ne permettent pas de progresser dans les discussions sur la relation dose-effet. Il existe donc toute une série d’études qui ont un statut intermédiaire. Elles n’apportent que des informations qualitatives mais sont très importantes.

La construction de la relation dose-effet s’appuie sur trois éléments : le travail épidémiologique strict, le travail d’inférence et d’extrapolation, le choix et la décision sur la mesure de l’effet. Le travail épidémiologique strict peut intégrer certains problèmes de gestion. Si mes données épidémiologiques comportent un certain nombre de paramètres, il est impossible d’ajuster sur tous les paramètres. Des soucis de gestion peuvent faire que je vais m’intéresser davantage au paramètre de l’âge qu’aux autres. Le travail d’inférence et d’extrapolation peut être assez sophistiqué lors du travail sur des données humaines. Tout un travail est réalisé pour savoir si les relations sont transposables entre populations différentes et entre particules différentes. La relation dose-effet donnée est parfois différente de la relation ajustée sur les données. Pour les rayonnements ionisants, la relation observée dans les situations aiguës est divisée par deux pour l’application autour des sites ou aux travailleurs. Ceci s’explique par un effet réducteur de deux du débit de dose. Cet effet est à la fois endogène et exogène. D’une part, certaines courbes sont linéaires quadratiques. Dans certaines expérimentations animales, des points permettent de voir qu’à dose constante, suivant le débit, les animaux réagissent plus ou moins. Enfin, le travail de choix sur la mesure de l’effet est souvent négligé alors qu’il joue beaucoup. Dois-je prendre mon effet normatif sur une population mélangeant hommes et femmes, sur une population mélangeant des hommes issus de différentes régions du monde ? La variable retenue doit-elle être la perte d’espérance de vie, la probabilité d’induire un cancer sur la vie ? Selon les choix effectués, la différence peut-être de facteur trois ou quatre.

Le document 2 (p.7) [cf annexes] présente la façon dont est construite la relation dose-effet par les commissions. Les institutions, telles l’Académie des Sciences des Etats-Unis, l’UNSCEAR ou la CIPR vont construire une relation dose-effet en se fondant sur les évidences épidémiologiques, les évidences animales ou les évidences théoriques. L’Académie des Sciences des Etats-Unis montre les hypothèses qu’elle a écartées et montre le mélange de données animales et de données humaines, les règles de décision adoptées et celles qui n’ont pas été prises. Les stratégies des institutions sont un peu différentes. La CIPR et l’UNSCEAR se basent essentiellement sur Hiroshima et Nagasaki pour déterminer des coefficients. Ces derniers sont critiqués à partir d’autres études mais sans faire d’analyse conjointe. Ils sont ensuite modifiés à partir de données animales puis appliqués à un mélange de population. Les institutions peuvent ensuite affirmer : il y a 5 % de décès pour une exposition à 1 Sievert.



Audition de J.P. VAUTRIN


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