Ce n’est pas avec la série 9820 que HP commence sa diffusion de calculateurs programmables. Depuis le milieu des années 1960, en effet, avec sa première série de calculateurs, les HP 9100, la firme américaine propose déjà une prise en charge des expressions arithmétiques complexes, avec la notation polonaise inversée, cela au moyen de registres d’opérandes. De plus, des programmes incluant essentiellement des conditionnelles (IF…THEN…) avec cinq niveaux de sous-routines peuvent être écrits lignes à lignes et mémorisés1. Mais ce qui est tout à fait nouveau dans la série 9820 tient au fait qu’elle présente un calculateur de bureau entièrement algébrique. C’est-à-dire que le rapport que l’on entretient avec la machine n’oblige plus l’utilisateur à abandonner sans cesse ses notations mathématiques formelles ou algébriques familières pour les rendre opératoires dans la machine : un compilateur2 est intégré. On peut donc converser avec elle en gardant dans ce dialogue les notations usuelles : parenthèses, règles implicites usuelles sur l’ordre des calculs. Même en mode direct, c’est-à-dire non programmé, c’est désormais la machine qui s’occupe d’interpréter la formulation du calcul en notation inverse polonaise (RPN). Ainsi, grâce à un interpréteur, elle peut aisément rappeler à l’écran, c’est-à-dire décompiler, ce qu’elle a auparavant mémorisé sous format RPN. Les fonctionnalités de programmation sont également considérablement étendues. On y trouve de nouvelles instructions : « ENT » grâce à laquelle l’utilisateur du programme peut entrer une valeur3 sans qu’il lui soit nécessaire d’arrêter le programme pour intervenir directement dans la liste (ou listing), « PRT » commande une impression de résultat sur l’unique ligne de 16 LEDs (diodes électroluminescentes) de l’écran4, « GTO » commande un saut conditionnel (ou non) qui peut renvoyer à un numéro de ligne ou à un label, la flèche « → » commande l’assignation d’une valeur au contenu d’un registre même si ce qui précède la flèche est une expression algébrique complexe encore à évaluer et faisant intervenir d’autres registres mémoires (exemple : « 2 + 4.A → C »). Enfin, une des grandes nouveautés de cette machine est la référence indirecte puisqu’on y trouve des registres R(i) numérotés de R(0) à R(172). Les registres R(i) et leurs contenus peuvent donc être appelés ou modifiés en fonction d’une expression encore à évaluer par le calcul (exemple : « R (2+4.A) → C »). Ces deux dernières propriétés, en particulier, justifient l’appellation de « calculateur pleinement algébrique » employée par HP pour désigner sa nouvelle machine. À titre indicatif, pour son programme de synthèse finale de 1976 (d’une longueur totale de 26 lignes1), de Reffye se sert de 11 registres mémoires alors que les machines Monroe de l’époque, même si elles peuvent proposer en accès direct plusieurs fonctions mathématiques transcendantes assez complexes, ne présentent au mieux que deux registres mémoires et ne sont pas programmables. C’est bien en outre le caractère programmable de ces machines électroniques de bureau qui leur permet de servir à la conception de modèles de simulation. Comme nous l’avons vu, la programmabilité ajoute en effet la gestion d’opérations logiques à celle des opérations arithmétiques. Des modèles faiblement mathématisés, c’est-à-dire le plus souvent non analytiques, peuvent donc être supportés par de telles infrastructures2.
Table des encadrés
Avant-propos 4
INTRODUCTION GENERALE 7
Remerciements 25
PREMIERE EPOQUE : LE DERACINEMENT 26
Introduction : les commencements 27
Morphologie et phyllotaxie géométrique 28
La géométrie spirale : description précise mais sans explication ni application 29
La mathématisation des formes du vivant : une curiosité 31
La critique de toute idéalisation mathématique : les « hélices foliaires » de Plantefol 33
CHAPITRE 1 - La « loi mathématique » hypothétique de R. A. Fisher (1922) 38
La signification de la mathématisation chez R. A. Fisher 41
Esprit étroit et information 42
Le rôle d’un infini hypothétique dans le modèle statistique 44
Le causalisme faible de Fisher 45
La modélisation de la croissance des plantes selon Fisher 49
L’analyse ou réduction de la variance 50
Précision de l’indéterminisme : critique des premières formules mathématiques générales (1921) 51
CHAPITRE 2 – La loi d’allométrie : de la mesure absolue à la mesure relative 56
Les « interprétations chimiques » 58
Les interprétations métaboliques : Bertalanffy (1932) 62
Les « lois élémentaires » de la croissance 65
L’allométrie ou la « loi quantitative » de la « croissance relative » 67
Une loi d’abord empirique, puis physiologiquement interprétée et légitimée 69
Signification épistémologique du passage à l’allométrie 71
Prenant et Teissier : un physiologisme dialectique 72
Bilan : loi hypothétique et mesures relatives 75
CHAPITRE 3 – La bio-« mécanique » de d’Arcy Thompson (1917-1942) 77
Le développement des théorisations physicalistes de la morphogenèse 77
Les postulats de d’Arcy Thompson sur le « pouvoir » des mathématiques. 78
Cause et analogie ne sont toutes deux que des « liens » entre les phénomènes 79
Combiner et généraliser : la symbolisation à double effet synthétique 81
Le « gnomon » au principe de la spirale logarithmique : la loi géométrique la plus simple 84
La forme des feuilles et la ramification 84
CHAPITRE 4 – La bio-« hydraulique » de Cecil D. Murray (1926-1930) 86
La ramification vasculaire (1926-1927) 86
La loi de Jean-Léon Poiseuille (1799-1869) 88
Le principe du travail minimum en physiologie morphologique 88
« Modèle » inexpliqué ou « loi » fondée sur une « foi » en l’optimalité de la nature ? 90
CHAPITRE 5 – La « biophysique » de Nicholas Rashevsky (1931-1954) 93
Le premier Rashevsky (1931-1948) et le projet de la « biophysique » : un réductionnisme 94
Forme et mécanisme de division de la cellule 97
Physicalisme unitaire et convergence avec le « positivisme logique » de Rudolf Carnap 99
La période des essais tous azimuts 102
De la mécanique de la cellule à la forme complexe des métazoaires 104
La proposition de « principes formels et généraux » 107
De deux à trois horizons de formalisation : insérer des principes intermédiaires 108
Application à la forme des animaux puis des plantes 110
Des résultats pas entièrement en cohérence avec l’objectif initial 111
CHAPITRE 6 - La bio–« physique d’ingénieur » de David L. Cohn (1954) 113
Un prise de conscience venant de l’embryologie chimique 114
L’optimisation du tout passe par l’optimisation des parties 116
CHAPITRE 7 - L’axiomatisation de la biologie par Joseph Henry Woodger (1937) 119
Le contexte philosophique 120
La morphologie : atomisée et logicisée 125
Carnap, Woodger et Rashevsky (1936-1938) : convergence et bifurcation 125
La méthode axiomatique en biologie 126
Le système axiomatique biologique « (P, T, org, U, etc.) » 127
Le cas de l’embryologie : augmenter la complexité sans recourir au vitalisme 128
Complexifier la « théorie des homologies » de d’Arcy Thompson 131
Conclusion : formalisations de la morphogenèse avant l’ordinateur, déracinement et résistances 134
La biophysique unitaire et les biophysiques régionales 134
Bilan sur les théories et les modèles de la morphogenèse avant l’ordinateur 137
Statuts des divers formalismes avant l’ordinateur 139