En complément de cette séance, cf. la conférence de Albert Jacquard sur webTV.insa-lyon.fr
Pourquoi de simples soldats allemands, mariés et pères de famille, ont-ils exécuté les ordres donnés par leurs supérieurs, ce qui a conduit à l’extermination de 5 millions de Juifs ?
Pourquoi de simples soldats allemands, mariés et pères de famille, ont-ils exécuté les ordres donnés par leurs supérieurs, ce qui a conduit à l’extermination de 5 millions de Juifs ?
Pourquoi des cheminots ont-ils conduit les trains vers Auschwitz, alors qu’ils savaient que des êtres humains, de tous âges, étaient entassés dans des wagons plombés ?
Non.
Non.
Ils ont évoqué : la peur, l’obéissance aux règles, le fait qu’ils n’étaient que des rouages, etc.
Certes…
… Mais étaient-ils ou non responsables ?
Entre mars 1942 et septembre 1943, Franz Stangl fut le commandant des camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka.
Entre mars 1942 et septembre 1943, Franz Stangl fut le commandant des camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka.
Entre avril et juin 1971, il accorda dans sa prison de Düsseldorf une série d’entretiens à Gitta Sereny.
À sa question de savoir s’il éprouva par la suite des scrupules, Stangl lui répondit:
« Pendant longtemps. Après les deux ou trois premiers jours, j’ai dit à Reichleitner que je ne pensais pas que je pourrais supporter ce travail. Entre-temps, j’avais appris que le policier qui avait occupé ce poste avant moi avait été relevé à sa demande parce qu’il éprouvait des douleurs d’estomac. Moi non plus je ne pouvais pas manger. On ne pouvait tout simplement pas. »
C’était une question de survie, toujours de survie. Tout ce que je pouvais faire, alors même que je poursuivais mes efforts pour en sortir, était de limiter mes propres actions dont, en toute conscience, j’avais à répondre. A l’école de formation de la police, on nous avait enseigné - je m’en souviens, c’était Rittmeister qui répétait toujours cela - que la définition d’un crime devait réunir quatre conditions: il devait y avoir un sujet, un objet, une action et une intention. Si l’un de ces éléments manquait, alors nous n’avions pas affaire à un délit punissable.
Gitta Sereny : Je ne vois pas comment vous pouviez sérieusement appliquer cette définition à votre situation !
« Dans de pareilles circonstances, ce ne sont pas les intentions de la conscience qui importent, mais les actes. Aucun tribunal n’a jamais accepté que la restriction mentale constitue un argument de défense recevable. La notion même de responsabilité signifie que nous avons à répondre de nos actions, que nous ayons ou non agi en plein accord avec nous-mêmes et il en est ainsi, non seulement du point de vue pénal, mais également du point de vue moral: Il n’est pas nécessaire qu’on ait agi de bon gré, qu’on ait adhéré intérieurement à son acte ou qu’on ait désiré ou voulu les conséquences de son acte pour en être responsable. On est donc notamment responsable des actes accomplis sous la menace. Car, s’il est vrai que dans ce cas on agit à contrecœur, on agit malgré tout intentionnellement, dans un but précis qui est d’éviter qu ‘autrui réalise le mal dont il nous menace. (Dictionnaire d’Ethique et de Philosophie Morale, P.U.F.) ».
… le problème du mouvement des personnes emprisonnées dans les camions à gaz nazis et qui se déportaient, hurlant d’horreur en arrière du camion ?
… le problème du mouvement des personnes emprisonnées dans les camions à gaz nazis et qui se déportaient, hurlant d’horreur en arrière du camion ?
Cf. le film de Nicolas Klotz, à partir du roman de François Emmanuel, La Question humaine…
Répondons par le raisonnement suivant…
à se demander ce qu’ils font et vont faire (et pourquoi…),
Et à porter un jugement sur leurs actions et celles d’autrui
d’identifier différents cours d’action, parmi d’autres cours d’action possibles,
d’identifier différents cours d’action, parmi d’autres cours d’action possibles,
d’évaluer leurs conséquences (même s’ils dont dotés d’une « rationalité limitée » : ils savent grosso modo, sans plus, ce que leur faire peut faire…)
= Ils sont donc capables de reconnaître leur responsabilité dans les choix de ces scénarios…
Et un tiers (un juge, par ex.) peut leur attribuer cette responsabilité (leur imputer, donc).
L’imputation : le fait d’attribuer à quelqu’un une action…
L’imputation : le fait d’attribuer à quelqu’un une action…
Vient de imputare, porter au compte de (en comptabilité, on impute une dépense à un compte, putare)
Donc : la responsabilité = une imputation qui établit ex post (quand l’action X a eu lieu et qui a entraîné les conséquences Y) une relation de causalité entre cette action X, attribuée à un auteur Z, et ses conséquences.
Cette responsabilité s’étend par anticipation envers un être ou une chose : par exemple, le développement durable = la reconnaissance de notre responsabilité collective envers des êtres à venir (les prochaines générations).
Cette responsabilité s’étend par anticipation envers un être ou une chose : par exemple, le développement durable = la reconnaissance de notre responsabilité collective envers des êtres à venir (les prochaines générations).
Ex : être « responsable » d’un groupe de randonneurs quand on est « responsable au CAF, Club Alpin Français » = répondre de ses actions et décisions (choix d’un itinéraire, interprétation de la météo, vérification de l’assurage des personnes lors de l’escalade de la voie, etc.) au regard de leurs conséquences pour quiconque placé sous cette responsabilité.
La formule de Georgina Dufoix, ex-ministre des affaires sociales et de la santé sous le gouvermement Fabius en 1984-1985 à l’époque de l’affaire du sang contaminé :
La formule de Georgina Dufoix, ex-ministre des affaires sociales et de la santé sous le gouvermement Fabius en 1984-1985 à l’époque de l’affaire du sang contaminé :
« Responsable, mais pas coupable ! »
Peut-on être l’un sans être l’autre ?
Seule une personne peut être reconnue « responsable » de son action ; pour une chose : aucune imputation possible !
Cette possibilité de porter au compte d’un individu une action (la lui imputer) le définit comme un individu, un être de raison, avec une volonté autonome…
« Une personne est ce sujet dont les actions sont susceptibles d’imputation. La chose est ce qui n’est susceptible d’aucune imputation » (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785).
« Imputabilité » : la possibilité d’attribuer une action à un individu. Si celle-ci est criminelle, il y a eu transgression de la loi, un tort fait à la loi. Ce crime doit donc être puni car l’individu a contrevenu à la loi. Et tout se passe entre lui et la loi…
« Imputabilité » : la possibilité d’attribuer une action à un individu. Si celle-ci est criminelle, il y a eu transgression de la loi, un tort fait à la loi. Ce crime doit donc être puni car l’individu a contrevenu à la loi. Et tout se passe entre lui et la loi…
Ex. : le meurtrier d’une jeune fille. Il a fait souffrir, la loi le condamne à la prison à vie, car il doit également souffrir (et sa souffrance est censée effacer celle de sa victime – « il doit payer », dit-on).
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire ?
L’ancien modèle de démocratie, avec une confrontation organisée autour de partis politiques et de « projets de société », a laissé la place à une démocratie « judiciarisée ». Pourquoi ?
Du fait de la l’opacité et de la complexification des processus et des structures de décision, il est de plus en plus difficile de savoir qui est vraiment responsable de telle décision.
Puisqu’il y a trop de « parties prenantes » dans chaque affaire, que les enjeux et les intérêts sont entremêlés, que les hommes politiques s’estiment « responsables mais pas coupables », c’est l’imputation elle-même qui est devenue problématique !
Puisqu’il y a trop de « parties prenantes » dans chaque affaire, que les enjeux et les intérêts sont entremêlés, que les hommes politiques s’estiment « responsables mais pas coupables », c’est l’imputation elle-même qui est devenue problématique !
D’où…
Un recours croissant au judiciaire pour – quand même ! – définir pénalement un coupable.
C’est donc l’impuissance face au politique, à sa capacité d’organiser un vivre-ensemble satisfaisant qui motive ce recours au pénal.
Et le citoyen est parfois tenté d’attendre d’un procès des résultats qu’il ne pense plus obtenir par l’élection (démocratie de représentation).
« Responsabilité » = une altérité impliquée !
« Responsabilité » = une altérité impliquée !
A la différence de l’imputation, il y a extension de l’action à un ou à d’autres hommes : ici, la souffrance de la victime est prise en compte, c’est vers elle que la responsabilité est dirigée…
Exemple de prise en compte de la victime et extension de sa responsabilité
… (de respondere, répondre), c’est « garantir », « assurer de », donc : « avoir pouvoir sur »…
… (de respondere, répondre), c’est « garantir », « assurer de », donc : « avoir pouvoir sur »…
Donc, répondre de mes actes et de leurs conséquences car j’ai « pouvoir sur eux » (je peux donc les modifier, je peux agir autrement, je peux réduire le risque qu’ils contiennent, etc.)…
Y compris après ma mort : les effets de mes actions ne disparaîtront pas avec ma disparition…
Au plan moral = « Je suis responsable de la vie d’autrui, de la vie d’un autre homme que moi »
Au plan moral = « Je suis responsable de la vie d’autrui, de la vie d’un autre homme que moi »
Et au plan juridique = « Je suis responsable des conséquences de mon action sur autrui, ce dernier entendu comme un autrui vulnérable ».
Réponse de la Cour Constitutionnelle allemande de Karlsruhe, en février 2006, suite à la contestation par un pilote de ligne et plusieurs députés du FDP de la loi de 2004 sur la sécurité aérienne et autorisant le ministre de la défense allemande à donner l’ordre à l’armée de l’air d’abattre, en ultime recours, un appareil détourné menaçant de s’abattre sur une zone urbaine ou une centrale nucléaire :
Réponse de la Cour Constitutionnelle allemande de Karlsruhe, en février 2006, suite à la contestation par un pilote de ligne et plusieurs députés du FDP de la loi de 2004 sur la sécurité aérienne et autorisant le ministre de la défense allemande à donner l’ordre à l’armée de l’air d’abattre, en ultime recours, un appareil détourné menaçant de s’abattre sur une zone urbaine ou une centrale nucléaire :
… a justifié ainsi le Président de la Cour constitutionnelle, en ajoutant :
« En disposant unilatéralement de la vie des passagers au nom de l’Etat, on conteste à ces victimes la valeur qui revient à l’homme. »
Nous sommes et devons être radicalement responsables de la vie d’autrui (et de sa dignité, ou de son développement personnel, etc.)
Nous sommes et devons être radicalement responsables de la vie d’autrui (et de sa dignité, ou de son développement personnel, etc.)
Être responsable d’autrui, toujours et partout, sans aucune dérogation au principe
Entre « l’éthique de la conviction » et « l’éthique de la responsabilité » (distinction du sociologue Max Weber, 1920) : choisir la seconde, car nulle raison valable au-dessus de l’homme (le progrès de la science, la raison d’Etat, les intérêts géostratégiques, l’émancipation du prolétariat, « le socialisme ou la mort », etc.).
Pourquoi ?
… dans L’humanisme de l’autre homme, éd. Fata Morgana, 1972 :
… dans L’humanisme de l’autre homme, éd. Fata Morgana, 1972 :
« Personne ne peut rester en soi : l’humanité de l’homme, la subjectivité, est une responsabilité pour les autres, une vulnérabilité extrême. Le retour à soi se fait détour interminable ».
« Si je ne réponds pas de moi, qui répondra de moi ? Mais si je ne réponds que de moi – suis-je encore moi ? »