Paléoécologie : L’unique steppe française avoue enfin son âge
Une mer de plantes herbacées qui s’étend à perte de vue et où des moutons paissent en toute tranquillité: voilà à quoi ressemble la plaine de la Crau, située en Provence, considérée comme l’unique steppe d’Europe occidentale. Pour la première fois, une étude réalisée par des chercheurs de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie (Imep) (Institut CNRS / Universités Aix-Marseille 1 et 3 / Université d’Avignon / IRD. Brigitte Talon et Frédéric Henry ont également participé à cette étude) apporte des éléments qui démontrent que celle-ci n’est pas de formation récente : elle serait vieille d’au moins 6 000 ans. D’une superficie d’environ 10 000 hectares, la steppe de la Crau constitue un patrimoine naturel sans équivalent. On y trouve jusqu’à 70 espèces de plantes à fleurs par mètre carré et elle abrite un grand nombre d’espèces endémiques. Elle représente aussi un patrimoine culturel hors du commun car, depuis le Néolithique, les bergers transhumants viennent y faire paître leurs troupeaux. La controverse sur la formation de la steppe dure depuis les temps d’Aristote, qui en voyait l’origine dans un tremblement de terre. Avant les travaux de nos chercheurs, deux hypothèses s’opposaient : « D’un côté, celle qui soutenait que la steppe existait depuis la fin de la période glaciaire, survenue il y a environ 10.000 ans et, de l’autre, celle qui affirmait qu’elle était le résultat du défrichement d’une grande forêt existant à l’époque néolithique », explique Thierry Dutoit, chercheur à l’Imep. D’après cette seconde hypothèse, la steppe n’aurait que deux ou trois millénaires. Pour connaître l’âge de la steppe, il fallait donc trouver des vestiges d’anciennes formations végétales. Pas facile sur une plaine au sol extrêmement mince, constamment battue par le mistral et piétinée par les troupeaux. Mais les chercheurs ont eu une idée brillante: chercher sous les fondations des bergeries de l’époque romaine. « En déplaçant ces fondations, nous avons récolté des charbons de bois qui permettent d’identifier les différentes espèces végétales et de les dater », indique Thierry Dutoit. Environ 500 morceaux de charbon ont été récoltés. Résultat de cette étude publiée dans la revue The Holocene du mois de février dernier: onze taxons (familles ou genres) d’espèces végétales ont été identifiés, la plupart appartenant à des plantes herbacées comme le thym ou la lavande, ou encore à des espèces de garrigue. Par contre, depuis la fin du Néolithique, aucune trace avérée de chênes verts, espèce caractéristique des forêts méditerranéennes. « Cette étude prouve qu’il s’agit bien d’un écosystème très âgé. Nous sommes devant au moins 6.000 ans d’interactions entre le climat méditerranéen, les sols, la végétation et la pratique millénaire du pâturage ovin, commente le chercheur. Cela explique le nombre d’espèces sur la steppe et leurs multiples adaptations à des conditions extrêmement contraignantes. »