Langage et société, No 141, septembre 2012,
« Jeunes et parlers jeunes : des catégories en question »,
Paris, Fondation Maison des sciences de l'homme, 166 p.
Anda RĂdulescu
Université de Craiova
Faculté des Lettres
andaradul@gmail.com
E DERNIER numéro de la revue trimestrielle Langage et société, paru en septembre 2012, met les jeunes au centre d’un débat sur ce que signifient actuellement les ca-tégories jeune et parler jeune dans différentes cultures.
Dans les années 1980, Bourdieu remarquait que la jeunesse n’est pas une donnée, mais une constatation. C’est une catégorie qu’il faut préciser et contextualiser, à la fois du point de vue global (par la culture, l’organisation sociale, les enjeux sociaux, le contexte socio-économique, les conditions de vie, les pratiques sociales d’une communauté) que du point de vue local (par la construction discursive des significations sociales, comme le positionnement interpersonnel, l’identification ou la différenciation entre les groupes de la communauté en question).
|
Après les années 1990, les recherches sociolinguistiques effectuées ont montré que chaque culture possède une représentation différente de la jeunesse. Par exemple, comme l’affirme Julie Lefort (2012 : 82) dans son article Nouvelles pratiques linguistiques dans le dongxiang, si pour les européens la jeunesse est d’habitude associée à l’adolescence, vue comme période de passage de l’enfance à la vie adulte, où le sujet n’a ni profession, ni responsabilités parce qu’il est encore en formation, pour les Chinois de la région de Dongxiang cette catégorie est relative. Tout d’abord, il n’existe dans la langue dongxiang qu’un seul terme, nienquin, emprunté au chinois pour désigner le « jeune », et ce terme fait référence à une personne plus jeune comparativement à une autre, mais ne renvoie pas à une catégorie définie. Ensuite, dans la communauté de Dongxiang le passage à la vie adulte est lié avant tout au statut marital d’une personne, qui diffère en fonction du sexe : 16-18 ans pour les femmes et 21-30 ans pour les hommes. Julie Lefort (2012 : 82) montre que parallèlement, l’activité professionnelle constitue un élément très important pour caractériser un adulte. Si pour un européen un individu de 16 ans est considéré comme « adolescent », donc « jeune », en Chine, s’il exerce déjà une activité professionnelle et s’il gagne sa vie, il est déjà « adulte » (nous dirons plutôt « jeune adulte »), tout comme une jeune fille si elle est déjà mariée.
Les cinq articles que regroupe le dossier démontrent, à l’aide d’enquêtes et de discussions sur le terrain avec des sujets qui diffèrent par l’âge, la culture, la profession, la formation, les conditions économiques, l’état civil, etc., que la variable âge n’est pas toujours pertinente dans la catégorisation de la notion de jeune. Les chercheurs s’efforcent donc de trouver d’autres facteurs à prendre en considération pour appliquer l’étiquette de jeune à un individu, telles que les marques culturelles et linguistiques de leur parler, les registres de langue utilisés, la participation des sujets à une culture vernaculaire de groupes de pairs (cf. Chestshire, 1982), etc.
Avec comme point de départ les études de Parkin (1977), Laks (1977), Eckert (1989), les sociologues contemporains envisagent la catégorie de la jeunesse en étroite relation avec les aspects identitaires d’appartenance à des groupes, et avec d’autres facteurs comme le niveau d’études, la mobilité sociale ou géographique et les types de relations interpersonnelles. Or, les ouvrages de Trimaille et Billiez (2007) et Bulot (2004, 2007 a et b), Gadet (2003 a et b) ont montré que la catégorie jeune est associée à celle de parler jeune. Mais ce parler jeune n’est pas homogène et d’autres critères permettent des analyses plus fines : le parler « jeune urbain » par exemple caractérise les individus éduqués ou les travailleurs mobiles, influencés par les nouvelles technologies, le niveau grandissant d’instruction et la multiplication des contacts interpersonnels ; la classe sociospatiale (Singy, 2012 : 101) permet à l’auteure de comparer le français parlé dans l’Ile de France, centre de l’espace francophone et à ce titre considéré comme la valeur de référence incontestable d’une variété de langue, au français parlé par les jeunes générations de la Suisse romande.
L’article de Michelle Auzanneau et de Caroline Juillard, Jeunes et parlers jeunes : catégories et catégorisation fait le point des recherches variationnistes après Labov et pose les questions générales de ce dossier : est-ce que l’âge a vraiment une pertinence sociologique et si oui, quel est son impact sur les regroupements des jeunes locuteurs ; comment peut-on aborder la catégorisation en tant que processus idéologique concrétisé (construit et / ou actualisé) dans l’interaction ; comment fonctionnent les catégories de jeunes et de parlers jeunes ; quel est leur impact sociologique tant pour les sujets que pour les chercheurs ?
Les réponses données à ces questions sont le résultat de leur dernière recherche portant sur les stagiaires en formation, notamment en France, dans le contexte sociopolitique et socioéconomique des dix dernières années et des problèmes relatifs à l’éducation, la formation et l’insertion des jeunes sur le marché du travail. L’article reconsidère, sans rejeter d’avance, les catégories de jeunes et de parlers jeunes, catégories soumises à une analyse attentive de leur fonctionnement et des situations de communication diverses où l’on fait voir en égale mesure le point de vue des locuteurs et celui des chercheurs. Les auteures estiment que leurs interrogations et réflexions « apporteront un éclairage sur ce qui peut rendre les catégories envisagées opérationnelles socialement et scientifiquement et donc de l’utilité des catégories et des catégorisations tant pour les chercheurs que pour les acteurs sociaux » (p. 9).
Dostları ilə paylaş: |