Recruteurs d'autrefois.
Dans notre dernier numéro, nous avons insisté avec quelque détail sur le rôle apostolique des bons recruteurs, de ces méritants éveilleurs de tant de vocations inconscientes qui sans eux seraient demeurées pour toujours à l'état latent, et stériles en résultats pratiques. Ils forment heureusement, de nos jours, une légion nombreuse; et que de milliers d'apôtres leur sont redevables, après Dieu, des fruits de salut qu'ils opèrent dans tentes les régions du globe!
Aux temps .anciens, ceux qui faisaient de ce soin leur principale occupation semblent avoir été beaucoup plus rares; mais il apparaît clairement dans l’histoire de l’Eglise comme dans celle des Ordres religieux et dans la vie des saints que les hommes les plus éminents, les plus vertueux et les plus zélés ne négligeaient pas, quand l'occasion s'en présentait, de remplir ce charitable office, et que les vocations d'élite ainsi révélées comme par hasard sont en nombre très respectable.
Qu'il nous soit permis d'en citer un ou deux exemples. Peut-être sont-ils déjà connus de beaucoup de nos lecteurs; mais les choses connues, quand elles sont rappelées à propos, ne sont pas toujours les moins utiles et nous aimons à penser que ce sera ici le cas.
1° - AGOSTINO GÉRALDI.
Vous qui nous lisez depuis quelques années, vous vous souviendrez sans doute de Victorin de Feltre, l’illustre précepteur des enfants de Jean François de Gonzague, seigneur de Mantoue, dont une fois1 nous avons esquissé la sympathique figure en vous parlant de l'attrait dans l'éducation. Son école comme vous savez dans ce cas, s'appelait la Maison Joyeuse, parce, 'qu'au lieu d'y travailler à contrecœur et comme par force, on y regardait comme plaisir le labeur intense auquel on s'y livrait sous la direction d'un si habile maître. Aussi fut-elle une pépinière d’hommes très remarquables, dont les noms brillent comme des étoiles dans l’histoire de la civilisation italienne au XV° siècle.
C'était donc à Mantoue, vers l'année 1430. On venait de célébrer avec tout le joyeux enthousiasme de ces âges de foi la grande fête de Pâques, qui clôt si admirablement les touchantes cérémonies de la semaine sainte; et, à cette occasion, il y avait, alors comme. aujourd’hui, quelques jours de vacances, qu'une bonne partie des élèves étaient allés passer chez eux.
Pour récréer ses fils, le seigneur de Mantoue organisa une chasse à laquelle il invita tous ceux de leurs camarades qui étaient demeurés à la Maison Joyeuse; et dès l'aube, après avoir assisté pieusement à une messe matinale, la jeune troupe, lestement équipée, s'était mise en marche au son des fanfares. sur d'élégants coursiers provenant des écuries seigneuriales.
Resté seul à la maison, Victorin éprouvait comme une sensation de vide, d'isolement, et, après avoir profité de la matinée pour vaquer à ses occupations ordinaires, il voulut se donner, dans l'après-midi, la distraction d'une promenade à travers la . campagne.
Il errait donc çà et là, écoutant la grande voix de Dieu parler à son cœur par la ravissante nature des bords du Mincio qu'il avait sous les yeux, lorsque, parvenu à un monticule couronné d'un bouquet d'arbres, il s'assit pour mieux jouir du spectacle, à l'ombre d'un hêtre récemment paré de sa frondaison printanière.
Derrière lui, de l'autre côté du bouquet d'arbres, des voix juvéniles devisaient entre elles:
''Convenez, disait l'une de ces voix, qui était douce et tendre, que je suis une sœur prévenante de vous avoir procuré un si bon goûter au bord de cette source.
— Oh! tu es vraiment la meilleure des sœurs, ma chère Luigia, répondit une jeune voix de garçon mais n'es-tu pas aussi la plus aimée? Combien je regrette que tu ne fusses pas ici, ce matin, pour voir ce que nous avons vu. Demande à Agustino.
— Eh bien, Agostino, dit alors Luigia, qu'avez-vous donc vu de si intéressant?
— Toute la chasse du seigneur de Mantoue, répondit celui-ci, et je t'assure que c'était beau. Comme ils étaient mis, tous ces seigneurs ! Que d'or sur leurs habits et quelles brillantes plumes à leurs bonnets! Je ne leur envie pas tout cela; mais je voudrais bien être riche. Et pourquoi donc? objecta la sœur. Moi, je me trouve assez riche comme je suis.
— Pourquoi? Parce que si j'étais riche je pourrais étudier, devenir savant, comme le seigneur Victorin de Feltre peut-être. Je saurais alors toutes ces belles choses dont la connaissance doit grandir en nous l'amour de Dieu, puisqu'alors on n'ignore aucune des raisons que nous avons de l'aimer.
— Il me suffit, à moi, pour comprendre que je, dois l'aimer, répliquait Luigia, de savoir qu’il m'a donné mon père et ma mère, et que, bien avant que je fusse née, il avait donné son sang et sa vie pour le salut de mon âme: quels plus pressants motifs la science pourrait-elle me fournir?
— Oui, je comprends qu'une femme raisonne comme cela; mais un homme, vois-tu, ma chère Luigia, porte en lui un esprit inquiet qui ne lui permet pas de repos sur son ignorance. Ah! si j'étais riche!
— Mais c'est très mal, Agostino, de désirer la richesse quand Dieu ne nous l'a pas donnée ; et si notre -mère t'entendait, il est sûr qu'elle te - gronderait. Toi, Giuliano, voudrais-tu aussi être riche pour devenir savant?
-
Oui, je voudrais être riche; mais ce serait pour me faire général et gagner des batailles.
-
Gagner des batailles? Fi! Songes-tu, Giuliano, que pour cela il faut tuer des hommes?
— Sans doute; mais que faire si on ne peut pas les gagner autrement? -
— Il ne faut pas souhaiter de devenir général: voilà tout.
— Eh bien, si cela doit trop te déplaire, je ne le souhaiterai plus''.
Vivement intéressé, Victorin voulut voir ces jeunes pâtres, ainsi occupés d’idées généralement étrangères aux enfants de leur condition. Il tourna le bouquet d'arbres qui le séparait d'eux et se trouva en présence de deux jeunes garçons de quatorze à quinze ans, à la figure intelligente, dont l'un, plus petit de taille, avait dans le regard une expression de douceur, remplacée chez l'autre par quelque chose de martial. La sœur, qui pouvait avoir environ treize ans, s'approcha de ses frères à la vue de l'étranger, et tous trois, près de la source où ils étaient assis, formaient un groupe vraiment à peindre. Leurs vêtements simples, mais propres et bien tenus, indiquaient qu'ils appartenaient à cette classe de paysans aisés à qui l'on doit le système de culture intelligente suivie dès ce temps dans toute la Lombardie et la Vénétie.
— Le seigneur Victorin ! s'écria joyeux, en se levant, le petit garçon au doux regard qui répondait au nom d'Agostino.
—Je te suis donc connu? dit Victorin de plus en plus intéressé.
— Eh comment n'aurais-je pas cherché, répondit l'enfant, à connaître au moins de vue l'heureux dépositaire de cette science, que j'envie !
— Tu l'aimes donc bien, la science, à ce que je crois comprendre. Si on te la procurait, souhaiterais-tu encore la richesse?
— Qu'aurais-je alors à faire de la richesse? répondit l'enfant avec un léger mouvement d'épaules: je n'y pense que pour arriver à la science.
— Eh bien, mon enfant,, considère-toi dès cette heure comme un disciple de Victorin; mais rappelle-toi qu'il faut faire encore plus d'état de la vertu que de la science, et que devenir mon disciple c'est s'engager à marcher d'un pas ferme dans la voie qui mène à Dieu. As-tu père et mère?
— Oui, que Dieu et la Madone en soient bénis !
— Demeurent-ils loin d'ici?
— Non, dans cette maison qu'on voit là-haut, vers le. sommet de la colline.
— Le soleil est près de se coucher; rassemble tes troupeaux: je t'accompagnerai chez ton père, pour avoir son consentement à ce que nous venons d'arranger.
— Mon rêve va donc s'accomplir, s'écria Agostino ; je n'aurai plus rien à envier à ces jeunes hommes que je voyais à vos côtés dans vos promenades à travers nos champs. O mon père, ô mon maître! j'espère, avec l'aide de Dieu, ne pas me montrer indigne de vos bontés.
Et, s'élançant dans la plaine comme un daim bondissant, il eut, en quelques minutes, avec l'aide de Giuliano, rassemblé les troupeaux.
On se dirigea vers la maison rustique. Le bon Victorin fermait la marche comme les patriarches ‘des anciens jours quand ils se transportaient d'un lieu à un autre avec leurs troupeaux. et leurs familles.
Quand les clochettes des chèvres et des vaches furent entendues de l'intérieur de la ferme, un chien y répondit bruyamment. C'était Fidèle, depuis longtemps en possession de garder le logis, et qui vint bientôt se présenter aux caresses de ses jeunes maîtres. Le père et la mère d'Agostino, avertis par la course précipitée du chien que c'étaient les troupeaux qui rentraient, vinrent au-devant des jeunes gens pour savoir le motif qui les ramenait de si bonne heure.
A la vue de l'étranger, les questions qu'ils se proposaient de faire s'arrêtèrent sur leurs lèvres. Ils ne pensèrent plus qu'à exercer l'hospitalité ; et quand Agostino leur eut nommé Victorin, ils le conduisirent dans leur demeure avec les marques d'un profond respect, tandis que les enfants se mettaient en devoir de surveiller la rentrée du bétail dans les étables.
L’illustre visiteur fut d'abord introduit, dans une salle dont le plancher était recouvert de larges dalles reluisantes de propreté; sur une table de chêne' qui occupait la partie centrale, était servi un souper composé de lait et de fruits, tandis qu'au fond, en face de la porte, se dressait un .vaste buffet sur les rayons duquel s'étalait une belle vaisselle d'étain, rangée avec symétrie.
Victorin se disposait à s'y arrêter, mais ses respectables hôtes ne voulurent pas le souffrir et le firent entrer dans une pièce plus vaste où l'on ne se tenait que dans les occasions solennelles et qui inspirait aux enfants une sorte de vénération.
Là on fit connaissance. Géraldi, le père d'Agostino, promptement mis à l'aise par l'affable simplicité de son hôte, lui raconta comment il avait longtemps servi dans la milice du père du seigneur actuel de Mantoue; lui montra près du grand crucifix qui ornait la chambre, les deux chaînes d'argent et la médaille d'or qu'il avait reçues de la main même du souverain en témoignage de sa bravoure; puis le discours tomba sur la famille, sur Agostino, sur Luigia, sur Giuliano, d'où Victorin prit occasion de parler à Géraldi du motif qui l'amenait, en lui demandant s'il n'aurait pas de répugnance à ce qu'Agostino vint étudier à la Maison Joyeuse.
— Nullement, répondit Géraldi; volontiers même, en voyant un goût pour la science, je l'aurais envoyé aux écoles, si d'une part je n'avais redouté, pour sa foi et sa vertu, le séjour des villes et si d'autre part je n'eusse craint que Dieu n'eût pas pour agréables des sacrifices que je n'aurais pu m'imposer pour lui qu'au détriment de son frère et de sa sœur. Puisque aujourd'hui votre généreuse proposition me délivre de ces deux appréhensions, je ne puis que bénir la Providence de vous avoir mis sur ses pas et vous témoigner ma reconnaissance des bonnes dispositions où vous êtes à son égard.
Juste à ce moment les enfants rentraient; on leur fit signe d'avancer.
- C'est donc entendu Agostino, dit Victorin d'un air satisfait, tu viendras à la Maison Joyeuse, à condition de bien tenir ce que tu m'as promis. Et toi, Giuliano, tu ne veux donc pas étudier?
— Grand merci, seigneur Victorin; avant tout, il me faut, à moi, le grand air et la liberté. En fait de science, j'aurai bien assez de ce qu'Agostino, dans ses moments de loisir, voudra bien m'apprendre.
— Et la petite Luigia, poursuivit Victorin, que dit-elle?
— Qu'elle sait, grâce à sa mère, prier, coudre et filer, et qu'elle ne demande pas davantage, répondit celle-ci d'une voix modeste et en souriant.
— Tu as raison, mon enfant; c'est bien là., en somme, la meilleure science pour une femme, conclut d’un air satisfait le sage interlocuteur. Et il prit congé de ces bonnes gens, en bénissant Dieu de lui avoir ménagé leur rencontre.
Quelques jours après, selon qu'il était convenu, Agostino, le modeste berger, venait prendre place, à la Maison Joyeuse, parmi la studieuse phalange qui comptait dans ses rangs ce qu'il y avait de plus distingué dans la jeune aristocratie lombardo-vénitienne.
Quand Victorin y avait annoncé sa venue prochaine, il avait remarqué sur les physionomies de ces jeunes gens, très fiers de leur noblesse, quelques sourires dédaigneux; mais il y avait coupé court par cette admonestation un peu sévère:
" Ne raillez pas, mes amis: quoique d’une naissance, plus humble, ce jeune pâtre est homme comme vous ; à ce titre, il vous est égal et il se peut qu’il vous dépasse par les dons de son esprit et les qualités de son cœur. D'ailleurs, lorsque Jésus-Christ est venu racheter le monde, il n'a point fait acception de personnes ; il est mort pour le pâtre comme pour le prince, pour le pauvre comme pour le riche; et quand il nous a dit: " Aimez-vous les uns les autres„ il n'a point apporté de restriction à cette grande loi qu’il nous prescrivait, parce que nous sommes tous frères en son humanité sainte’’.
Tous d'une voix, les coupables prièrent le maître révéré de vouloir bien oublier ce mouvement d'amour-propre irréfléchi. "Nous nous sommes laissé surprendre, dirent-ils un peu confus; mais nous le désavouons, et vous verrez avec quelle amitié nous recevrons, quand il viendra, le nouveau condisciple que vous nous annoncez’’.
Ils tinrent parole; et, bien loin de se permettre rien qui fût capable d’humilier ou de déconcerter le pauvre et timide enfant, ils rivalisèrent d'attentions pour lui adoucir ce qu'a toujours de pénible un pareil changement de milieu..
De son côté, Agostino, avec ce tact inné qui caractérise les natures d'élite, même en l'absence de toute culture, se montra si affectueux, si reconnaissant envers ses jeunes protecteurs; il correspondit si aimablement à leurs avances sans sortir jamais des bornes du respect, qu'il devint en peu de temps l'objet de la sympathie générale.
Par son intelligence, sa piété et son application au travail, il ne tarda pas non plus à se faire une place distinguée parmi ses nobles condisciples, en attendant de devenir, comme il fut plus tard, une lumière de l'Église et un des plus beaux ornements de son siècle.
En le recueillant, ce lundi de Pâques, au cours de sa promenade champêtre, Victorin avait bien employé sa soirée2.
2. - MICHEL GHISLERI.
Près d'un siècle plus tard, au mois d'octobre 1513, deux religieux Dominicains, l'un déjà vénérable par son âge et l'autre à peine sorti de la période de la jeunesse, voyageaient dans la Haute-Italie. Près du village de Bosco, un peu au sud d'Alexandrie, ils rencontrèrent un petit pâtre d’une dizaine d'années qui était à se disputer avec une chèvre rétive. En les voyant, il courut à eux pour leur baiser la main.
— Comment t'appelles-tu? lui demanda le plus âgé, qui était Prieur du Convent de Voghera.
— Je m'appelle Michel, répondit l'enfant.
— Tu as un illustre patron, mon enfant, le connais-tu? C'est un grand évêque sans doute.
— Oh! non, mon Père, saint Michel est un archange, le chef des anges du paradis. Quand Lucifer, le premier des esprits célestes se révolta, entraînant, hélas! beaucoup d'anges à sa suite, saint Michel s'écria: Qui est comme Dieu? et, avec l'aide des bons anges, il chassa du ciel pour les précipiter en enfer Lucifer et les anges rebelles.
— C'est ton curé qui t'a appris tout cela?
— Non, Père, il est malade et ne prêche plus.
— Comment donc as-tu appris ces choses? car tu ne dois pas savoir lire.
-
Si, Père, ma mère me fait lire, le soir quand mes brebis sont à l'étable. Elle me raconte
des histoires. C'est elle qui m'a appris celle de saint Michel et beaucoup d'autres. Je sais aussi écrire.
— Elle est donc bien savante, ta mère? Comment l'appelles-tu ?
— Elle s'appelle comme votre saint fondateur, Domenico.
-- Ah ! tu connais saint Dominique et ses religieux?
— Oui, un Père de votre ordre, qui a prêché dans notre église, m'a donné ce chapelet et m'a appris à le dire.
- Est-ce que tu le récites tous les jours?
— Oui, je le récite en méditant sur les mystères joyeux, douloureux et glorieux. Et ce Père m'a promis que si je persévérais et si je pouvais apprendre le latin, je deviendrais Dominicain comme lui.
— Alors tu vas apprendre le latin?
— Malheureusement je ne le puis pas: Nous sommes trop pauvres pour que mon père puisse se passer de mon travail et subvenir aux frais de mes études ; mais excusez, il faut que je vous laisse: je vois que mon troupeau abuse de mon absence
Les deux religieux poursuivirent leur chemin; mais ils n'oublièrent pas le petit pâtre qui les avait si vivement impressionnés par l'angélique sérénité de son front, son ouverture de cœur et l'expression d'intelligence qui illuminait son regard.
Quel dommage, se disaient-ils l'un à l'autre, que tant d'enfants richement doués par la Providence du côté de l'esprit et du cœur soient obligés, à cause de la pauvreté de leurs parents, de laisser ainsi sous le' boisseau une intelligence qui dûment cultivée pourrait un jour, tout le fait espérer, briller dans l' Eglise avec tant de fruit pour la gloire de Dieu et le bien des âmes! Et cela leur suggéra le dessein d'établir près de leur convent de Voghera quelque chose d'analogue à ce que nous appellerions aujourd'hui une école apostolique ou un juvénat: un asile pour les enfants pauvres dont l' intelligence et la piété pouvaient donner des espérances.
Dès le printemps de l'année suivante la fondation était chose faite, et le plus jeune des religieux, dont nous avons parlé, venait trouver le curé, toujours infirme, de Bosco.
— Connaissez-vous, lui demanda-t-il, un jeune pâtre de votre paroisse, appelé Michel?
- C'est mon enfant de chœur, répondit le digne vieillard, et sa mère est une sainte personne qui communie toutes les fois que je puis dire la sainte messe. Mais pourquoi me demandez-vous des nouvelles de cet enfant?
Nous le connaissons un peu, dit le religieux, pour l'avoir rencontré près de son troupeau, il y a quelques mois, et nous voudrions- si possible en faire un Frère Prêcheur.
— Cela parait bien difficile, objecta le vénérable prêtre : ses parents sont de pauvres exilés de Bologne, et il est leur fils unique, leur seul soutien: ils ne pourraient pas se passer de lui. Selon toutes prévisions il n'est pas destiné â être moine, ,mais laboureur.
— Laissez-moi vous dire, Monsieur le Curé, que je suis plein d'espoir au sujet de cet enfant. En venant, j'ai dit le rosaire Pour lui, et j'espère fermement en faire la conquête.
— Dieu le veuille! Il vous faudra donc de ce pas aller voir la famille Ghisleri, qui habite non loin d'ici, et vous tâcherez -d'arranger toutes choses avec elle.
Le bon religieux, s' y rendit, en effet, sur le champ, reçut un accueil sympathique, trouva les parents généreusement disposés, et peu de jours après le jeune Michel arrivait à l'asile nouvellement créé, comme nous avons dit, par les Dominicains de Voghera.
Pendant cinq ans, il y partagea son temps entre l'étude et les exercices de la vie chorale, à la grande satisfaction de ceux qui s'occupaient de lui; prit, en 1520, l'habit de saint Dominique ; se distingua dans les sciences sacrées ; remplit successivement dans l'Ordre des fonctions importantes; fut sacré évêque, promu cardinal, et enfin, le pape Pie IV étant mort en 1565, il fut élu pour lui succéder sur la chaire de Saint-Pierre, sous le nom de Pie V.
Il gouverna durant sept ans la sainte Eglise avec autant de sagesse que de gloire, méritant par sa piété, ses éminentes vertus et ses miracles d'être mis au nombre des saints honorés d'un culte public. C'est sous son règne et par ses soins que 'la chrétienté remporta sur les Turcs, en 1571, la fameuse victoire navale de Lépante.
Tant il est vrai, pour le remarquer en passant, que si Dieu choisit assez ordinairement dans les classes avantagées les ouvriers de ses grandes œuvres, il n'est pas rare non plus qu'il se plaise à les élever de la poussière des plus humbles conditions pour leur donner rang parmi les princes de son peuple!
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