Débordement des cours d'eau hors de leurs lits naturels : modélisations physique et numérique.
La modélisation de l’aléa inondation se heurte à plusieurs difficultés dès lors qu’interviennent des débordements de l’écoulement du lit mineur dans les lits majeurs contigus.
Dans ce cas, les écoulements sont dits « en lit composé » et sont caractérisés par une forte interaction entre, d’une part, l’écoulement rapide et profond du lit mineur et, d’autre part, l’écoulement relativement lent et peu profond du lit majeur. Il en résulte un transfert de quantité de mouvement entre les deux lits associé à la formation de structures turbulentes aux interfaces les séparant. Dissipant une partie de l’énergie de l’écoulement, cette interaction modifie la capacité d’écoulement des deux lits et celle du lit composé.
La complexité des processus physiques en jeu est renforcée par le fait que l’interaction turbulente entre lits dépend à la fois de la géométrie composée et des paramètres hydrauliques (débit total, hauteur relative de débordement i.e. rapport entre la hauteur d’eau dans le lit majeur et celle dans le lit mineur).
Dans ces géométries composées, les lits majeurs peuvent en outre présenter une morphologie très variable le long d’une même rivière, et en particulier des variations de largeur. Ces dernières donnent naissance à des transferts de masse entre lit mineur et lit majeur qui, a priori, se superposent aux transferts turbulents classiques dus au gradient de vitesses entre lits.
Notre travail de recherche s’intéresse à ces deux processus liés : celui de l’interaction turbulente due au gradient de vitesse entre lit mineur et lit majeur, et celui des échanges de masse entre lits dans les biefs dont la largeur varie (Proust 2005)1.
Nous avons ainsi affaire à des écoulements graduellement ou fortement variés selon le degré de variation de la largeur des lits majeurs et caractérisés par une hétérogénéité des vitesses au sein des sections en travers.
Nous nous sommes intéressés à la fois à la modélisation physique et à la modélisation numérique de ces écoulements. Une attention particulière a été accordée à la compréhension et à la modélisation des écoulements en lit majeur. En effet, l’évaluation du risque d’inondation doit s’appuyer sur des estimations fiables des niveaux d’eau et des vitesses locales, que se soit en zone rurale (problèmes de stockage) ou dans les plaines d’inondation urbanisées (problèmes de vulnérabilité).
Le premier objectif de nos recherches est de quantifier les phénomènes physiques prépondérants dans un certain nombre de configurations d’écoulement.
Nos travaux s’appuient sur de nouvelles expériences conduites dans trois canaux composés différents (Compagnie Nationale du Rhône, Université Catholique de Louvain, Institut National des Sciences Appliquées de Lyon). Plusieurs configurations d’écoulements sont explorées : convergence brusque de la plaine d’inondation, présence d’épi type « remblai routier » dans le lit majeur, divergences du lit majeur, écoulements non-uniformes en lit droit. On utilise également des données de la littérature (convergences linéaires et lits composés obliques).
Le second objectif de notre étude est d’évaluer dans quelle mesure les modélisations 1D classiques (Saint-Venant ou Bernoulli sur la section totale) peuvent restituer, non seulement les niveaux d’eau, mais également le débit dans les plaines d’inondation pour les différents écoulements graduellement variés.
Trois codes 1D ont été testés : Hec-Ras de l’US Army C.E., Talweg-Fluvia développé par le Cemagref, et Axeriv développé par l’UCL. Chacun d’eux traite de manière spécifique les échanges entre lits : Hec-Ras néglige la totalité des interactions ; Talweg-Fluvia tient compte uniquement des échanges turbulents ; et Axeriv, qui résout l’équation de ligne d’eau sur la section totale, est couplé à une nouvelle formulation dite « Exchange Discharge Model » rendant compte à la fois des échanges turbulents et des transferts de quantité de mouvement dus aux échanges de masse entre lits [Bousmar et Zech (1999)]2. Cette formulation a été validée dans les convergents linéaires de l’UCL [Bousmar et al. (2004)]3 et sur un cas de terrain : un tronçon de la rivière Sambre (faible sinuosité du lit mineur).
Dans le même esprit, des modélisations 2D avec modèle de turbulence simplifié ont été évaluées dans les contextes fortement variés (convergence brusque et épi dans le lit majeur). Les codes bidimensionnels Rubar 20 (Cemagref) et MAC2D (UCL) ont été utilisés.
Le développement d’une nouvelle modélisation, appelée Méthode 1D Par Lit (M1DPL), constitue enfin le troisième objectif de nos recherches. Inspirée des travaux de Yen (1984)4 et (1985)5 en lit composé droit, cette modélisation est reformulée pour des biefs non-prismatiques et est confrontée aux différentes modélisations physiques.
Au lieu de raisonner sur la section totale, la M1DPL individualise chacun des écoulements du lit composé. Elle juxtapose les équations dynamiques dans chacun des lits et conduit à un système d’équations différentielles couplées. Chaque équation dynamique repose sur un bilan de quantité de mouvement associé à une équation de continuité de la masse dans un lit.
La M1DPL présente trois principaux avantages par rapport aux modélisations 1D classiques :
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Elle ne privilégie pas le calcul de ligne d’eau par rapport à celui de la répartition des débits dans le lit composé.
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Elle modélise de manière explicite les débits massiques latéraux entre les lits ainsi que la totalité des transferts de quantité de mouvement (masse et turbulence).
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Enfin, elle se dispense de certaines hypothèses communément formulées telles que l’égalité des pertes de charge dans les différents lits ou celle des pertes par frottement au fond.
En conséquence, elle donne des résultats satisfaisants à la fois en terme de niveau d’eau et de débit dans le lit majeur, et ce, dans huit géométries différentes.
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