Introduction à la première journée d’étude du gdr


Entreprise, travail et représentations



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Entreprise, travail et représentations

Introduction à la première table ronde


Anousheh Karvar, Observatoire des Cadres

Les chercheurs réunis à cette première table ronde - sociologues, gestionnaires ou praticiens, confrontent leur lecture des valeurs et des représentations des cadres au travail, en s’appuyant sur des résultats d’enquêtes de terrain, en analysant la littérature managériale, ou encore par des modalités de recherche plus originales comme l’immersion dans le milieu professionnel des cadres et la participation à des formations réservées au développement personnel des managers. Leurs contributions s’articulent autour des deux sentiments de justice et de loyauté vécus au travail par les cadres, comme des deux thèmes d’autonomie au travail et d’attachement à la carrière, éléments clé de leur identité composite.

En effet, les cadres n’ont sans doute jamais formé une catégorie socio-professionnelle uniforme. On peut néanmoins remarquer que le modèle de carrière auquel le « statut » de cadre a pu renvoyer avant les années quatre-vingts s’apparentait à celui des marchés internes. La relation d’emploi entre l’entreprise et ses « salariés de confiance » s’articulait autour d’un engagement « explicite et durable »7. Cet engagement se concrétisait par la définition et l'application au sein des organisations des plans de carrière ascendants en direction des cadres mais aussi des employés : la part des « cadres maison » promus au cours de leur carrière était alors importante8. Les salaires étaient partiellement définis hors du marché externe. Les augmentations à l'ancienneté conféraient aux cadres fidèles un avantage certain et les encourageaient à rester dans l'entreprise9.

Aujourd’hui, les inégalités perçues comme injustes par les cadres semblent découler, en grande partie, des bouleversements dus à la crise du modèle des marchés internes. Conséquence du double phénomène de crise du marché du travail et de standardisation d'une partie de leur travail avec les nouvelles technologies, les cadres se trouvent de plus en plus dans des situations professionnelles où leur formation est en inadéquation avec l’emploi occupé. Ils en éprouvent alors un fort sentiment d’injustice.

Plus que d’autres catégories socio-professionnelles, les cadres resteraient-ils ainsi attachés au principe d’une justice distributive liée au mérite où « l’ordre juste produit par l’école » devrait être prolongé par celui de l’accès au travail. Il s’agirait, là, en amont des inégalités dues aux rapports hiérarchiques, de garantir l’« égalité des chances », égalité dans les conditions d’entrée dans la compétition pour les jeunes diplômés, égalité de l’accès tout court à la compétition lorsqu’il s’agit des femmes (F. Dubet).

Un second trait distinctif des cadres consisterait en leur rapport instrumental aux règles et conventions de travail. Là où employés et ouvriers seraient enclins à une plus forte dénonciation du non-respect des règles, les cadres viendraient à stigmatiser la faiblesse du pouvoir, à l’origine à leurs yeux de leurs carrières chaotiques et capricieuses. Alors que les organisations stables recherchaient des cadres au profil normé à qui ils offraient des parcours standardisés, les nouvelles normes managériales valorisent des talents originaux auxquels les organisations « apprenantes » proposent d’offrir des parcours singuliers (Loïc Cadin).

Mais si les cadres intègrent de plus en plus dans leur discours ces modèles alternatifs, la carrière hiérarchique verticale sur la base de la mobilité interne occupe une place dominante dans le comportement des cadres. De fait, l’anxiété de l’accident de carrière inhibe l’élaboration de modèles pluriels de carrière, notamment lorsque le discours managérial emprunte à la carrière sportive de haut niveau la symbolique de performance maximale et d’excitation permanente. Car si l’attachement conditionnel à l’entreprise se traduit par une veille permanente sur le marché du travail pour repérer les opportunités à saisir, ce constat ne doit pas occulter une stabilité accrue des cadres en contraste avec la déstabilisation grandissante des ouvriers non-qualifiés (Loïc Cadin).

Autrement dit, si la crainte du chômage constitue indiscutablement un des facteurs de désagrégation des solidarités organiques au travail, celle du déclassement accentue les réflexes individualistes chez les cadres. Le travail n’étant plus vécu comme un destin collectif, on assiste alors à la montée en puissance des questions liées à l’éthique professionnelle chez les ingénieurs, noyau historique de la catégorie des cadres en France. Les contradictions organisationnelles se déplacent au niveau de l’individu qui, en l’absence d’un cadre commun de résolution des conflits, est sommé de les vivre au niveau moral et psychique.

Lieutenants zélés de par leur position d’autorité, mais dépourvus de pouvoir du fait de leur absence des gouvernements d’entreprise, les cadres tentent de dégager leur responsabilité individuelle contre la discipline des organisations, en ayant recours à des mécanismes d’alerte professionnelle ou wistleblowing. La désobéissance organisationnelle, publique et individuelle, place les cadres au cœur d’un conflit de loyauté à l’égard de leur employeur. Dans le contexte culturel américain, l’évolution du cadre juridique a permis de replacer les dilemmes éthiques au service de l’organisation. La loi Sarbannes-Oxley votée en 2002, opère ainsi un glissement de sens en protégeant les informateurs, mais dans l’intérêt de l’organisation (Christelle Didier). Qu’en sera-t-il de sa transposition dans l’environnement culturel français ?

De même et pour répondre aux dilemmes des cadres, de nouvelles pratiques managériales émergent autour du développement personnel et au service de l’efficacité et du bien-être individuel et moral, ainsi qu’une nouvelle figure du pouvoir dans l’organisation : le manager pastoral qui guide les pas de son collaborateur sur le chemin du développement en s’appuyant sur ses motivations les plus subjectives (Valérie Brunel).

Trois grilles de lecture sont présentées pour appréhender cette grammaire interactionnelle spécifique aux cadres.

Une première proposée par J.-L. Beauvois dans un essai au titre évocateur de Traité de la servitude libérale, voit dans ces pratiques la forme générique de la gouvernance « démocratique et libérale » qui s’appuierait sur le sentiment d’implication librement consentie10. Elle chercherait à promouvoir les comportements utiles au système organisationnel. L’obéissance volontaire proviendrait, dans ce cas, d’un mode de pouvoir démocratique qui « énonce le libre choix des individus et les met en position de se sentir responsables de leur situation » (Valérie Brunel).

Un second courant, dominant dans la sociologie française contemporaine, dénonce les formations comportementales comme une nouvelle forme d’aliénation pour assurer l’implication des salariés11. Qualifiées d’entreprise de manipulation, ou encore de ruse du management, ces formations tenteraient de masquer les conflits et plonger l’homme dans son intériorité abstraite en le séparant du monde extérieur sensible, une manière, selon Marx, de « lui crever les yeux » (Valérie Brunel et Olivier Cousin).

Une troisième lecture, plus féconde, est suggérée par Olivier Cousin qui propose de dissocier le travail des cadres comme activité en soi des conditions et de l’organisation de travail. Dans cette optique, ce qui se jouerait dans le travail, les manières d’être et de faire, ne vient pas renverser l’ordre de la domination, mais ne s’y réduit pas complètement non plus. La morale expressive du travail perdure dans l’accomplissement du geste, avec l’idée du travail bien fait. Ainsi vécu comme une histoire personnelle davantage qu’un destin collectif, le travail perd de sa visibilité organisationnelle, ouvrant dès lors un plus large espace des possibles, espace où se loge la véritable autonomie des cadres et sur lequel repose leur satisfaction relativement plus élevée au travail. Le travail vécu pourrait donc être appréhendé, par opposition au travail prescrit et imposé, comme un moyen de résister à l’organisation du travail, comme l’autre versant des conditions de travail.

Pour jeter un pont entre le rapport subjectif au travail – son accomplissement – et les conditions objectives de sa réalisation, O. Cousin Emprunte à Axel Honneth le concept de reconnaissance sous ses trois formes, pour soi, celle des pairs et celle de l’organisation12. Les paradoxes que vivent aujourd’hui les cadres au travail s’expliquerait alors par les contradictions entre ce qu’ils doivent faire et ce que l’on retient de leur travail, entre ce qui est valorisé dans leur activité par l’organisation et ce qui les valorise. La combinaison entre les différentes formes de reconnaissance qualifierait ainsi les sentiments de fierté ou d’exclusion au travail, comme elle induirait des attitudes de retrait ou de carriérisme (Olivier Cousin).

Pour Honneth, c’est parce que nous vivons dans un ordre social où les individus peuvent développer une identité intacte grâce à l’attention affective, l’accès égal aux droits et enfin, l’estime sociale, qu’il semble approprié, au nom de l’autonomie individuelle, de faire des trois principes de reconnaissance qui y correspondent, le cœur normatif d’une conception de justice sociale13.

Les contributions à cette table ronde ont mis en évidence une certaine disjonction entre le sentiment d’injustice et le passage à l’action de ceux des salariés privés de ressources pour identifier les bonnes cibles14. Pour les cadres, salariés dotés de capital cognitif, la lutte pour la reconnaissance au travail pourrait-elle constituer un nouveau ressort d’engagement individuel et de mobilisation collective, l’autre versant de la servitude libérale ou volontaire ? Cette question ne manquera sans doute pas d’animer la réflexion politique et syndicale sur les relations de pouvoir au travail. Elle conduira, sans doute aussi, à reprendre à nouveau frais les rapports qu’entretiennent les cadres avec les autres catégories de salariés.


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