Iv. Traces utopiques et libertaires


Un réseau permettant une démocratie directe et l’action directe ?



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3.Un réseau permettant une démocratie directe et l’action directe ?


En élargissant «les usages de l'espace public» et en modifiant «les procédures de délégation ou de décision», Internet modifie fortement la démocratie note Christophe AGUITON1181.

Cette démocratie directe s’exprime notamment dans les contre-pouvoirs qui apparaissent sur le réseau. Les défenseurs d’Internet se coalisent pour lutter contre l’intrusion des États et de l’invasion marchande, pour en détourner les actes essentiels, pour en ridiculiser les intentions... Mieux, l'aspect ludique ou jubilatoire de ces actions dissidentes et subversives renforce leur impact, et leur possibilité d'expansion.

Le net fournit le moyen d’acquérir une relative autonomie en contrôlant son image et ses messages, dépassant ainsi le rôle péjoratif que la presse traditionnelle donne des anarchistes1182. L’espace virtuel semble l’emporter comme media libéré et plus complet sur les autres médias de l’écrit, de la parole et de la vidéo. Il a le mérite de l'immédiateté et de la globalité, ce qui en rend l'efficacité parfois redoutable.
Le net permet aussi de faciliter l'autogestion, comme le pense dans les années 1980 l'association ASPASIE-Association pour l'Autogestion par des Systèmes Informatiques Éclatés. Il peut prendre la forme «d'un assembléisme à l'état pur», où «les forums seraient les actuels soviets»1183.

En s’auto-organisant, les libertaires créent leur propre morale, respectueuse de chaque individu (la fameuse netiquette). Cette éthique du net est « l’apprentissage des valeurs de la communauté internaute : civilité, tolérance, échange, partage, générosité et gratuité du geste. C’est la découverte d’une autogestion par des citoyens actifs qui n’ont attendu ni l’État ni les institutions pour construire un monde et des valeurs nouvelles et se battre pour les défendre. »1184

Ces citoyens d’un genre nouveau assurent une totale transparence en diffusant toutes les attaques dont le réseau est l’objet. Inversement ils diffusent des moyens de cryptologie ou cryptographie (encore largement contrôlés voire interdits en France1185, contrôlés à l’exportation aux ÉU...) pour permettre d’éviter la censure, de sécuriser l’information et donc de garantir l’autonomie des cybernautes.

Des groupes de résistance utilisent efficacement le réseau. Personne ne s’est étonné de voir Greenpeace être un des premiers à populariser ses actions sur Internet. Il est un vecteur pour informer, pétitionner, prévenir du déroulement des manifestations, lancer des boycotts... c’est un moyen de popularisation et de mobilisation exceptionnel. Les syndicats s’en rendent compte désormais (« Travailleurs de tous les pays, connectez-vous » titre Libération du 25/04/97 dans le dossier qu’il dresse sur ce thème). À Toulon, contre l’extrême-droite, c’est un groupe anarchiste local, « la Commune » qui propose une « propagande anarchiste en actes » sur son site web. Et que dire de cet extraordinaire essor des sites pro-EZLN (néozapatisme), qui ont contribué à faire du mouvement du Chiapas aux traits libertaires assez souvent cités un mouvement parmi les plus popularisés de ces dernières années ; en effet on ne compte pas les informations diffusées par les membres et les partenaires du groupe du sous-commandant MARCOS qui ont su largement gérer toutes les médias. Il s’appuie en fait sur le Réseau social zapatiste décrit, déjà, en 19981186. Quant à Amnesty International, après une longue réflexion, elle utilise également les méls comme moyen de pression pour faire appliquer une justice équitable et des méthodes humaines d’emprisonnement. Le site récent d’ATTAC contre les méfaits d’une mondialisation jugée trop néolibérale est devenu un lieu incontournable de la mobilisation contre l’OMC et ses épigones, et tous les « altermondialistes » sont de grands utilisateurs du net. Contre la scientologie, le réseau Anonymous réinvente toutes les formes possibles d'actions directes, démultipliées simplement par la fluidité du réseau mondial1187.



Le désenclavement est assuré. L’entraide en cas de répression est possible désormais immédiatement, et de toute la planète, ce qui renforce notoirement le poids de cette solidarité active. La multinationale Bridgestone en sait quelque chose, suite à cette initiative internationaliste de fait qu’a entreprise l’ICEM, fédération Internationale des travailleurs de la chimie.(cité par Libération du 25/04/97). Les internautes militants, souvent sans le savoir, redécouvrent et appliquent les principes de l’action directe de l’anarcho-syndicalisme du début du siècle, que Émile POUGET a été un des premiers à théoriser. Lui qui souhaitait faire du boycott une des principales armes du syndicalisme de la CGT et des Bourses du Travail serait heureux des divers mouvements récents proposant le boycott (« la grève » !) d’Internet pour faire pression surtout sur France Télécom.
La démocratie directe, s’est aussi le moyen de peut-être mieux gérer des collectivités ou associations : l’utopie du réseau rejoindrait alors l’utopie autogestionnaire ? Internet peut offrir la transparence totale, rendre possible des référendums locaux (ou votations comme disent les suisses) et permettre d’influer sur des actions en pratiquant une sorte de questions-réponses quasiment en temps réel, ce que certains conseils municipaux français expérimentent déjà. Bref cette « teledemocracy » (titre de l’ouvrage de F.C. ARTERTON de 1987) doit favoriser une démocratie participative qui est en grande difficulté dans tous les pays. Le solide article de Jacques LE BOHEC Démocratie et réseaux toujours tirée de cette mine d’or qu’est le numéro spécial de Terminal nous ramène heureusement sur terre, en montrant l’absence d’une réflexion plus prudente et approfondie sur ce concept de démocratie qui marque beaucoup d’analyses sur ce thème ; pour lui l’interactivité généralisée est bien utopique, mais le plus souvent dans le sens « illusoire » et « naïf ».
Cette démocratie, ou plutôt cette démocratisation (ce qui n’est pas la même chose), est favorisée par la baisse des coûts qui augmente l’égalité des accès à Internet ; le prix des matériels et logiciels est en baisse constante. Des organismes coopératifs permettent également des accès à bon marché (Cf. Freenets à Cleveland ou Libertel au Canada...). Ce qui nous renvoie à une forme d’entraide mutuelliste (Cf. Ci dessous). Mais les récentes grèves de fin 1998 et début 1999 (plus exactement boycotts) en France sur ce problème des tarifs, et la revendication d’un forfait pour mieux démocratiser l’accès au net... prouvent que le réseau reste encore trop souvent une affaire de personnes aisées... dans les pays riches. Et que dire de la sous représentation inquiétante des pays du « Sud » !
Les forums, les blogs et les listes servent également d’agora, d’assemblée générale permanente comme le remarquent nombre de commentateurs. Libre parole, mais dans le respect de l’autre virtuel... Mais également magie du mot, du discours, et sans doute perte de responsabilité car il n'y a pas contact physique direct entre l'écrivain et son lecteur... Par certains traits on retrouve sur le réseau ce que chaque mouvement social déclenche : cette redécouverte de la parole, de l’échange verbal, cette logorrhée que les « soixante-huitards » ont à leur époque tant expérimentée... D’où des excès, des répétitions, des bavardages omniprésents... Il n’en demeure pas moins que cet « échange libre d’idées, d’expériences, de conseils, ou de points de vues, en abolissant les barrières hiérarchiques, géographiques, temporelles, concurrentielles... »1188 est lui aussi le moyen de renforcer cette démocratie directe qui semble émerger du réseau.

Ces forums sont vraiment l’exemple à développer pour illustrer cette notion de démocratie directe : par exemple leur création est la méthode la plus simple que l’on puisse rencontrer : on fait une proposition, l’enquête dure une trentaine de jours et le nombre de 50 demandes favorables suffit pour l’ouvrir... Ce n’est guère plus compliqué. Bien sûr il faut être alerte, se sentir concerné, prendre en compte les efforts de groupements informels opposés à l’ouverture... Ne pas être trop naïf, donc. Mais ce système de règlements simples permet de contenter presque tous les projets sérieux. Dans nos États ralentis par une bureaucratie et une inertie administrative fréquente, c’est bien un îlot original et très libre sur lequel nous « surfons ».


En RFA dès 1981 se crée le groupe anarchiste CCC-Chaos Computer Club, autour de la figure emblématique du Dr WAU (= Herwart HOLLAND-MORITZ). Pratiquant une sorte de reprise individuelle et de contrôle sur le net en défendant les hackers, ce Club est aussi le héraut de la démocratie directe : il va même jusqu’à accepter en 2000 l’élection au groupe dirigeant de l’ICANN de Andy MUELLER-MAGUHN. L’action directe1189, l'activisme qui s'enrichit en «hacktivisme», de ces hackers et d’autres acteurs libertaires du net est de plus en plus valorisée aujourd’hui, au nom d’une sphère vécue et rêvée d’autonomie. Leur premier forum hacker international serait lancé par Stewart BRAND en 1984. La même année (fort orwellienne) le Chaos Computer Club organise son propre congrès.

Toute cette mouvance s'appuie sur une solide connaissance technique et informatique, une conscience rebelle et citoyenne, et un état d'esprit potache et provocateur. À côté d'un savoir faire de qualité, ses membres mêlent des éléments ludiques, l'art du détournement1190, de l'astuce, qui renvoient à d'autres mouvements culturels autonomes et provocateurs comme le futurisme et le dadaisme. Comme le note Gabriella COLEMAN dans l'article cité, tous les enfants de l'hacktivisme forment le principal «contre-pouvoir» sur le net.

C'est Tim JORDAN qui a créé dans le livre cité ce concept amusant « d’Hacktivism ». Dans la sphère de la science fiction, « cyberpunk » et libertaire, William GIBSON sort en 1997 Idoru, qui met en scène une ville sombre Hak Nam, où des rebelles libèrent le réseau des réseaux au nom de la rêvée liberté initiale de l’Internet.

À partir de l'expérience du réseau d'esprit hacker Anonymous, l'importante revue anarchiste italienne A Rivista anarchica s'interroge, avec une certaine prudence et un vrai effort de clarification théorique, sur sa proximité avec l'anarchisme1191. Il s'agit d'un réseau international, de mode horizontal, informel (ouvert à toutes et tous, et à toutes les initiatives mettant en avant l'autonomie et la critique des puissants), antihiérarchique et antiautoritaire. Elle se revendique de Guy FAWKES, conspirateur britannique du XVI° s. dont le masque souriant et ironique est devenu un puissant symbole des années 2000. Ses composantes sont donc totalement autonomes dans leur pensée et leur mode de fonctionnement. La correspondance avec les idées du fédéralisme, de la pensée réticulaire libertaire et du rhizome deleuzien est donc patente. Mais ce réseau ne se réclame pas de l'anarchisme, cependant certains membres du réseau le font de plus en plus, sans compter les anarchistes qui à titre individuel ou en groupes en font partie. Anonymous est donc libertaire, pas anarchiste, ne serait-ce que par l'extrême diversité de ses groupes et de ses motivations. Ses méthodes d'action, spontanées, libres, d'initiative directe… sont elles aussi en conformité avec l'histoire du mouvement anarchiste.

Il y a donc une place pour les anarchistes réels et pour tous les partisans de l'autonomie dans le monde virtuel.

Cela vaut également pour toutes les personnes qui misent sur la liberté, la convivialité et le mutualisme, et qui proposent de favoriser partout l'ouverture, y compris dans des domaines scientifiques parfois jugés très fermés. En Allemagne dès 2003 se crée le projet FreiFunk. Il cherche à libérer les internautes du contrôle et de la domination technique en réalisant des réseaux sans fil, décentralisés, et ne conservant aucune trace. Leur objectif est de favoriser «la distribution totale du pouvoir» (Jurgen NEUMANN, 2014) pour mieux le réduire et le rendre inefficace1192. En Italie et au Québec, l'italien Alessandro DELFANTI développe un concept intéressant, celui de Biohacker, définissant ainsi une «science ouverte»1193, qui met sur pied l'ébauche d'une société alternative : recherches mutualisées, laboratoires coopératifs, entreprises auto-contrôlées…



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