Heureux événement chez les biologistes : la famille des hormones végétales vient d'adopter de nouvelles venues. Identifiées par une collaboration internationale comptant des chercheurs du CNRS, celles-ci contrôlent la ramification des tiges. Leur nom ? Strigolactones. Et c'est une vraie surprise. En effet, on les connaissait jusque-là dans un autre rôle – des molécules végétales identifiées pour leur fonction externe : telles des phéromones, elles servent en effet de signal de reconnaissance envoyé par la plante vers d'autres organismes. Comment aurait-on pu les soupçonner d'être des hormones végétales, tandis que celles-ci étaient considérées comme cantonnées à des fonctions internes de la plante ? L'identification de ces agents doubles, qui intéressera sans aucun doute les agronomes, est une véritable première. Cette découverte est un peu le fruit du hasard. Il y a dix ans, une équipe franco-australienne(Inra de Versailles, université du Queensland, Australie) s'est intéressée au phénomène d'hyperramification, c'est-à-dire à l'existence de très nombreux rameaux, chez des plants de pois mutants. Elle l'a expliqué par l'absence d'une hormone inhibant le développement des bourgeons latéraux, mais sans la dénicher. Plus récemment, les chercheurs toulousains de l'équipe « Symbiose endomycorhizienne », du laboratoire « Surfaces cellulaires et signalisation chez les végétaux » (Laboratoire CNRS Université Toulouse 3) et du Laboratoire « Ingénierie des systèmes biologiques et des procédés » (LISPB) (Laboratoire CNRS Inra Toulouse Insa Toulouse) ont voulu, eux, étudier les interactions entre ces plantes mutantes et les champignons mycorhiziens, des organismes formant des associations bénéfiques avec les plantes. Et plus précisément comprendre pourquoi ces plantes mutantes avaient beaucoup moins tendance à s'associer avec les champignons. Or les strigolactones étaient alors déjà connues des scientifiques comme molécules signal (phéromones) attirant non seulement les fameux champignons mycorhiziens, mais aussi des plantes parasites comme les striga et les orobanches, responsables de ravages dans les récoltes. « Nous avons alors montré que les mutantes ne synthétisaient plus les strigolactones », raconte Guillaume Bécard. Le lien entre ces deux résultats saute aux yeux des chercheurs : les strigolactones pourraient bien correspondre à cette hormone inconnue capable d'inhiber la ramification des tiges. Pour le vérifier, de nouvelles expériences sont menées. Résultat ? « Les strigolactones montrent toutes les caractéristiques d'hormones végétales : elles sont transportées dans la plante sur de longues distances, elles agissent sur le développement et à de faibles concentrations », observe Guillaume Bécard. Et l'intérêt envers elles pourrait ne pas être purement académique. Guillaume Bécard estime en effet « qu'elles pourraient permettre de contrôler l'architecture des plantes – pour inhiber la ramification chez les plantes d'intérêt agronomique par exemple –, et surtout de trouver un moyen de limiter l'infestation des cultures par les plantes parasites ».
Biologie cellulaire La faille des canaux calciques
Les « canaux calciques » sont des protéines dont les éventuelles anomalies sont à l'origine de plusieurs maladies graves. Une équipe française vient de comprendre un des mécanismes clefs de leurs dysfonctionnements. Nichés à la surface de toutes nos cellules, les « canaux calciques » sont des molécules vitales : toute anomalie à leur niveau peut entraîner de graves maladies pour lesquelles il n'existe pas encore de traitement efficace. C'est le cas de la redoutable migraine hémiplégique familiale qui, si l'un des deux parents est atteint, touche un enfant sur deux ; ou de certaines des terribles maladies neurodégénératives (Parkinson, par exemple) affectant près d'un million de Français. Mais paradoxalement, c'est en étudiant une maladie rare, l'ataxie épisodique de type 2, qui touche moins d'une naissance sur 100 000 et provoque des troubles de la coordination, que les chercheurs du CNRS Alexandre Mezghrani, Arnaud Monteil, Philippe Lory et leurs collègues de l'Institut de génomique fonctionnelle (Institut CNRS Inserm Universités Montpellier 1 et 2), à Montpellier, ont fait une découverte majeure concernant les fameux canaux calciques. « Nous avons mis en évidence que des mutations sur le gène CACNA1A codant pour les canaux calciques entraînent non seulement une anomalie dans la structure de certains canaux calciques (les protéines qui les composent sont mal repliées) ; mais aussi la dégradation des canaux calciques non touchés par l'anomalie », précise Philippe Lory. Publiée récemment dans la revue Journal of Neuroscience, cette avancée pourrait bien permettre, à long terme, de concevoir des traitements innovants non seulement pour l'ataxie mais aussi pour les autres maladies impliquant un dysfonctionnement des canaux calciques. Au départ, les chercheurs tentaient de comprendre le phénomène suivant : un enfant peut naître atteint de l'ataxie même si, par son hérédité, seulement la moitié de ses canaux calciques sont anormaux. C'est ce que les généticiens appellent l'« effet de dominance ». « Afin d'expliquer cette dominance, nous avions émis deux hypothèses : elle était due soit au simple fait que la moitié des canaux étaient anormaux ; soit à une réalité plus complexe : un effet des canaux anormaux sur les canaux normaux », indique Philippe Lory. Pour trancher entre ces deux thèses, les chercheurs ont pensé à suivre les canaux normaux et anormaux depuis leur lieu de fabrication dans la cellule jusqu'à la membrane cellulaire. « Pour analyser le trafic de ces protéines, nous avons travaillé sur des neurones ; et nous avons “coloré chimiquement” et de manière différente les deux types de canaux de façon à pouvoir les suivre », continue le chercheur CNRS. Résultat : lui et ses collègues ont observé que les deux types de canaux restaient anormalement bloqués au niveau de leur lieu de fabrication. Conclusion des chercheurs : les canaux calciques mal repliés retiennent les canaux normaux à l'intérieur de la cellule, en formant des agrégats avec eux ; or ceci favorise leur dégradation par le « protéasome », un gros assemblage de protéines chargées de dégrader les protéines mal repliées, dénaturées ou obsolètes. Ce mécanisme empêche ainsi le transport des canaux normaux jusqu'à la membrane cellulaire. D'où le mauvais fonctionnement des neurones à l'origine de l'ataxie. « Ce résultat permet d'ores et déjà d'envisager des stratégies pour traiter l'ataxie de type 2 : trouver des molécules capables de restaurer le transport des canaux vers la membrane, voire des traitements permettant de corriger directement les mutations génétiques à l'origine des canaux calciques anormaux », enchaîne Alexandre Mezghrani. Des thérapies similaires pourraient être imaginées pour d'autres maladies impliquant les canaux calciques, comme l'épilepsie et la migraine. « Toutefois, nous en sommes au tout début de nos recherches, insiste, prudent, le scientifique. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de trouver ce type de traitement dans les hôpitaux. »