4.Les charges récurrentes
1.43.Décomposition du coût de l’eau
Nous avons procédé il y a quelques années (Collignon - 1994b) à une décomposition du coût de l’eau en un certain nombre d’éléments, bien identifiables pour les gestionnaires locaux d’un système d’approvisionnement en eau (voir ci-dessous). Il ne s’agit donc pas d’utiliser les rubriques d’un quelconque plan comptable, mais celles qui sont les mieux appropriées au pilotage de l’exploitation par des associations locales, représentant les usagers.
Tableau 44 : Caractéristiques des charges récurrentes pour la distribution d'eau par bornes-fontaines
1.44.Charges fixes et charges proportionnelles ( variables )
On distingue classiquement des charges fixes, indépendantes de la consommation (personnel, abonnement à l’électricité, etc.) et des charges variables avec la quantité d’eau consommée (carburant, consommation d’électricité, usure des pompes, produits de Javellisation,etc.). Cette distinction a été traduite sur le tableau des divers postes de dépense, page précédente (Tableau 44).
Examinons quelques conséquences du poids relatif de ces diverses charges pour l’équilibre financier des structures de gestion :
a) Si le réseau est surdimensionné (s’il est par exemple calculé sur la base de 30 ou 40 l/jour/habitant), les charges fixes seront fortes, et il faudra les répartir sur un volume d’eau vendu plus faible que prévu. Le coût de l’eau risque d’être prohibitif pour les familles pauvres et de réduire encore la quantité d’eau vendue (une situation qui peut devenir critique comme à Kyniami, au Rwanda, où le taux de couverture des charges d’une adduction avec pompage n’a jamais dépassé quelques dizaines de pour cent (Taisne - 1994)).
b) Faut-il installer des branchements particuliers dans les centres secondaires ? Pourquoi pas, mais seulement si le surcoût que cela entraîne (et particulièrement le renforcement indispensable du réseau) est entièrement couvert par ce que paient les usagers «branchés».
c) La pose de compteurs d’eau sur les raccordements privés permet de limiter très efficacement le gaspillage et ainsi de réduire le dimensionnement des réseaux. On réduit ainsi la part des charges fixes, mais on augmente les charges d’exploitation (relevé des compteurs, facturation, etc.).
1.45.Le prix « d’équilibre » que peut pratiquer un exploitant varie fortement avec la consommation
Nous avons vu au chapitre 2 (pages 117 et suivantes) que le prix de l’eau dépendait fortement du type de service acheté par l’usager (branchement domiciliaire, achat à la borne-fontaine, livraison à domicile,....). La ménagère africaine réalise un arbitrage constant entre les différentes dépenses domestiques, parmi lesquelles l’achat d’eau potable. Ainsi qu'il a été démontré dans la première partie, elle pourra donc juger comme tout à fait acceptable un prix donné (par exemple 10 FCFA par bassine de 20 litres) si la borne-fontaine est suffisamment proche de son domicile, mais trop cher s’il s’agit d’une pompe manuelle ou d’une borne-fontaine éloignée. La demande en eau « solvable » est extrêmement élastique, c’est-à-dire qu’elle varie fortement en fonction des offres concurrentes de service moins coûteuses mais plus contraignantes.
Le prix de l’eau qui permettra à un exploitant de rentrer dans ses fonds dépend fortement de la consommation, et donc de la demande solvable. Le coût de revient de l’eau comportant des charges fixes (indépendantes du volume) et des charges variables, il augmente en raison inverse de la consommation, c’est-à-dire de la quantité d’eau que l’exploitant du réseau vend. La Figure 13 ci-dessous est tirée d’un exemple numérique pour un réseau alimentant un petit centre au Sénégal (pour plus de détails, voir Valfrey - 1996).
Figure 13 : Exemple de variation du coût unitaire de l'eau en fonction de la consommation
Cette forme de la courbe coût de l’eau / consommation montre bien que si la consommation payante est trop faible, le coût de revient par m3 est excessif et peut dépasser le niveau « politiquement acceptable » par la communauté.
Cette question prend toute son importance lors de la conception des systèmes, et notamment du dimensionnement du réseau. Il est important de considérer au moins deux hypothèses sur les niveaux de consommation probables, afin d’être sûr que l’on se situera dans la partie de la courbe où une variation importante de la consommation entraînera une variation limitée du prix de l’eau. Cette précaution permet à l’exploitant de disposer d’une marge de manoeuvre relativement importante, et notamment de ne pas se retrouver en cessation de paiement (ou dans l’impossibilité d’engager de grosses dépenses pour la maintenance et le renouvellement) lorsque la consommation vient à baisser.
1.46.A quelle échéance devra-t-on payer ?
La périodicité à laquelle les charges doivent être payées est un élément tout à fait déterminant de leur recouvrement effectif par les comités de gestion. Le Tableau 44 du paragraphe 5.1 détaille la périodicité typique de diverses composantes du coût de l’eau.
Par exemple, les charges de carburant doivent être payées très régulièrement, faute de quoi la distribution d’eau s’arrête rapidement. Les usagers sont bien conscients de l’absolue nécessité de payer ces charges et on constate effectivement que les comités de l’eau arrivent en général à les recouvrer.
En revanche, le renouvellement du génie civil n’intervient que tous les 30 à 50 ans. Même si les provisions ne sont pas constituées, le service est quand même assuré pendant plusieurs décennies. Les usagers ne perçoivent pas facilement la nécessité de ces provisions et on constate effectivement qu’il n’existe pratiquement aucun comité de l’eau qui constitue régulièrement les provisions nécessaires pour renouveler le génie civil.
Les documents de projet prévoient souvent la constitution de telles provisions pour renouvellement. Et par la suite, les évaluateurs se désolent systématiquement de ce que ces provisions n’aient pas été réellement effectuées. Cela ne devrait pourtant pas les étonner :
-
c’est une observation pratiquement universelle (quelle est la commune française qui constitue des provisions pour renouveler ses infrastructures lourdes ?) ;
-
constituer des provisions pour des durées de 10 à 30 ans est très dangereux dans des pays où les banques font parfois faillite, et où les taux d’intérêts réels sont négatifs, quand ce n'est pas la dévaluation qui frappe l'épargne des plus démunis ;
-
on ne peut guère attendre de populations dont le système de production économique est en péril qu’elles épargnent pour la génération suivante.
Le pompage photovoltaïque ( solaire )
La gestion des installations de pompage par énergie solaire illustre très bien l’importance du facteur «périodicité des charges». Ces systèmes entraînent peu de charges d’entretien, qui sont pourtant celles que les comités de l’eau recouvrent le plus facilement. Ils n’incitent donc guère les comités de gestion à s’organiser, puisque l’eau coule pendant plusieurs années, même en l’absence de paiement de l’eau. Par contre, ces systèmes entraînent de fortes charges de renouvellement à moyen terme ( onduleur, panneaux ) pour lesquelles il faudrait constituer de fortes provisions. Celles-ci sont d’autant plus difficiles à réunir que les usagers se sont habitués à une eau pratiquement «gratuite».
1.47.L’énergie
Le coût de l’énergie constitue le principal poste de dépense pour les petits réseaux d'AEP en milieu rural, et ce poste est d’autant plus sensible qu’il est incompressible, alors que les autres charges peuvent être minimisées plus ou moins longtemps, généralement aux détriments de la qualité du service (entretien minimum, emploi d’un personnel peu qualifié car sous payé ou bénévole, réparations avec du matériel de fortune,....).
Dans les tout petits centres, l’essentiel de la gestion financière des comités de l’eau se résume ainsi à collecter par tous les moyens possibles, les fonds nécessaires à l’achat du prochain fût de gasoil.
Le coût de l’énergie de pompage peut être prévu assez précisément parce qu’il répond à des lois physiques simples. Dans le cas le plus général (un moteur diesel de 15 à 50 kW, un pompe centrifuge avec un rendement de 60 %), on pourra utiliser les formules suivantes pour évaluer la consommation de gasoil :
-
Consommation de gasoil. = 0,2 l/h x puissance produite par le moteur (en kW)
-
Puissance utilisée par la pompe = 0,6 x puissance produite par le moteur
-
Puissance utilisée (en kW) = 9,8 x débit (en m3/s) x HMT (en m)
Consommation de gasoil (en l/h) = 0,0033 x débit (en l/s) x HMT (en m)
Exemple numérique :
Soit une pompe débitant 8 litres/s (soit 28,8 m3/h) avec une HMT d’environ 90 mètres. Au bout d’une heure, elle aura consommé 2,38 litres de gasoil pour remonter 28,8 m3. Au prix de 3,5 FF par litre, cela représenterait une charge de 0,29 FF par m3pompé.
Pour une pompe électrique, on peut procéder de la même manière :
Consommation électrique (en kWh) = 0,005 x débit (en m3/h) x HMT (en m)
Mais la réalité est toujours rétive et refuse de se plier aux lois simples. Outre les paramètres techniques prédictibles (HMT, rendement de la pompe, prix national du gasoil), les dépenses d’énergie dépend aussi fortement :
-
du bon dimensionnement du moteur (un groupe électrogène surdimensionné par rapport à la puissance de la pompe aura toujours un mauvais rendement) ;
-
du bon entretien du moteur (la consommation des groupes diesel dépend de l’état de la pompe à injection et des injecteurs), et du bon état du refoulement (pas de perte de charge parasites lié à des vannes, poches d’air,...) ;
-
de l’honnêteté du pompiste et du gérant : les vols de gasoil sont assez fréquents (une évaluation récente dans une petite ville de Guinée Bissau laissait apparaître une consommation de 1,5 litres par kW et par heure, ce qui signifie vraisemblablement que plus de 80 % du gasoil y est détourné (HYDRO CONSEIL - 1995).
1.48.Le petit entretien du matériel d’exhaure
On entend par là les entretiens courants, qui peuvent être confiés à un motoriste local (arrêt et démarrage, contrôle de niveaux, vidange, changement de filtres, remplissage du carnet, alerte en cas de problème....).
Le coût de ce service correspond pour l’essentiel, dans la plupart des petits centres, à la charge d’un poste de travail à temps complet, quelque soit la puissance de l’installation et même si elle ne fonctionne que quelques heures par jour, soit en général une masse salariale de 200 à 400 FF/mois.
A cette charge de personnel, il faut ajouter le coût des lubrifiants et des filtres, dont la charge est équivalente à 10 % du coût du carburant.
1.49.Le gros entretien et les réparations du matériel d’exhaure
Le gros entretien constitue l’une des principales charges récurrentes pour les systèmes à énergie fossile, et cette charge n’est pas négligeable pour les stations de pompage solaire car leur maintenance exige la mobilisation d’entreprises très spécialisées.
Cette charge est difficile à évaluer à partir d’une expérience isolée, car elle est très irrégulière (en fonction des pannes de la pompe) et que les comptes des exploitants permettent rarement de reconstituer toute l’histoire de la maintenance d’un système de distribution d’eau. De plus, le gros entretien n’est pas toujours pris en charge par les exploitants eux-mêmes, car il est souvent assuré par des organismes publics qui ne facturent pas l’ensemble de leurs coûts (comme la DEM au Sénégal et la DH en Mauritanie). Elle échappe alors à l’analyse économique.
Pour évaluer les charges de maintenance réelles, il est donc indispensable de faire porter l’analyse sur un grand nombre de stations de pompage, pour lesquelles on dispose de données cumulées. Nous en donnerons trois exemples :
-
Au Sénégal, le budget de la DEM lui a permis d’assurer une maintenance correcte de l’ensemble du parc des stations de pompage motorisées jusqu'à la fin des années 1980 ; il s’élevait alors à 388 millions de F CFA pour 430 stations, soit en moyenne 22 000 FF par station et par an (soit environ 1 FF par m3 distribué, avec des HMT de l’ordre de 100 mètres)76 ;
-
Au Mali, le compte d’exploitation d’un artisan réparateur qui assure la maintenance de 120 de groupes de pompage d’irrigation de 8 à 20 kW dans la région de Tombouctou permet d’évaluer les charges de maintenance à 0,04 FF par m3, pour une HMT moyenne de 4 mètres (voir Tableau 46 page suivante) ;
-
En Mauritanie, la filière maintenance dans le cadre du programme régional solaire est bien connue parce que l’ensemble de la maintenance des stations de pompage a été confiée à une seule entreprise privée ; le coût de cette filière est d’environ 0,5 FF/m3 pompé, avec des HMT de l’ordre de 60 mètres (voir Tableau 47 page suivante).
On notera sur ces trois exemples que les charges de gros entretien semblent obéir à une loi simple, qui mériterait d’être validée sur d’autres exemples (voir Tableau 45 ci-dessous) :
-
pour remonter 1 m3 sur une hauteur de 1 mètre ,
-
les charges sont de l’ordre de 0,01 FF/m3.m.
Tableau 45 : Fonctions de coût du gros entretien des groupes de pompage
Tableau 46 : Coût de la maintenance d'un groupe motorisé d'irrigation au Mali
Tableau 47 : Exemple du coût de la maintenance assurée par une entreprise agréée
1.50.L’entretien et la réparation du réseau, la lutte contre les fuites
Nous ne disposons pas de données significatives sur les charges d’entretien des réseaux de distribution d’eau. La seule chose que l’on puisse affirmer, c’est que les exploitants, dans les petits centres comme dans les grandes métropoles, investissent très peu de moyens dans la lutte contre les fuites. Le même phénomène a d’ailleurs longtemps eu cours en Europe, où les taux de pertes dépassent couramment 30 % (l’Agence de Bassin Loire-Bretagne les évaluait à 60 % en 1978 (Erhard-Cassegrain et Margat - 1983).
Pourtant, les fuites induisent des charges importantes lorsque l’exhaure est le principal poste de dépense (ce qui est le cas pour les petits réseaux en Afrique). La lutte contre les fuites nous semble donc représenter un enjeu économique plus important en Afrique qu’en Europe et le fait qu’elle soit généralement négligée est d’autant plus étonnant que le coût des réparations y est plus faible qu’en Europe (réparations « bricolées », peu de frais de réparation de chaussées, un personnel mal payé,...).
Les branchements particuliers (prise en charge, canalisation, vanne, compteur...) constituent une cause importante des fuites. Ainsi, à Matam (Sénégal), le Sénégalaise des Eaux qui vient de reprendre le service a réparé en 1997 environ 200 fuites sur un parc de 658 branchements (il faut dire que l’amélioration des rendements de réseau est désormais une priorité de la SDE et un objectif pour ses chefs d’escale).
1.51.La gestion globale du service
La gestion du service entraîne de nombreuses charges récurrentes difficiles à modéliser, car elles sont intimement liées aux choix qui ont été faits quant au mode d’exploitation, lesquels choix dépendent plus de critères politiques ou sociaux que de critères techniques. Parmi ces charges, les plus importantes sont :
-
Le relevé des compteurs, la facturation, la collecte des redevances et la poursuite des mauvais payeurs
-
La vente de l’eau à la bassine
-
La gestion du personnel (embauches, formations, contrôle, licenciements,....)
-
La gestion financière (provisions, trésorerie,...)
-
La maîtrise d’ouvrage des nouveaux travaux
-
Le soutien à la vie démocratique des structures représentatives des usagers (Assemblée Générale, élections, présentation et vote du budget,....)
-
L’animation et l’information des usagers
Tableau 48 : Le coût de la collecte de l'argent dans les Programmes Alizés (éoliennes) et PRS (solaire) en Mauritanie (d'après Gay-1994)
On néglige parfois ces charges, alors qu’elles représentent une part très importante du budget des exploitants. Par exemple, la simple collecte des redevances peut coûter plus de 1 FF par m3 (voir les données concernant la Mauritanie figurant dans le Tableau 48 ci-avant).
Le montant des simples dépenses administratives (quitanciers, matériel de bureau, frais de réunion,...) est déjà non négligeable. Pour la régie associative de Kinyami (Rwanda), il représentait 28% de son budget (Taisne - 1994).
Quant à la vente de l’eau à l’unité (à la bassine), son coût peut dépasser 5 FF par m3 (comme à Dakar) et elle représente très couramment deux tiers du prix de vente de l’eau pratiqué aux bornes-fontaines.
|
Yaounde
|
Dakar
|
Bobo Dioulasso
|
Kayes
|
Port au Prince
|
Prix d’achat de l’eau
|
3,13
|
2,40
|
1,65
|
0,92
|
1,7
|
Prix de vente
|
10
|
8
|
2,5
|
3,50
|
5,1
|
Part de la vente
|
68%
|
70%
|
33 %
|
74%
|
67%
|
Tableau 49 : Coût de la gestion de la vente au détail (Frs CFA)
Des droits ou des taxes sont parfois instaurées par les Etats ou les collectivités locales et destinées à alimenter le budget national ou local ou à constituer un fonds de renouvellement spécifique aux réseaux de distribution d’eau potable. Exemples :
-
Taxe sur la valeur ajouté au Cameroun : 8,8% sur le prix du m3 (soit 24 à 30 CFA/m3) et 18,7% sur les abonnements (150 CFA/mois)
-
Taxes municipales en Mauritanie : 5 ougiyas par m3
-
Redevance INGRH au Cap Vert : 5 CVE par m3
1.53.Les facteurs de coût « non techniques »
Il sont fort nombreux et, par définition, oubliés dans les analyses économiques classiques. Nous n’avons pas la prétention d’en faire un inventaire exhaustif, mais seulement d’en citer quelques uns, pour montrer toute l’attention qu’il faut porter aux faits réels avant de calculer un « coût de revient » si l’on veut éviter que ce travail ne soit un exercice de style :
-
Les taxes auquel sera soumis l’exploitant seront variables selon que cet opérateur est public ou privé, et qu’il bénéficie en conséquence d’exonération de droits de douane, de TVA,... Les taxes municipales sont également très variables d’une commune à l’autre. A Kayes, par exemple, chaque exploitant de borne-fontaine est tenu ;
-
Les impayés de l’administration constituent un autre facteur important de l’équilibre financier des exploitations. Dans certaines villes du Sahel (par exemple, à Sélibaby, en Mauritanie), les administrations et les élus consomment une part importante de l’eau distribuée, sans que leurs factures soient honorées par leur Ministère de tutelle (Koita - 1997). Ce manque à gagner est vraisemblablement compensé par une augmentation des tarifs de vente aux autres abonnés ;
-
Les charges de transport (notamment du gasoil) sont directement liées à l’isolement des sites et rendent délicate l’application d’un tarif national unique par des exploitants privés ;
-
Les pénuries chroniques de certains produits (dont les carburants) et les ruptures d’approvisionnement (en pièces, énergie,...) obligent les exploitants à constituer des stocks importants qui entraînent inévitablement des charges financières. Ce type de contrainte sera moins sensible dans les grandes villes ;
-
Comme cela a été souligné pour les investissements, la politique de change peut influencer les coûts car les exploitants (privés, communautaires ou collectivités locales) doivent constituer des provisions pour le renouvellement et les entretiens sans réellement maîtriser le coût du crédit ou de l’épargne à long terme.
1.54.Charges unitaires dans les quartiers populaires non lotis des grandes villes
Il existe peu de données spécifiques aux quartiers populaires non lotis (bidonvilles, quartiers interstitiels, habitat des bas-fonds, des zones périphériques,etc.). En effet, ces quartiers sont généralement desservis par les grandes entreprises de distribution d’eau et il n’est pas simple d’isoler les coûts de l’alimentation en eau spécifiques à ces quartiers, dans des comptabilités consolidées sur de grands périmètres (et pas toujours accessibles).
Le cas de Port-au-Prince (en Haïti) est de ce point de vue exceptionnel, puisque l’approvisionnement en eau potable des quartiers non lotis y a été entièrement concédé à des associations de quartier (les Comités de l’eau), qui tiennent une comptabilité indépendante et très détaillée, dans le cadre d’un programme conduit par le GRET, financé par la CFD et le FED, et dont HYDRO CONSEIL assure l’assistance technique. Grâce à cette rigueur, on dispose d'une analyse fiable du bilan financier de ces gestionnaires des points d'eau collectifs de la capitale haïtienne (voir Tableau 50) et de la répartition des dépenses selon les principaux postes, illustrée par la Figure 14 (voir page suivante).
Tableau 50 : Bilan financier des comités d'eau de Port au Prince (Haïti)
Figure 14 : Répartition des principaux postes de dépense de la gestion des bornes-fontaines par les comités d'eau à Port au Prince (Haïti)
1.55.Coûts unitaires dans les petits centres
Pour de petites adductions « classiques » (un forage, un réservoir, un réseau de distribution et quelques bornes-fontaines), de nombreuses évaluations de projet aboutissent à des fourchettes de l’ordre de 1,5 à 3 FF/m3 (voir par exemple le compte d’exploitation du réseau de Sinthiane, au Sénégal, Tableau 51 ci-dessous).
Il est évident que ces prix peuvent augmenter considérablement avec la complexité des techniques utilisées (par exemple mise en place d’une station de traitement des eaux de surface ou distribution par des branchements individuels.
I) Charges fixes, quel que soit le volume pompé.
|
|
|
Provision pour renouvellement exhaure :
|
|
154 784
|
Provision pour entretien exhaure
|
|
15556
|
Provision pour entretien du réseau
|
|
194 443
|
Salaire du conducteur de forage
|
|
140 000
|
Frais divers du comité
|
|
46 667
|
Total des charges fixes
|
= ++ ++
|
551 450
|
II) Charges variables, augmentant avec le volume pompé.
|
|
|
Consommation électrique : = Index compteur SENELEC fin de période - index début
|
|
1 941 kW
|
Facture Sénélec : = X 127,48 (taux exact)
|
|
247 448
|
Charges totales
|
= +
|
798 898
|
IV) Imprévus : 10% : = (solde frais divers)
|
|
84 143
|
V) Montant total des dépenses
|
= +
|
883 041
|
Volume distribué durant la période (somme des consommations aux points d’eau)
|
|
6 061 m3
|
Prix du m3 vendu
|
/
|
145,7 CFA/m3
|
|
|
|
Tableau 51 : Calcul du prix de l'eau pour l'adduction d’eau intervillageoise de Sinthiane (Sénégal) sur la période du 06/02/96 au 17/04/96 (soit 2,33 mois)
On trouvera dans le Tableau 52 de la page suivante quelques exemples de calculs du coût de l’eau pour divers systèmes de distribution d’eau. Ils n’ont pas du tout la prétention d’être représentatifs de tout ce qui existe. Ces exemples sont donnés pour illustrer notre réflexion et il faut bien se garder d’en tirer des généralisations hâtives quant au coût de divers modes de distribution d’eau. Ils se fondent sur les cas d'étude suivants :
-
Sénégal - Kaolack (Rochette - 1994) : adduction par pompage dans un forage profond; distribution vers plusieurs villages ; structuration forte en comités par village, par adduction et par zone , avec un fort appui d'une ONG (CARITAS).
-
Sénégal - Agnam (Alda - 1994) : adduction par pompage à partir d’un forage équipé d’une électro-pompe immergée et d’un générateur ; bornes fontaines ; régie des usagers organisée à l’échelle de l’adduction et employant son propre personnel d’entretien.
Tableau 52 : Charges récurrentes de quelques adductions (en FF)77
-
Sénégal - Sinthiane (Estienne - 1997) adduction par pompage à partir d’un forage équipé d’une électro-pompe immergée raccordée au réseau ; bornes fontaines ; régie des usagers organisée à l’échelle de l’adduction et employant son propre personnel d’entretien.
-
Mali - Komodindé (Valfrey - 1997) : adduction par pompage à partir d’un forage équipé d’une électro-pompe immergée et d’un générateur ; bornes fontaines ; régie des usagers organisée à l’échelle de l’adduction et employant son propre personnel d’entretien.
-
Mali - Yélimané (Valfrey - 1997) : adduction par pompage à partir d’un forage équipé d’une électro-pompe immergée et d’un générateur ; bornes fontaines ; régie des usagers organisée à l’échelle de l’adduction et employant un personnel surabondant (politique de création d’emplois).
-
Mauritanie - ALIZE (Gay - 1994) : puits équipé d’une éolienne de pompage, sans réseau de distribution ; comité de gestion par puits + fédération des comités ; entretien par une petite entreprise locale.
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Bénin (Litrico - 1994) : adduction par pompage dans un puits ; distribution vers 12 bornes-réservoirs distribuées selon une maille serrée dans un centre secondaire de 3 500 habitants ; structuré en comité de gestion avec appui AFVP.
-
Rwanda (Collignon - 1990 et Ferry - 1992) : adduction gravitaire à partir d’un source en région de montagne ; régie des usagers organisée à l’échelle de la commune, soit 4 adductions à gérer.
-
Rwanda (Collignon - 1990 et Ferry - 1992) : adduction par pompage (turbine et pompe volumétrique) à partir d’un source en région de montagne ; régie des usagers organisée à l’échelle de la commune, soit 4 adductions à gérer.
De cette comparaison, il ressort que :
-
Dans 6 cas sur 9, la charge annuelle de l’eau distribuée par les petits réseaux décentralisés semble assez basse, même en y incluant des provisions pour renouvellement : 3 à 16 FF par habitant et par an, soit 0,2 à 1 % du revenu moyen en milieu rural. Ce ratio est comparable à celui que l’on consacre à l’eau potable dans les pays industrialisés (0,5 à 1 %).
-
Trois systèmes d'alimentation en eau potable sont nettement plus coûteux
-
une adduction par pompage au Rwanda, qui fait appel à une technologie sophistiquée (turbine et pompe refoulante avec 450 m de HMT !!) ;
-
l’adduction de Komodindé, surdimensionnée par rapport à la population desservie (on voit ici les conséquences d’un surdimensionnement : les provisions sont très fortes) ;
-
l’adduction de Yélimané, surdimensionnée et mobilisant un personnel pléthorique.
-
A l’exception de ces trois systèmes, mal dimensionnés, le coût du m3 d’eau se situe généralement entre 1 et 3 FF/m3. Ces coûts sont inférieurs à ceux auxquels est produite l’eau dans les grands systèmes urbains d’Afrique (de 2 à 5 FF/m3). Ce n’est pas mystérieux : il s’agit de systèmes de distribution simplifiés, assurant un service minimal (pas de branchements particuliers) et reposant en partie sur le bénévolat (les membres du comité de gestion sont mal rétribués).
-
Les provisions pour renouvellement constituent environ la moitié des charges (30 à 65%). Leur poids financier ne semble pas insupportable pour les usagers dans la plupart des cas. Mais nous avons vu ci-dessus qu’il était généralement difficile de les constituer, pour des raisons socio-politiques (dynamique des associations locales) et financières (manque de fiabilité des systèmes bancaires).
1.56.Quelques points de comparaison
Les coûts unitaires que l’on vient de passer en revue sont-ils exceptionnels et spécifiques aux petits centres des pays africains ou aux bidonvilles des capitales du Tiers Monde ?
Il est permis d’en douter. A titre de comparaison, on rappellera que la décomposition des coûts du service de l’eau en Europe est du même type que dans les petits centres en Afrique, soit approximativement un tiers pour la production et le transport, deux tiers pour le stockage et la distribution (voir Tableau 53 ci-dessous) .
Tableau 53 : Les principales composantes du coût du service de l'eau en France (Erhard-Cassegrain et Margat - 1983)
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