Documents de l’educateur 172-173-174 Supplément au n°10 du 15 mars 1983 ah ! Vous ecrivez ensemble ! Prat ique d’une écriture collective Théor



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La réécriture d'un mot
Au lieu de prendre trois mots, je n'en prends qu'un. Et je n'en réécris qu'un. Je prends le premier qui se présente. Ou bien je le crée artificiellement en pointant quelques lettres, au hasard du stylo, sur un texte imprimé. Je vous livre mes séries qui m'étonnent encore. Voici la première:
- graille - grille - grenouille - gribiche - cibiche – gribiche - grichette - bichette - bidouille - bigoudi – cagibi – biribi - gribouille.
Quand je suis arrivé au dernier mot: gribouille, il m'a semblé que mon petit cinéma intérieur s'est aussitôt arrêté. J'ai senti très nettement que c'était comme si j'avais obtenu un résultat et même, le résultat. J'avais l'impression que, depuis le début, je tournais autour. C'est comme lorsqu'on s'amuse à lancer des cailloux sur une ampoule grillée, placée à dix mètres. On encadre l'objectif, tantôt plus près, tantôt plus loin, non trop à gauche, non trop loin, cette fois-ci trop à droite. Et puis, soudain, on tape dans le mille : ploof !!
C'est exactement ce que j'ai éprouvé. Il y avait en moi comme une tension. Je sentais que je m'approchais tout près ; par moments, je l'avais « sur le bout de la langue ». Puis je m'éloignais pour revenir encore, brûlant et refroidissant comme dans le jeu de cache-tampon. Mais quand, au bout de la série, j'ai trouvé « Il gribouille », j'ai su que je n'avais plus rien à chercher. Ca a été la détente complète, le vide absolu, le relâchement total. Comme si un condensateur s'était brusquement déchargé.
Mais je pense qu'il serait intéressant d'examiner d'un peu plus prés ce qui s'est passé. Il me semble que dans l'espace des phonèmes : g,a,y,r du premier graille, le mot gribouille qui m'habitait depuis plus de trente ans pouvait se glisser. Le gri s'est tout de suite mis en place ; le ouille ne s'est présenté que deux fois parce que le b était associé au i et ne pouvait s'en séparer. Le b a même précédé le g un certain temps. Puis tout s'est remis en place et mon mot est apparu.
Mais je crois pouvoir dire que c'est quand je me suis détendu sur le bi que le ouille a pu prendre sa vraie place. Pour moi, la réapparition des mots que l'on cherche n'est pas une affaire de volonté mais de détente et presque d'abandon.
Je peux dire exactement la même chose : « Je brûle, je gèle, ça y est, j'ai trouvé » pour une deuxième série de mots :
« surgir - vagir - vagissement - agissement - agencement - rugir - régir - bouger - décider - cidre – vacidre – bêcher - béchir - rougir - rougissement - rugissement - rugicide - régicide. »
On sent, là aussi, que l'esprit tâtonne maladroitement vers la solution et qu'il se fixe, provisoirement à ce qu'il considère comme le phonème juste ou l'ordre exact des phonèmes. Et si on ne persévère pas, on reste en rade. Je suis sensible à cela parce que j'utilise souvent ce procédé pour retrouver les mots qui m'échappent. Et, de plus, j'ai trouvé un truc qui me facilite le travail. Je vais, par exemple, essayer de retrouver le nom d'un joueur de foot de mon adolescence. Je commence : Fraval - Flohimont - Fortin - Formi - Folton. Ça y est ! Cette fois, ça n'a pas été long. Ceux qui aiment analyser verront comment les choses se sont mises en place à partir de Fraval qui était le nom d'un partenaire du joueur. Le F et le L sont apparus très tôt. Puis les sonorités en O et ON se sont mises en place. Le T final est disparu. Il y a eu également le retour aux deux syllabes, l'hésitation entre les deux liquides R et L et l'égarement de l'avant-dernier mot. Et si je m'étais embarqué dans une série Toufal - Toufol - Tonfol j'aurais trouvé également car je connais le truc qui est d'inverser: Ton fol = Folton.
On peut également travailler à deux. Par exemple, on recherche le nom du mari d'une cousine éloignée de ma femme. Je commence par n'importe quoi : - Gorges du Verdon. Elle enchaîne : Gorges verdâtres. - Moi: Gorges à croupetons. Elle : Gorges à quatre pattes. – Moi : Georges à quatre pattes. Elle : Georges acariâtre. Nous : Ça y est : Georges Arraca !
Moi, ça m'émerveille ce tâtonnement de l'esprit sur les phonèmes. On ne s'en sert pas assez. On se fatigue inutilement. Alors qu'en procédant à une brève analyse on retrouverait plus facilement le mot qui nous échappe quand on en a besoin
Pour le plaisir, essayons une troisième série :
« Criminologie - incriminer - récriminer - incrimer – crenmine - endocrine - crinotine – crini -clinique... »
Non, cette fois, c'est trop artificiel. Je ne joue pas le jeu. Je ne me laisse pas aller. Je me place en position d'observateur attentif. Mon conscient entrave le travail de mon inconscient. Et je sens que je m'énerve. Et, justement, c'est surtout ce qu'il ne faut pas faire. Le subconscient n'affleure que dans la détente. Il affleure dans les situations répétitives qui engourdissent un peu l'esprit : à la pêche, par exemple, quand l'eau coule et change constamment, dans une continuité poursuivie. Ou à la messe quand les sons de l'orgue se déroulent dans une continuité de notes, sans accidents notables qui réveilleraient l'attention. Ceci, dans un clair-obscur habité de reflets mélangés, et immobiles.
Cette litanie des mots que j'écris, cette psalmodie, c'est peutêtre un bercement pour susciter la rêverie. Et un mot-clé en profite pour remonter des profondeurs. Cela me fait penser que dans nos écritures automatiques, ça balance souvent:
« Si le chien en sauvage » renage dans mon atmosphère, la prunelle enamourée sera derrière les volets verts. Une odeur saugrenue guette mes joyeux visages et l'insupportable orage remonte sur mes flancs nus. Alleluia d'amour divine, je vous devine sans mes tourments etc. etc. »
On sent là, l'utilisation d'un procédé vieux comme le monde, procédé que l'on retrouve dans les litanies, les complaintes, les chants, les poèmes à rythmes et à rimes, la musique, le bercement, le vaudou...
Le premier mot : gribouille est un mot-clé pour moi. En effet, je me souviens qu'il y a plus de trente années, le directeur de l'Ecole Normale m'avait traité de Gribouille. Et toute la promo s'était esclaffée. Je ne savais pas que j'avais été mortifié au point qu'il me soit resté une marque à effacer.
Le second mot : régicide m'intrigue davantage. Est-ce que j'avais été frappé par le récit du supplice de Ravaillac ? J'avais onze ans. Le maître nous avait parlé des quatre chevaux qui tiraient et des tendons des articulations qui résistaient. Maintenant, j'ai mal à l'épaule, à la suite d'une chute. Et ça pourrait être une explication très plausible et pas du tout farfelue de l'apparition du mot. Malheureusement, il est apparu avant ma chute c'est dommage parce que ça aurait fermé ma question.
Alors, il faudrait peut-être chercher du côté du complexe d'Oedipe. Moi qui aimais tant mon père, j'aurais rêvé du meurtre du roi ? Et j'aurais refoulé cette pensée ? (A moins qu'il ne s'agisse du meurtre de ce maître autoritaire). Peu importe l'explication du mot d'ailleurs. L'essentiel c'est que ça me fasse tant de bien de faire resurgir ces mots si profondément enfouis. Oh mais, attendez je me sens prêt à nouveau :
crinoline - acrimonie - crémone – crémonîtoire - crématoire - crime atroce - criminelle – criminologie - criminimini - cryologie - l'acrimonie.
Eh bien, ça y est, une fois de plus : le dernier mot épuise entièrement ma pulsion d'expulsion. Et, là encore, j'ai une explication. En effet, dans trois jours, je vais prendre le train pour rejoindre un groupe où régnait autrefois une amitié sans faille. Mais maintenant, c'est l'acrimonie qui s'y est installée. Et ça me pèse vraiment.
Mais on pourrait me dire :
- Mais, dès le deuxième mot, tu avais trouvé : acrimonie. C'est exact. Cependant, le vrai mot, c'était « l'acrimonie ». Et ce simple L change les choses. En effet, autour des phonèmes de acrimonie pourraient flotter des idées d'âcreté, d'acier, d'accroc. Mais l'acrimonie c'est différent. Je vais m'amuser à faire une liste des idées auxquelles pourrait se référer ce mot. Je pourrais penser à :

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