Erda ou le savoir



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1.12.Avoir à être


Le concept de puissance recouvre deux sens. Le sens proprement physique : capacité de produire un travail - ou une énergie - en un temps donné. Ce qui donne le sens philosophique et politique : aptitude à exercer une action sur les autres (en particulier pour les soumettre à sa volonté, les dominer, les contraindre à servir ses propres intérêts).

Le second sens est celui de potentiel, qui littéralement signifie "en puissance", capacité d'effectuer un acte qui ne s'est pas actualisé. L'être "en puissance" est dans une superposition d'états contradictoires121.

Cette contradiction ne s'efface pas dans l'action, puisque l'être qui s'accomplit, perd sa puissance d'être. L'individu, tant qu'il n'agit pas reste riche de toutes ses potentialités. Agir, c'est choisir. Choisir c'est renoncé ; toute action est renoncement. L'homme libre, désiré par Wotan ne connaît plus cette contradiction ; contrairement au dieu qui lui va en mourir. Et Siegfried sera bien celui, qui engager dans l'action, ne craint pas de choisir ; en fait parce qu'il ne choisit pas, ce sont les autres, qui par leur simple présence, induise le héros dans l'action. Au cours du deuxième acte de Siegfried, Fafner, agonisant, interroge Siegfried :

«...Qui excita l'enfant / à commettre ce meurtre ? » ; et Siegfried répond :

«...à me battre avec toi, / tu m'encourageas toi-même. »

Siegfried est le héros qui ne connaît pas la peur ; celui qui est indifférent à son destin, et aux conséquences de ses actes. Seule Brünnhilde lui fera connaître cette peur dont il rêve de goûter la saveur, parce qu'il pressent, peut-être que cette peur donne, comme la souffrance, conscience d'exister122.

Wotan, lui est atteint du mal suprême, le renoncement à l'action.

« Lorsque la joie d'amour / de ma jeunesse pâlit, / mon esprit aspira au pouvoir : / de brusques désirs / violemment soulevé, / le monde je conquis ». Ainsi commence la longue confession de Wotan à Brünnhilde. La « joie d'amour », ce n'est seulement le sentiment d'union qu'on partage avec un autre être, mais l'oubli des autres dimensions de l'être, le sentiment de plénitude qui ne demande qu'à se perpétuer. Le temps n'existe plus, le présent n'est que l'actualisation du passé et l'avenir le présent qui s'étale dans l'atemporalité. Mais cet état est métastable, et si l'esprit tente un moment de s'accrocher à lui, le corps, lui, subit l'atteinte du temps et cherche un nouvel équilibre123. Comment le dieu immortel, est-il atteint par la temporalité ? Apparemment, par la volonté d'aller au-delà du pouvoir déjà conquis, cet au-delà symbolisé par l'anneau. Et de dominateur, Wotan se trouve alors dominer par son désir de domination, impossible à assouvir lorsque la domination est complète. « Moi qui règne par des contrats / aux contrats me voici asservi.».

Le Walhall comme image de la théorie qui se ferme sur elle-même a déjà été évoqué. En s'enfermant au Walhall, Wotan succombe au piège de la théorie. Celui-ci joue de deux façons :

- en enfermant l'être dans un système, dont il ne peut plus s'échapper sans avoir le sentiment de renier ce qui a été le but des ses efforts.

- en faisant de l'être un défenseur de mauvaise foi de la théorie - à laquelle il a sacrifié sa liberté, et une partie de ses rêves - surtout lorsque celle-ci commence à révéler ses faiblesses, même aux propres yeux de son créateur. 

Wotan est ainsi le symbole du créateur d'une théorie, qui durant toute la période de gestation a cru en la valeur absolue et définitive de son œuvre, mais qui, celle-ci achevée, prend conscience tout à coup qu'un monde différent, et qui l'ignore n'a pas cessé pour autant d'exister, monde gardant finalement tous ses secrets. Wotan fuit le Walhall, mais il est trop tard, il ne pourra qu'y revenir, achever son destin dans la morosité, l'ennui et le désespoir...sans avoir obtenu la moindre réponse pour ses plus cruelles interrogations.

Cette tendance pathologique à s'enfermer dans un système avec d'autant plus de conviction qu'on le sent menacé est un réflexe d'autodéfense, condamnable en soi puisqu'il tend à s'opposer au progrès des connaissances, mais il faut reconnaître qu'elle joue un rôle social et scientifique en partie bénéfique dans la mesure, où elle équilibre la tendance inverse à se débarrasser, au profit de nouveautés qui n'ont pas fait leurs preuves de choses qui non seulement n'ont pas épuisé toute leur potentialité mais reste nécessaire à l'équilibre du moment.

La pensée humaine ne peut se maintenir que dans un état métastable, c'est-à-dire vivre dans l'idée que les systèmes les mieux éprouvés peuvent, à tout moment manifester leur faiblesse, voire leur fausseté. Se faire à l'idée qu'il n'existe de vérité que relative est certainement plus difficile qu'on ne le croit : nous acceptons de douter de nos propres convictions, beaucoup moins d'être contraints au doute par ceux qui tentent d'imposer leurs propres convictions124.


*

Ce déséquilibre qui fait penser à la définition de la marche comme une succession de chutes évitées, a amplement été décrit et étudié par les philosophes. Anticipant sur le prochain chapitre, je vais me référer à Sartre et L'être et le néant125. Etudiant les structures de la conscience Sartre, en s'étendant peut-être un peu trop longuement, se livre à des analyses d'intérêt somme toute contestable126. Quelques formules tranchantes émergent cependant qui caractérisent bien l'ambiguïté même de notre être :

« La conscience a à être son propre être [...] : elle n'est pas ce qu'elle est.» (Opus cité page 102). Puis, page 132 : « La réalité humaine surgit comme présence au monde est saisie d'elle-même par soi comme son propre manque.». Page 135 : «Concrètement, chaque pour-soi est manque d'une certaine coïncidence avec soi127.».Enfin, citons cette expression qui revient très souvent sous la plume de Sartre : «Pourtant le pour-soi est, Il est, dira-t-on, fusse à titre d'être qui n'est pas ce qu'il est et qui est ce qu'il n'est pas.»(Page 121).

Cette impossibilité d'être dans la plénitude de l'être, se transforme chez Wotan en désir de ne plus être, mais cependant de perpétuer dans un autre son désir d'être. Projet qui réussit, puisque Siegfried naît, mais dérive vers un non-être généralisé puisque Siegfried et Brünnhilde disparaissent dans le bûcher funéraire du héros qui du même coup réduit le Walhall et les dieux en cendre.

Ce détour philosophique va nous ramener à des problèmes davantage liés à la science. Car l'évolution des concepts scientifiques à l'intérieur de nous-mêmes est bien liée à cet être continuellement changeant, cherchant désespérément la stabilité, mais ne s'accomplissant que dans le changement ; se nourrissant de ce changement. Ceci est dû, en partie à ce que dans les actes élémentaires de la communication, chaque parole prononcée, chaque phrase écrite modifie notre pensée ; nous sommes dépendants à chaque instant, du hasard des associations, des événements extérieurs qui peuvent changer le projet initial.


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