Innombrables sont les récits du monde


IV. 2. 2. Maintien et changement



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IV. 2. 2. Maintien et changement

Bamberg (1985, 1987) toujours, cherche à définir le rôle du contraste nom/pronom dans l'établissement d'une cohérence narrative et plus précisément dans les fonctions de maintien et de changement de référence aux participants. Tout d'abord, il montre que les sujets adultes, contrairement aux enfants, utilisent majoritairement la même stratégie dite "stratégie anaphorique" qui consiste à employer une forme nominale définie pour un changement de référence et une pronominalisation lorsqu'il s'agit de maintenir le même participant. Clancy (1980) relève également qu'en japonais, les sujets utilisent plus de syntagmes nominaux pleins que de formes pronominales, lorsqu'il est question de changement de référence, et inversement quand il est question de maintien. Toutefois, il existe un certain nombre de déviations à cette stratégie prototypique.

En effet, certaines formes pronominales, relevées là où des formes nominales sont attendues, ont pour fonction de signaler que la continuité thématique n'a pas été interrompue (2), ou encore de marquer un changement de perspective en introduisant des énoncés évaluatifs (3), comme c’est le cas dans les exemples suivants :

(2) 46;06a 3b 021 le chien - bien sûr il est rentré dans le bocal

022 la tête est rentrée dans le bocal

023 et puis il [chien] est un peu perdu. -

Dans l’exemple (2), la clause 022 n'interrompt pas vraiment la progression thématique, elle ne fait qu'apporter une précision supplémentaire sur l'état de choses décrit dans la clause précédente. Aussi, ce dernier réintroduit-il le chien dans la clause 023 sous forme pronominale.

(3) 30;10b 15- 049 et le voilà [garçon] qui repart avec une grenouille,

050 on sait pas

051 si c'est celle qui s'est enfuie de son bocal, -

052 ou si c'est une autre grenouille,

053 et il [garçon] dit au revoir à toute la famille grenouille.

Les clauses 050 à 052 de cet exemple comprennent une évaluation du narrateur qui ne dérange en rien le bon déroulement de l'histoire. Dans ce cas aussi, l'adulte se réfère à nouveau, après cette brève suspension, au personnage déjà mentionné en utilisant la forme pronominale. Ce moyen lui permet de sortir en quelque sorte de la chronologie de l'histoire par une sorte de parenthèse, de séquence latérale, sans pour autant en interrompre le déroulement.

Par contre, pour ce qui est des formes nominales employées dans les cas où le participant reste le même, Bamberg leur attribue la fonction de segmentation textuelle. Il en va de même dans notre corpus.

(4) 26;00e 1- 003 avec son chien il [garçon] s'amusait à regarder la grenouille. -

2a 004 le soir thomas va se coucher,

Dans cet exemple, le narrateur mentionne le petit garçon sous forme nominale, bien qu'il n'y ait pas de changement de participant. Cela s'explique par le fait que cette forme nominale a pour fonction d'établir une nouvelle unité informationnelle. Il s'agit dans ce cas précis d'un changement d'image et ce phénomène se voit renforcé par une expression marquant la distance temporelle "le soir".

Ces déviations montrent que les expressions référentielles sont pluri-fonctionnelles : le pronom marque la continuité thématique ou l'information de premier plan ; le nom, un changement de référence, une segmentation en unités plus petites, ou encore le début d'une unité informationnelle. Mais elles montrent également que les outils référentiels ont des fonctions à différents niveaux d'analyse, tant à un niveau local (phrastique et interphrastique) qu'à un niveau supérieur (épisode et texte), et que ces différences de portée sont à prendre au sérieux dans toute étude portant sur la référence aux participants.

Bamberg confirme également que le traitement linguistique diffère en fonction des participants. Il remarque par exemple que l'utilisation de formes nominales définies est majoritaire lorsque le changement de référence concerne le chien, alors que la pronominalisation est majoritaire lorsque le garçon est en jeu. D'autres études, (Chafe, 1972 ; Hinds, 1977, 1979 ; Karmiloff-Smith, 1979 ; Stenning, 1978) parviennent aux mêmes conclusions, à savoir que le statut des participants détermine le choix entre pronom et nom. Hickmann (1991), en faisant produire des narrations à partir de deux séries d'images à un interlocuteur aux yeux bandés, trouve des pronoms et des anaphores zéro en plus grand nombre dans la série contenant un personnage principal que dans celle n'en contenant pas.

En ce qui concerne les enfants, Bamberg observe une progression développementale dans les stratégies adoptées pour l'expression du maintien et du changement de référence. En effet, chez les 3, les 4 et les 5 ans, l'emploi de la pronominalisation montre que les plus jeunes choisissent majoritairement le garçon comme protagoniste privilégié et se réfèrent à lui sous forme pronominale aussi bien pour le maintien que pour le changement de référence. Ils utilisent une forme nominale définie uniquement dans le cas de déviation de la progression thématique. Cette stratégie, qui crée une continuité thématique autour du protagoniste et produit un effet de cohérence macrostructurelle, est dénommée "stratégie du sujet thématique" par Karmiloff-Smith (1981). Le sujet 04;06m de nos données emploie cette stratégie dans sa production.

(5) 04;06m 1- 002 euh: i [garçon] regarde - i regarde la tortue. 010

003 et ya son lit à côté / -


004 et ya la lumière en haut,010
005 et ya le chien /
006 et ya et à la fenêtre ya la lune. 030

2a 007 !là! - lui eh ben - eh ben i [garçon] fait dodo, -


008 et ya la tortue,
009 qui est sortie,
010 et qui regarde. -
011 ya ses pantoufles, -
012 ya son tapis, -
013 ya ses bottes, -

2b 014 i [garçon] se réveille, -


015 ya ses fenêtres sa fenêtre, -
016 ya d'la lune, -
017 ya - la lampe en haut, 010

3a 018 et là: - ya le chien / -


019 qui est dans la bouteille de la tortue, -
020 et ya les pantoufles / -
021 et i [grenouille] !sort! / 010

3b 022 et le chien eh ben i renverse la bouteille, -


023 et la fenêtre eh ben il est eh ben il [garçon] va aller vers la fenêtre.

4a 024 et là - i saute !vite! - le chien, -


025 i [chien] va casser cette bouteille / -

4b 026 et - après ya là: 010 i [garçon] prend son chien: / -

Selon Karmiloff-Smith (1981), qui se penche sur le problème de l'anaphore pronominale chez des monolingues francophones et anglophones (170 enfants entre 4 et 9 ans), la présence de cette stratégie est un des premiers signes de la représentation d'une structure discursive globale chez l'enfant. Toutefois, ses résultats diffèrent dans une certaine mesure de ceux de Bamberg, car Karmiloff-Smith repère cette stratégie chez les sujets de 5/6 ans, alors que les sujets germanophones de Bamberg l'utilisent dès 3/4 ans. Cette précocité des sujets de Bamberg est attribuable à la phase de familiarisation avec l'histoire à laquelle les sujets ont été soumis.

Au second stade, Bamberg note, chez la plupart des sujets de 5/6 ans, l'utilisation d'une stratégie de "contraste local". En effet, les sujets se concentrent sur le niveau local d'organisation du discours pour éviter des ambiguïtés dans l'interprétation des auditeurs que suscite la stratégie du sujet thématique. Cela se traduit par l'emploi d'une forme nominale définie pour la réintroduction du garçon dans la trame après interruption de la progression par le chien. La pronominalisation, elle, a pour fonction de maintenir le dernier référent, quel qu'il soit :

(6) 05;10k 4b 017 et le et et il il [chien] le léchait par la figure

018 et - et le petit garçon il était pas content. 030

5- 019 et il [garçon] disait ouh ouh,

020 et le chien il était pas content. 050

Enfin, le système des enfants plus âgés se rapprochent du système adulte, qui est un amalgame des stratégies locales et globales. En d'autres termes, ils cherchent à éviter les ambiguïtés entre deux phrases successives, assurent la continuité thématique, mais forment également des paragraphes et distinguent par des formes linguistiques différentes les informations de premier plan de celles d'arrière-plan.

En résumé, les narrateurs utilisent généralement des formes nominales pour la fonction de changement de référence et des formes pronominales pour celle de maintien de la référence, sauf dans les cas où d'autres facteurs modifient ce choix. Mais pour encoder le changement et le maintien de référence, un narrateur dispose encore d'autres possibilités comme les formes nominales simples ou disloquées et les anaphores zéro.

Hickmann (1988), travaillant sur le français chez des enfants de 4 à 11 ans, observe d'une part une diminution du nombre et de la fréquence d'utilisation des dislocations à gauche en fonction de l'âge des sujets. D'autre part, elle remarque chez les enfants de moins de 10 ans, que la dislocation à gauche est là pour marquer une discontinuité thématique ainsi que pour introduire de nouveaux participants, contrairement aux adultes qui l'emploient pour marquer la topicalisation d'un thème. En ce qui concerne les dislocations à droite chez les adultes, elles ont pour fonction principale de réintroduire un participant absent depuis plusieurs énoncés (Hickmann, 1988 ; Lambrecht, 1985).

Mais qu'en est-il du contraste pronom/anaphore zéro ? En effet, les narrateurs ne disposent pas uniquement du pronom pour maintenir une référence, mais aussi de l'anaphore zéro. Clancy (1980) montre que les narrateurs sont soumis à plus de contraintes dans l'utilisation de l'anaphore zéro que dans celle du pronom. En effet, un emploi approprié de cette forme, comme le soulignent Marslen-Wilson, Levy & Tyler (1982), "demande un strict parallélisme entre deux clauses successives, puisque l'élément zéro dans une clause est nécessairement pris comme co-référentiel à l'élément structurellement parallèle dans la clause immédiatement adjacente" (Marslen-Wilson, Levy & Tyler, 1982:353, notre traduction30). Plus simplement, les sujets doivent obligatoirement être les mêmes dans les deux clauses successives et les actions fortement liées. L'utilisation de l'anaphore zéro dépend donc d'un certain nombre de facteurs, comme les facteurs communicatifs ou encore discursifs. Le narrateur doit avant tout s'assurer qu'il ne crée pas d'ambiguïté référentielle pour son auditeur en utilisant une anaphore zéro par exemple, ou, au contraire, employer un pronom là où une forme moins explicite suffirait, dans le but de marquer l'interruption d'un réseau d'informations, et donc former une sorte d'épisode. Ces contraintes d'emploi expliquent les résultats des recherches développementales dans ce domaine. En effet, les études de Yuill & Oakhill (1991) sur des narrations orales ainsi que celles de Rutter & Raban (1982) sur des narrations écrites, s'accordent pour dire que les anaphores zéro apparaissent tardivement dans les productions des enfants et qu'elles sont rares avant l'âge de 8 et 9 ans.




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