Innombrables sont les récits du monde


I. 1. 2. L'analyse en "schéma"



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I. 1. 2. L'analyse en "schéma"

En réaction à une classification trop structurale, purement formelle du récit, apparaît une autre méthode d'analyse du récit basée sur la notion de "schéma narratif" (Rumelhart, 1975 ; Kintsch, 1977 ; Thorndyke, 1977 ; entre autres). Les défenseurs de ce nouveau paradigme s'intéressent davantage aux processus plus généraux de représentation, s'orientent plus vers la réalité psychologique de la structure narrative.

Cette représentation est conçue sous forme de règles et un grand nombre de "grammaires de récit", tentant de spécifier les constituants du récit et de décrire leurs interrelations, voient alors le jour (Mandler & Johnson, 1977 ; Rumelhart, 1975 ; Stein & Glenn, 1979 ; Van Dijk, 1977). Bien que l'on relève un certain nombre de différences dans la catégorisation des constituants, tous les auteurs dégagent une structure interne au récit, composée d'une exposition (setting) et d'épisodes. L'exposition a pour fonction d'introduire les protagonistes, le temps et le lieu de l'action. Les épisodes quant à eux, se subdivisent en cinq éléments :

1) Un événement déclencheur (initiating event) qui représente le problème à résoudre ;

2) Une réponse interne du protagoniste consistant en l’énoncé d'un but ;

3) Une tentative, c'est-à-dire une action du protagoniste en fonction du but fixé ;

4) Une conséquence découlant de l'action entreprise ;

5) Une réaction, représentant la réponse cognitive ou émotionnelle du protagoniste à la conséquence.

L'histoire qui suit sert d'illustration à cette structure :

Exposition : Il était une fois une petite fille qui vivait heureuse avec ses frères et soeurs et son chat.

1) Un jour, des pirates l'enlevèrent.

2) Sa famille lui manquait beaucoup, aussi décida-t-elle de s'enfuir.

3) Alors, pendant que tous les pirates étaient en train de manger, elle coupa ses liens et s'enfuit.

5) Elle vécut heureuse, protégée par toute sa petite famille.

La structure est hiérarchique et peut être récursive. Chaque épisode est en relation avec le but principal qui est de résoudre le problème soulevé par l'événement déclencheur (Stein & Trabasso, 1981). On trouve aussi des versions assouplies de ce modèle, comme chez De Beaugrande & Colby (1979), qui définissent non pas un modèle hiérarchique fixe, mais des règles de narration intervenant dans un ordre non rigide.

Soulignons, avant de nous pencher sur les inconvénients de cette approche, que ces grammaires de récit sont utilisées surtout pour évaluer la compréhension, et non la production des récits par les locuteurs. Aussi, un des inconvénients de cette approche, est son caractère inadapté à rendre compte d'histoires complexes mettant en jeu plusieurs personnages et comprenant des dialogues. Ces grammaires ne permettent d'analyser que des histoires simples. Le second inconvénient est lié à son caractère réductionniste, d'une part, en ce qu'elle ne tient absolument pas compte de la dimension sociale ni affective de la narration ; et d'autre part, en ce qu'elle ne s'occupe que très rarement - surtout à ses débuts - des outils linguistiques à proprement parler. Toutefois, ce type d'analyse révèle des informations intéressantes sur la compréhension et la mémorisation de récits. Il stipule l'existence :

"d'une représentation interne idéalisée des parties du récit canonique et des relations entre ces parties dont les récepteurs se servent comme guide de la compréhension devant l'encodage, et comme mécanisme de récupération au moment du rappel" (Mandler & Johnson, 1984:185).

Des expériences de rappel et de résumé de textes narratifs (Kintsch, 1977 ; Mandler & Johnson, 1977) montrent une compétence précoce du schéma narratif. De même, les recherches en production mettent à jour l'existence chez les sujets "d'une représentation prélinguistique de l'organisation générale, commune à tous les récits" (Gombert, 1990:191) qui jouerait un rôle central dans les traitements des informations par les sujets. De plus, les travaux centrés sur la notion de schéma narratif mettent en relief un développement clair des récits entre 4 et 12 ans, qui correspondrait à un établissement conscient d'une hiérarchie entre composantes, mais aussi à un développement langagier. En effet, ces travaux arrivent à montrer que les productions des plus jeunes consistent en des listes d'événements juxtaposés sans référence à une trame narrative globale, sans organisation en épisodes, ainsi qu'en un grand nombre de descriptions (Glenn & Stein, 1980 ; Peterson & McCabe, 1983). Puis, petit à petit, les narrations changent aussi bien quantitativement que qualitativement : un plus grand nombre de constituants est mentionné, les sujets sont capables d'établir un fil conducteur en rendant compte des relations entre les constituants. On passe d'un petit nombre de constituants mentionnés de façon coordonnée, voire même pour les plus jeunes de façon juxtaposée, à une histoire dont les différents éléments sont hiérarchiquement ordonnés (Esperet, 1984 ; Esperet & Gaonac'h, 1985 ; McKeough & Case, 1985).

Ce que l'on peut reprocher à ces travaux, c'est leur intérêt trop limité en matière d'encodage verbal. Les courants psycholinguistiques qui apparaissent dans les années quatre-vingts sous l'impulsion de la linguistique fonctionnelle (Givon, 1979, 1982, 1984, 1985 ; Halliday & Hassan, 1976 ; Hopper, 1979 ; Silverstein, 1985, 1987) viennent prendre le contre-pied. Ce nouveau courant analyse les formes linguistiques utilisées pour réaliser des fonctions narratives particulières, telles que l'établissement de la référence aux participants, la réalisation d'une cohérence temporelle et/ou aspectuelle, par exemple (Bamberg, 1987 ; Berman, 1988, 1994 ; Hickmann & Liang, 1990 ; Karmiloff-Smith, 1979, 1981 ; Wigglesworth, 1990). Ce courant tente de retracer la trajectoire développementale de la paire forme/fonction, dans un texte multi-propositionnel. Il est important de rappeler ici le vieil adage selon lequel il n'existe pas de correspondance univoque entre une forme et une fonction, mais qu'au contraire, plusieurs formes servent une fonction et inversement. Examinons les énoncés suivants :

1) Il a peur il tombe.

2) Il a peur et il tombe.

3) Il tombe car il a peur.

4) Comme il a peur il tombe.

5) Il tombe parce qu'il a peur.

Dans ces cinq énoncés, le locuteur exprime la relation de cause/conséquence. Pour ce faire, il utilise des formes différentes : le principe de l'ordre naturel (1), la coordination (2 et 3) et la subordination (4 et 5).

De plus, d'après Slobin, à la suite de Werner & Kaplan (1984), dans le système de l'enfant "de nouvelles formes expriment d'abord d'anciennes fonctions, et de nouvelles fonctions sont tout d'abord exprimées par d'anciennes formes" (Slobin, 1973:184, notre traduction2). Nous illustrons ce point par l'exemple de la conjonction de coordination et. Cette conjonction remplit de multiples fonctions chez les enfants. En effet, les enfants surgénéralisent son emploi à l'encodage de relations adversatives et temporelles, par exemple.

Les résultats de ces travaux insistent sur le fait que la compétence narrative est une compétence qui émerge progressivement et non pas d'un coup et d'un seul, et qui peut se développer jusqu'à l'adolescence. Le discours produit devient plus complexe en fonction de l'âge et le style rhétorique se rapproche toujours davantage de celui des adultes, locuteurs natifs de la langue (Ervin-Tripp & Mitchell-Kernan, 1977).

Les méthodologies utilisées deviennent plus expérimentales : on s'occupe moins de narrations spontanées, davantage de narrations produites à partir d'images fixes ou de films. Ces supports présentent un certain nombre d'inconvénients sur lesquels nous revenons dans notre partie méthodologique, mais ils permettent d'un autre côté, des analyses translinguistiques et développementales très fines dont les résultats sont loin d'être négligeables. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les travaux de Berman, Slobin et leurs collègues, dont nous nous inspirons directement pour notre travail.




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