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I. 1. 3. L'approche fonctionnaliste-conceptuelle de Berman, Slobin et al



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I. 1. 3. L'approche fonctionnaliste-conceptuelle de Berman, Slobin et al.

Comme nous venons de le rappeler ci-dessus, notre approche de l'acquisition de la compétence narrative est basée sur l'approche fonctionnaliste-conceptuelle de Berman, Slobin et leurs collègues, utilisée dans le cadre de leur projet translinguistique sur le développement des formes et de leurs fonctions dans une narration.

Pour commencer, il nous paraît utile de résumer cette approche en répondant aux cinq questions suivantes :

- quel est le domaine analysé ?

- qu'est-ce qui caractérise la trajectoire développementale ?

- quel est le telos du développement ?

- quelles sont les forces ou conditions qui sont à la base du développement ? Quelles sont celles qui interviennent au cours du développement ?

- quel est le type de méthodologie utilisé ?

Dans le tableau (1) suivant, nous tentons de répondre à ces cinq questions :


Domaine

Relation forme/fonction dans les narrations

Trajectoire développementale

Stade avec variations

Telos

Système adulte

Devenir un narrateur natif et efficace



Mécanismes

Âge, Structures spécifiques à la langue, Perspective

Méthodologie

Quasi-expérimentale - Histoire en images

Translinguistique

Développementale


Tableau (1) : Qu'est-ce que l'approche fonctionnaliste-conceptuelle ?

Ce tableau appelle un certain nombre de commentaires. Dans leur projet initial Berman & Slobin et leurs associés se focalisent sur le développement de la relation forme/fonction dans le domaine du temps et de l'aspect. Pour ce faire, ils utilisent une histoire en images (Frog, where are you ? Mayer, 1969) à partir de laquelle ils font produire des narrations à leurs sujets (dans le Chapitre II de notre travail, consacré à notre propre méthodologie, nous revenons en détails sur cette façon de procéder). Mais cette méthodologie les entraîne très rapidement à élargir leur champ d'investigation à d'autres domaines. En effet, les analyses de textes multi-propositionnels révèlent qu'il est difficile de traiter les différents constituants d'un système linguistique de façon isolée et qu'il est indispensable d'étudier dans quelle mesure et comment ces constituants interagissent.

Les buts principaux de cette approche sont donc d'examiner, à la fois, la façon dont les relations formes/fonctions changent avec l'âge des enfants (développemental), et la façon dont des narrateurs rapportent les mêmes événements dans des langues différentes (translinguistique). C'est pour cette raison que les chercheurs travaillent avec des enfants d'âges différents (de 3 à 13 ans) ainsi que des adultes, parlant des langues différentes (environ 30).

Selon Berman, Slobin et associés, trois principaux facteurs jouent un rôle important dans les productions narratives et leur développement : l'âge des sujets, la langue utilisée avec ses particularités, ainsi que la perspective choisie par les narrateurs. En d'autres termes, les défenseurs de cette approche avancent l'influence du développement cognitif, communicatif ainsi que linguistique des enfants sur les discours qu'ils produisent : "les facteurs cognitifs, communicatifs et linguistiques interagissent de manière complexe dans le développement" (Berman & Slobin, 1994:15, notre traduction3). Aussi, les données recueillies diffèrent-elles en plusieurs aspects.

Premièrement, comme le soulignent Berman & Slobin, il n'existe pas d'"histoire objective unique". Au contraire, il existe autant d'histoires que de narrateurs, puisque les narrateurs sont libres de choisir leur manière de présenter les événements, c'est-à-dire qu'ils sont libres, à la fois de choisir "une perspective" ou "un point de vue" particulier, et les outils linguistiques adaptés à son expression. Selon les disciples de cette approche, les catégories fonctionnelles liées à la perspective et leur expression formelle sont les suivantes : la thématisation et la focalisation, l'établissement du premier plan et de l'arrière-plan, la relation agent/patient par : des changements de voix (voix active versus voix passive), des variations dans l'ordre des mots, des formes référentielles. Lorsqu'un locuteur veut produire un énoncé, il doit choisir le thème de son énoncé, c'est-à-dire "ce sur quoi porte l'énoncé", ainsi que "ce qui en est dit" (Caron, 1983:198). Il doit choisir aussi quels événements vont faire partie de la trame (premier plan) et lesquels vont faire partie des commentaires (arrière-plan) et encore décider lequel des participants est à placer dans le rôle d'agent ou de patient. Dans le domaine de la perspective, les productions des enfants diffèrent de celles des adultes. Plus les enfants sont jeunes, moins ils sont capables cognitivement de changer leur manière de rapporter un événement ou une série d'événements. Ils les rapportent toujours selon la même perspective, en principe celle du personnage principal auquel ils attribuent le rôle d'agent privilégié. Karmiloff-Smith (1981) détecte dans la production de ses sujets de 5 ans la "stratégie du sujet thématique". Cette stratégie consiste à "sélectionner d'emblée un sujet thématique", qui est le personnage principal, à le placer en position initiale de la phrase et "à le maintenir" dans cette position, "par le biais de la pronominalisation tout au long de la narration" (Fayol, 1985:113).

Deuxièmement, les narrations des enfants diffèrent de celles des adultes, dans la mesure où l'utilisation des formes linguistiques disponibles dans leur langue, ainsi que les fonctions que ces formes remplissent dans un discours, n'est pas encore complètement automatisée. Dans une perspective développementale, l'enfant doit acquérir de nouvelles formes, mais aussi comprendre les fonctions qu'elles remplissent et apprendre à les utiliser dans un discours, afin de devenir un locuteur efficace et par là même un narrateur compétent. En effet, produire une narration implique la construction d'une série d'événements en un tout cohérent. Le narrateur doit encoder les événements mais aussi relier les événements les uns aux autres, et cela, en fonction d'une trame narrative globale. Pour reprendre les termes de Berman & Slobin, le locuteur a pour tâche "d'établir des connexions entre les événements et de les regrouper syntaxiquement dans des structures cohérentes - aux niveaux des scènes, de l'épisode et de la trame générale" (Berman & Slobin, 1994:5, notre traduction4). Pour résumer, l'acquisition de la compétence narrative implique un travail à plusieurs niveaux : l'enfant doit maîtriser le système morpho-syntaxique de sa langue, mais il doit aussi apprendre à l'utiliser dans un discours - tel que la narration - pour représenter une construction hiérarchisée et cohérente d'événements et ne pas se borner à une série d'événements juxtaposés selon un mode linéaire.

Troisièmement, les productions des jeunes enfants sont influencées par des facteurs communicatifs. Selon l'âge, "ils ne sont pas encore en mesure d'accéder complètement au point de vue du locuteur" (Berman & Slobin, 1994:15, notre traduction5). En effet, tout narrateur se doit de construire et de tenir à jour sa représentation de l'état de connaissance de l'auditeur tout au long de la narration. De nombreuses recherches ont montré que les jeunes enfants tendent soit à oublier les informations nécessaires à leur auditoire, soit au contraire à sur-marquer les informations. Un exemple de ces deux tendances est l'utilisation d'outils linguistiques plus ou moins explicites pour l'introduction d'un protagoniste dans une narration. Il arrive que les plus jeunes enfants (3, 4 et 5 ans) introduisent un personnage en employant des formes pronominales alors que les plus âgés emploient des formes nominales (il s'appelle Paul versus le petit garçon s'appelle Paul). De manière plus générale, "seulement des locuteurs et des narrateurs compétents, rapportent ce qui est nécessaire et pas plus, adhérant de ce fait, aux maximes gricéennes de pertinence et d'informativité" (Berman & Slobin, 1994:609, notre traduction6).

Enfin, un dernier point soulevé par l'approche fonctionnaliste-conceptuelle concerne l'influence de la langue utilisée et de ses caractéristiques sur la réalisation d'une narration. Les expériences sont filtrées au travers des options linguistiques disponibles dans une langue, ce que Slobin (1987, 1990) appelle "thinking for speaking". En effet, chaque langue exige ou facilite des choix particuliers. Une forme peut être plus ou moins productive dans une langue, c'est-à-dire qu'elle est plus ou moins utilisée par les locuteurs natifs de la langue, en fonction de ses propriétés morpho-syntaxiques comme son degré de complexité de traitement par exemple, ainsi qu'en fonction de son caractère obligatoire ou au contraire optionnel au sein du système auquel elle appartient. Prenons par exemple l'étude de Dasinger & Toupin (1994) sur les propositions relatives dans une perspective à la fois développementale et translinguistique. Elles soulignent d'une part, l'importance des facteurs morpho-syntaxiques (ordre des mots, cas, genre, nombre) dans l'utilisation fréquente versus rare des propositions relatives dans une langue donnée. Les auteurs montrent d'autre part, que les jeunes enfants préfèrent les propositions relatives de leur langue qui impliquent le moins de contraintes de traitement, comme celles qui conservent l'ordre des mots dominant dans la langue. Les locuteurs natifs d'une langue s'expriment donc dans un style rhétorique particulier qui transparaît aussi dans leurs productions narratives.

Pour conclure, l'approche fonctionnaliste-conceptuelle définit la narration comme la construction d'événements interreliés en un tout cohérent et cohésif. Dans cette approche, l'acquisition de la compétence narrative est liée aux développements qui se produisent dans d'autres domaines : langue, cognition et communication. Si l'on désire expliquer comment les enfants deviennent des locuteurs natifs et des narrateurs compétents, il est indispensable de prendre ces domaines en considération.


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