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Analyse : L’indispensable rencontre des savoirs (propos recueillis par Stéphanie Arc)



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Analyse : L’indispensable rencontre des savoirs (propos recueillis par Stéphanie Arc)


Edgar Morin, philosophe et sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, nous livre sa réflexion sur l’interdisciplinarité.

Le Journal du CNRS : En juin 2010, votre nomination à la présidence du conseil scientifique de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC) (L’ISCC, dirigé par Dominique Wolton, est la seule structure de recherche transverse du CNRS. Son conseil scientifique réunit les directeurs des dix instituts) a couronné, à l’aube de vos 90 ans, une remarquable carrière au sein du CNRS. Elle se situe dans la droite ligne de vos recherches, fondatrices dans le domaine de la communication...

Edgar Morin : En effet. Je me suis intéressé très tôt à la question de la communication, dont j’ai toujours pensé qu’elle était un élément fondamental de la vie sociale en ce qu’elle est indissociable de son organisation. Dès les années 1960, dans la lignée de la sociologie américaine de Paul Lazarsfeld, j’ai ainsi réalisé une étude sur les médias et “la culture de masse”, cet univers culturel né de la communication (L’Esprit du temps, Grasset, 1962.). À la même époque, nous avons également créé, avec Georges Friedmann et Roland Barthes, le Centre d’études des communications de masse (Aujourd’hui Centre Edgar-Morin, Unité CNRS/EHESS). Par la suite, la notion de communication a toujours été une dimension importante de mes recherches, jusqu’à mes réflexions actuelles sur l’affaire Wikileaks et Internet comme force libertaire extraordinaire. Autre exemple, dans mon dernier ouvrage, La Voie, je montre que le stade de la globalisation du monde, débutant avec l’effondrement du système soviétique et l’économie dite de capitalisme généralisé, coïncide avec le moment où la télécommunication immédiate est possible, par texte avec le fax puis Internet, par image avec la télévision et par son avec le téléphone portable... Autrement dit, le moment où la planète peut être instantanément réunie.

Le Journal du CNRS : Vous avez aussi montré que la communication est fondamentale dans le domaine de la recherche...

Edgar Morin : Tout mon travail a consisté à faire se rencontrer les savoirs. Et ce de diverses façons, car les échanges entre disciplines peuvent s’effectuer sous plusieurs formes, que j’ai appelées : transdisciplinarité, interdisciplinarité et poly-disciplinarité. J’ai commencé par découvrir les vertus de la transdisciplinarité tandis que je menais, en 1948, des recherches sur l’homme et la mort (L’Homme et la Mort, Seuil, 1951.). Au mot “mort”, le catalogue de la Bibliothèque nationale n’indiquait en effet que deux ouvrages de métaphysique : j’ai donc dû entreprendre des recherches transversales dans l’ensemble des sciences humaines, de la Préhistoire à l’ethnographie, sans oublier les sciences des religions, la philosophie, la psychologie, la psychanalyse, l’histoire... mais aussi la biologie ! J’ai compris, du même coup, que réfléchir sur les problèmes fondamentaux requiert la jonction des connaissances de plusieurs disciplines. Plus tard, j’ai fait l’expérience de l’interdisciplinarité en participant à un vaste programme lancé en 1961 dans la commune de Plozévet (Commune en France : la métamorphose de Plodémet, Fayard, 1967), qui réunissait nombre de chercheurs en sciences humaines et sociales censés travailler ensemble. Ce qui n’est pas chose aisée...

Le Journal du CNRS : Quels sont les obstacles à ces échanges entre les savoirs, notamment dans la recherche française ?

Edgar Morin : Outre la coupure entre sciences et humanités, ils sont de plusieurs ordres : institutionnels, avec par exemple le recrutement et l’évaluation des chercheurs par discipline, et humains, à travers une certaine tendance à l’hyperspécialisation. Quant à travailler ensemble... C’est comme à l’ONU, chaque nation veut garder son indépendance ! Je me permettrai de suggérer deux pistes : le passage obligatoire des chercheurs qui entrent au CNRS par un séminaire de culture scientifique et la création d’un système d’évaluation pluridisciplinaire.

Le Journal du CNRS : Le problème ne viendrait-il pas des disciplines elles-mêmes, qui favorisent l’isolement dans une spécialité ?

Edgar Morin : Mais, sans ces catégories, instituées au 21e siècle, il n’y aurait pas de savoirs ! Car elles circonscrivent un domaine de compétences et construisent leur objet en l’extrayant du monde. La spécialisation est féconde... Il faut toutefois veiller à ce que les disciplines demeurent à la fois fermées et ouvertes : ouvertes pour se nourrir de l’extérieur, fermées pour exprimer leur identité. Chacun devrait se raccorder aux autres, voir son objet comme faisant partie d’un ensemble. En relisant l’histoire des sciences, on constate que de nombreuses avancées scientifiques sont nées d’échanges. Les notions circulent et sont réutilisées, comme le montre le concept d’information qui a migré dans la biologie pour s’inscrire dans le gène ; les problèmes empiètent d’un savoir sur l’autre ; des disciplines apparaissent de concubinages illégitimes. Ainsi, la biologie cellulaire est née de la projection sur l’organisation biologique de problèmes de l’organisation physique par des physiciens, tel Schrôdinger...

Le Journal du CNRS : Sciences de la communication, de l’Univers, de la vie, de l’ingénieur... Toutes les sciences depuis un demi-siècle ne sont-elles pas pluridisciplinaires ?

Edgar Morin : Certes, c’est d’ailleurs ce que j’appelle poly-disciplinarité, c’est-à-dire le fait que ces sciences récentes lient plusieurs disciplines. Et cela parce qu’elles s’articulent autour d’une notion systémique : écosystème et biosphère pour l’écologie, cosmos pour la cosmologie... Les sciences de la Terre, parce qu’elles conçoivent la planète comme un système complexe, parviennent à faire communiquer entre elles météorologie, volcanologie, sismologie, géologie, etc. Et il en va de même des sciences de l’environnement, qui mobilisent la botanique, la biologie, la zoologie, la microbiologie, etc. Reste qu’au sein même des disciplines se repose le problème du morcellement du savoir. La biologie se trouve par exemple divisée entre les chercheurs en biologie moléculaire, partisans du déterminisme génétique, et les éthologues, spécialistes des comportements animaux, qui montrent qu’ ’on ne peut pas tout réduire à des programmations génétiques...

Le Journal du CNRS : Somme toute, ce qu’il faut, avant tout, c’est connecter les connaissances...

Edgar Morin : Oui, ou les “tisser ensemble”, du latin “complexaré , d ’où mon travail sur la “pensée complexe”, afin de pouvoir saisir le monde dans ses contradictions, sa non-linéarité – entre cause et effet –, sa continuité discontinue. Le caractère nocif de la discipline, c’est qu’elle coupe un continuum en fragments séparés. Or, pour y remédier, il me fallait des concepts, et c’est ce à quoi je me suis attelé durant trente ans en écrivant La Méthode (La Méthode, 6 tomes, Seuil, 1977-2004.), afin de formuler selon quelle méthode et quel principe on peut “relier” de la meilleure manière possible, et ainsi affronter la complexité du monde.

Contact : Edgar Morin stephanie.proutheau@iscc.cnrs.fr



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