Université Louis Lumière Lyon 2 Faculté de Géographie, Histoire de l’Art, Tourisme


CHAPITRE 29 - Le redémarrage de la recherche en simulation architecturale (1985-1991)



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CHAPITRE 29 - Le redémarrage de la recherche en simulation architecturale (1985-1991)

De Reffye se trouve donc à Strasbourg à une époque où les étudiants de DEA d’informatique choisissent leur stage. Marc Jaeger, né en 1962, est le premier étudiant intéressé par le stage et le projet de poursuite sur une thèse proposée conjointement par l’ULP et le CIRAD/GERDAT. L’accord verbal conclu entre Françon et de Reffye est le suivant : Jaeger doit faire l’informatique à Strasbourg et la botanique à Montpellier. Il aura pour directives de reprendre les algorithmes de la thèse de de Reffye, de les programmer en FORTRAN et de fournir le plus tôt possible des images qui puissent être montrées sans délai dans un prochain colloque SIGGRAPH, en concurrence avec celles déjà obtenues par les japonais Aono et Kunii, notamment. Car il faut montrer au plus vite la valeur de cette solution. Or, voir une publication acceptée au SIGGRAPH est quelque chose d’exceptionnel pour des français : Françon sait que la plupart des propositions sont rejetées, tant la concurrence est féroce. L’enjeu est de convaincre par là non seulement les concurrents au niveau international, mais aussi les institutions nationales susceptibles de financer un projet de recherche qui exige l’achat de machines coûteuses et parmi les plus récentes qui soient. L’enjeu de cette première thèse bi-disciplinaire est donc de prouver la valeur de la solution et de la médiatiser.

En 1985, Jaeger commence alors son travail sur les machines du Centre de calcul de Strasbourg-Cronenbourg (CNRS). Mais les heures y sont payantes et le laboratoire de Jean Françon (le Centre de Recherche en Informatique de l’ULP) est peu doté, à l’instar du Laboratoire d’Informatique de l’ENS (Ulm) de son collègue et collaborateur, Claude Puech qui, lui aussi, commence à s’intéresser à la synthèse d’images. À l’époque, la recherche française et le CNRS, en particulier, ne sont pas très orientés vers la synthèse d’images : aucun budget n’existe. En 1982, de manière symptomatique, le gouvernement Mauroy avait certes mis deux milliards de francs dans l’image de synthèse, mais à la seule destination de la création artistique et de l’animation : seuls les Ministères de la Culture et de l’Industrie avaient cotisé. Or, les chercheurs ne recevaient quelque chose que si que leur Ministère de tutelle avait contribué : les chercheurs et universitaires en infographie n’obtinrent donc pas de bénéficier de cette manne puisque le Ministère de l’Education Nationale n’avait rien donné !

Françon se débrouille donc d’abord comme il peut. Au départ, Jaeger ne peut sortir que quelques images du Centre de calcul. Il travaille sur une machine servant habituellement aux biochimistes. Mais ces maigres résultats suffisent à convaincre de Reffye qu’il faut que le CIRAD investisse rapidement de son côté. Après 3 ans, Françon finira bien par obtenir une station Silicon Graphics, achetée d’occasion 1 million de francs. Mais ce sera trop tard car, entre-temps, Bichat et Sifferlen ont entendu la demande de de Reffye. Dès 1985, ils ont fait acheter par le CIRAD le matériel nécessaire, un mini-ordinateur Data General et un écran Tektronix. Et, à l’occasion d’un contrat ponctuel, il permettront que le GERDAT se fasse prêter une station Silicon Graphics avant même que l’ULP n’en possède une. Le laboratoire de Françon est donc dépassé pour des raisons financières : ce dernier conseille alors à Jaeger de s’installer de préférence durablement à Montpellier où le matériel existe. Il dirigera à nouveau cette thèse à distance… Bien évidemment, en contrepartie, un des objectifs supplémentaire de la thèse d’informatique de Jaeger au CIRAD sera de mener à un logiciel de simulation commercialisable, compatible et portable sur différentes technologies informatiques. Conscient dès le début de l’investissement qu’il fait, le CIRAD ne perd pas ses objectifs de vue : il lui demande donc également de mener une recherche qui permette une valorisation rapide, en conformité avec son habituelle logique de fonctionnement. C’est une des raisons pour lesquelles la théorie botanique ne sera pas affinée par rapport à la thèse de de Reffye.



Création de l’AMAP et valorisation du premier logiciel : une simulation en préfixé (1987)

En 1985, afin de formaliser cette activité de recherche et d’encadrer la venue d’étudiants-chercheurs, le CIRAD crée, au sein du GERDAT, le « laboratoire de modélisation des plantes ». Françon, connaissant les us et coutumes du monde de l’informatique et de l’infographie, conseille tout de suite au CIRAD de donner un nom accrocheur au laboratoire. Il pourra servir également d’emblème au produit logiciel qui devra en sortir. De Reffye propose qu’on le baptise AMAP : Atelier de Modélisation de l’Architecture des Plantes. Il craint un peu le caractère ronflant de l’acronyme médiatique et c’est lui qui temporise et insiste pour que le premier « A » ne signifie qu’« atelier » : c’est le signe d’une modestie qu’il veut voir aussi à l’œuvre dans son équipe de chercheurs. Au départ, l’AMAP n’est donc constitué que de de Reffye, René Lecoustre (qui était rentré en même temps que lui de Côte-d’Ivoire), Marc Jaeger et Evelyne Costes, une jeune botaniste effectuant son doctorat sur l’analyse architecturale et la modélisation du litchi à l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc (USTL), à Montpellier. Cette dernière y travaille avec Francis Hallé, devenu entre-temps directeur du Laboratoire de Botanique. Elle est aux côtés du botaniste Claude Edelin qui vient de soutenir ses deux thèses à la même université sur l’architecture des conifères (thèse de 3 cycle : 1977) puis sur l’architecture monopodiale et les formes réitérées automatiquement (thèse d’Etat : 1984). Ayant été récemment recruté à l’USTL, il peut lui aussi suivre de près le travail du GERDAT. Le rôle des botanistes de l’école de Hallé va consister d’abord à préciser et consolider les concepts de la simulation et à les étendre à de nouvelles plantes. AMAP naît donc autour d’une collaboration entre le CIRAD, l’Institut de Botanique de Montpellier, l’ULP mais aussi le Laboratoire de Recherches Informatique (CNRS) de Paris-Sud dirigé par Claude Puech. Puech sera même un des rapporteurs de la thèse de Jaeger.

Au début de leur travail commun, Philippe de Reffye et Marc Jaeger affichent le projet de continuer à privilégier avant tout le point de vue de l’arbre unique, indépendamment de son environnement et de sa physiologie. Ils renoncent pour cela à l’emploi des grammaires génératives de type L- Systèmes. En effet, les fonctions concrètes, proches des mesures de terrain, n’y sont pas adaptéesme : « une plante se développe par ajouts successifs et irréversibles d’éléments et non pas par des substitutions d’éléments quels qu’ils soient »1. L’objectif essentiellement botanique de la simulation est là encore prioritaire. De plus, ils font le choix de conserver l’expression probabiliste du fonctionnement des méristèmes, telle qu’elle fut initialement développée par de Reffye. Car ils veulent continuer à tirer parti au maximum des observations sur le terrain : observer une population d’arbres de même espèce informe sur les distributions de ses lois de probabilité. Ainsi la variabilité pour un individu peut-elle être estimée et restituée quantitativement par simulation. Il ne suffit pas d’observer la croissance et l’architecture d’un individu pour pouvoir chiffrer ses lois probabilistes de croissance. La simulation d’un individu ne signifie donc pas qu’on a mesuré les caractéristiques d’un seul individu pour les restituer ensuite. L’ajustement de ses paramètres résume à lui seul un très grand nombre d’observations sur le terrain. Ce fait important découle de l’approche dynamique et botanique de l’architecture des arbres.

Mais le manque de précision des concepts botaniques de haut niveau (réitération, axe, unité de croissance…) interdit encore son utilisation. C’est donc au titre de méthode constructive, bottom-up ou « de bas en haut », que l’approche procédurale, au sens informatique du terme (procédural = programmable par ordinateur au moyen d’une série d’actions définies par des procédures élémentaires), est choisie au détriment d’une approche dite « conceptuelle » (fondée sur des classes d’objets hiérarchiquement ordonnées). Cette approche procédurale informatique reprend la construction de la plante à partir de la modélisation stochastique, donc par le détail. Le végétal se construit à partir de la définition de l’activité élémentaire des méristèmes. L’intérêt de cette remarque de de Reffye et Jaeger réside dans le fait que si l’on veut simuler par ordinateur, il faut tôt ou tard pouvoir quantifier, ramener au calcul les rapports entres les entités simulées. Or, même la classification précise mais de haut niveau et donc qualitative ou « conceptuelle » de Hallé et Oldeman n’y suffit pas. C’est pourquoi il a bien fallu pallier ce manque de précision chiffrée par l’introduction de lois essentiellement « souples » telles que le sont les lois probabilistes.

Cette nouvelle justification, avec sa nouvelle terminologie, est pour nous intéressante car elle manifeste la volonté de Jaeger et Françon de traduire dans des concepts informatiques usuels (« programmation procédurale » versus « programmation conceptuelle ») le sens de l’approche bottom-up de de Reffye qui, au départ, avait une nécessité agronomique. Ce que Jaeger veut dire, c’est qu’il serait vain que l’informaticien cherche ici tout de suite des classes d’objets et qu’il s’acharne à vouloir définir les objets à simuler de haut en bas, par propriétés, comme cela peut se faire déjà dans le langage C. Cela correspondrait sinon, de son point de vue, à quelque chose comme l’approche qualitative par les modèles architecturaux de Hallé et Oldeman dont de Reffye a montré qu’elle ne pouvait donner lieu à une immédiate quantification.


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