Le Fort Saint-Georges malmené par la houle au large de la Hague
Rapport de stage ouvrier
Ayant toujours habité en bord de mer et pratiqué des sports nautiques, j’avais choisi l’ENSTA Paristech pour sa filière « Transports maritimes » et c’est donc avec un enthousiasme non dissimulé que j’ai effectué mon stage ouvrier sur un porte-conteneurs. Embarquant au Havre le 15 juillet 2011, le Fort Saint-Georges et ses 2260 conteneurs m’ont fait traverser l’Atlantique jusqu’aux Antilles françaises, suivant la route des premiers explorateurs. Vivre la vie de marin pendant un mois est trépidant, excitant mais également intimidant car cette expérience est une première et nombreux sont ceux qui s’étonnent de ce choix. Mais cette décision a été mûrement réfléchie et ce stage est un moyen pour moi de découvrir un univers industriel unique par sa richesse et sa complexité, l’aspect navigation étant souvent masqué par un souci de rentabilité omniprésent. A mon départ, je ne m’étais fixé aucun objectif précis, si ce n’est celui de profiter de cette expérience hors du commun pour aborder sous un angle original le monde de l’entreprise et en comprendre les rouages.
Cependant, j’ai rapidement découvert que les enseignements que je pourrai retirer de ce stage étaient d’une infinie richesse, que seule ma curiosité me permettrait de percer. Car un porte-conteneurs n’est pas une entreprise comme une autre et de nombreux facteurs viennent s’ajouter au métier d’officier ou d’ouvrier le rendant ainsi plus palpitant mais surtout beaucoup plus éprouvant. Je vous invite donc à me suivre dans ce périple qui d’un stage ouvrier se décline en voyage initiatique…
Présentation du Fort Saint-Georges et de son équipage
Le Fort Saint-Georges est l’un des quatre navires marchands sous pavillon français à réaliser la liaison entre la métropole et les Antilles, permettant ainsi le transport de marchandises exotiques telles que les bananes ou le rhum. Ce porte-conteneurs est, malgré les apparences, l’un des plus petits de la compagnie CMA-CGM, troisième armement mondial de transport maritime en conteneurs et premier français qui possède actuellement 389 navires sur 170 grandes routes maritimes. Ces routes maritimes s’étendent sur l’ensemble du globe et l’une des plus fréquentées actuellement est la ligne Europe-Asie, qui s’effectue en moins de 70 jours et dessert les principaux ports asiatiques.
Le Fort Saint-Georges effectue, quant à lui, un trajet de 28 jours, son itinéraire et sa route étant inchangées et s’organisant de la façon suivante :
15 juillet : Le Havre
16 juillet : Montoir-de-Bretagne (Saint Nazaire)
25-26 juillet : Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
27-28-29 juillet : Fort-de-France (Martinique)
30 juillet : Pointe-à-Pitre
8 août : Dunkerque
10 août : Rouen
12 août : Le Havre
Ainsi, la traversée de l’Atlantique correspond à un total de huit jours de navigation et plusieurs jours d’escale permettent l’embarquement et le débarquement des conteneurs. Cette ligne est aujourd’hui unique en son genre car elle est la seule à présenter un nombre de jours d’escale aussi conséquent, dans un contexte mondial où la rentabilité est primordiale. Ceci est dû au fait que les dockers antillais bénéficient de conditions de travail très favorables, acquises à la suite de nombreuses grèves, relativement aux dockers d’autres pays. Par exemple, en Chine, le débarquement de 8000 conteneurs ne doit pas prendre plus de 10 heures tandis qu’en Martinique, le débarquement de 2000 conteneurs s’effectue en trois jours. Il est tout de même intéressant de voir que l’homme réussit encore à freiner ce monde en effervescence qui vise toujours plus gros et toujours plus rapide, quitte à effacer toute relation humaine des rapports marchands (construction de gigantesques porte-conteneurs gérés par des équipages réduits au strict minimum, automatisation des ports…).
Descriptif des caractéristiques principales du Fort Saint-Georges
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Armateur propriétaire
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CMA CGM
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IMO number
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9261889
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Armateur Gérant
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CMA CGM
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Construit en
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2003
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Tonnage brut
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26.342 ums
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Chantier
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China Bldg Corp. Kaohsiung
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Capacité EVP
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2.230
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Propulsion
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Hanjung Samsung Diesel 8S70 MC-C
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Port en lourd
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30.400 t
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Puissance :
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24 830 kW
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Longueur
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197,7 m
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Vitesse :
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21,5 nds
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Largeur
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30,2 m
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Sister ships:
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Fort Saint Louis, Fort Saint Pierre, Fort Ste Marie
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Le cargo possède 5 ponts, de A à E, sachant que le pont A permet l’accès à la salle des machines et le pont E, offrant le maximum de visibilité, correspond à la passerelle où toutes les décisions propres à la conduite sont prises. Les autres ponts correspondent pour la plupart aux cabines et au service de restauration. Trois grues de 45 mètres chacune sont également présentes, permettant ainsi au Fort de décharger des conteneurs dans n’importe quel port, que ce dernier soit muni d’infrastructures ou non.
Concernant l’équipage, ce dernier est franco-roumain mais la grande majorité des postes à responsabilité, à savoir les postes d’officiers, est occupée par des français, comme en atteste très nettement la liste des membres d’équipage :
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Mr. Masson : commandant F (officier)
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Mr. Seguin : second capitaine F (officier)
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Mr. Augrand : chef mécanicien F (officier)
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Mr. Leroy : second mécanicien F (officier)
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Mr. Popa : lieutenant navigation R (officier)
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Mr. Gautier : lieutenant polyvalent F (officier)
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Mr. Damian : lieutenant sécurité R (officier)
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Mr. Lungu : lieutenant mécanicien R (officier)
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Mr. Raimondeau : bosco F (ouvrier)
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Mr. Goasmat : chef cuisinier F
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Mr. Nicolae : reeferman R (ouvrier)
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Mr. Blin : maître électricien F (ouvrier)
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Mr. Porosnicu : reeferman R (ouvrier)
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Mr. Batca : polyvalent pont R (ouvrier)
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Mr. Holbura : soudeur R (ouvrier)
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Mr. Stefan : timonier R (ouvrier)
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Mr. Rusu : timonier R (ouvrier)
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Mr. Dumitrache : timonier R (ouvrier)
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Mr. Blinda : tourneur R (ouvrier)
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Mr. Terrasson : maître mécanicien F (ouvrier)
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Mr. Shewdoelare : ouvrier mécanicien F (ouvrier)
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Mr. Morvan : maître d’hôtel F
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Mr. Mardale : garçon passerelle R (ouvrier)
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Mr. Vornicu : aide cuisinier R (ouvrier)
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Mr. Cvas : polyvalent mécanicien R (ouvrier)
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Mr. Beschu : élève polyvalent F (élève officier)
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Mr. Broudic : élève polyvalent F (élève officier)
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Mr. Texier : élève machine F
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Mlle. Sourdin : élève F
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Mr. Raileanu : soudeur R (ouvrier)
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Mr. Cioceat : peintre R (ouvrier)
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Mr. Timpau : peintre R (ouvrier)
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Mr. Scianu : soudeur R (ouvrier)
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Mr. Rogeon : bosco F (ouvrier)
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Mme. Ayel : passagère F
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Mr. Ayel : passager F
Comme on peut le constater, deux passagers sont présents à bord. En effet, aujourd’hui, pour rentabiliser toujours davantage le transport maritime, des cabines sont réservées à des passagers prêts à débourser 100 euros par jour afin de voyager différemment.
Concernant la formation des membres de l’équipage, les officiers français sont formés dans l’une des quatre ENSM, Ecole Nationale Supérieure Maritime basées au Havre, à Saint-Malo, à Nantes et à Marseille. Tous les officiers à bord avaient suivi une formation polyvalente, lors de laquelle ils ont alterné mois de navigation et mois à l’école, leur permettant d’accéder aux grades les plus élevés au pont ou à la machine.
Le travail au quotidien
Comme dans toute entreprise, la rigueur et la spontanéité sont essentielles à la réalisation des tâches quotidiennes. Mais, sur un bateau, chacun doit apprendre à s’adapter rapidement et la débrouillardise y est le maître-mot.
Dans un premier temps, le rythme de travail et les fonctions des marins évoluent au cours du trajet. Les traversées et les escales nécessitent des horaires et des travaux relativement différents et j’ai donc pu constater la réelle polyvalence de tous ces hommes à la faculté d’adaptation surprenante.
Lors des traversées, les trois groupes de travail, à savoir celui du pont, de la passerelle et de la machine, travaillent de 08h à 12h le matin et de 14h à 18h l’après-midi et ce tous les jours de la semaine. De plus, certains effectuent des quarts en passerelle et un des trois officiers machine (chef mécanicien, second mécanicien ou lieutenant polyvalent) doit être prêt à intervenir toute la nuit lors du déclenchement d’une alarme dans la salle machine si l’un des appareils présente un dysfonctionnement quelconque. La majeure partie du travail s’effectue en salle des machines, ces dernières nécessitant un entretien et un contrôle permanents. A l’arrivée et au départ des ports, c’est la passerelle qui devient le terrain des opérations car le cargo doit à la fois modifier sa vitesse et son cap.
Lors des escales, les rôles de chacun évoluent. Ainsi, en ce qui concerne le lieutenant polyvalent, il travaille désormais par quart (4h-8h et 16h-20h) et, de la salle des machines, il se retrouve à opérer sur le pont où il vérifie le bon chargement des conteneurs. Les autres intervenants machine réparent tout ce qui a besoin d’être réparé. Par exemple, à Pointe-à-Pitre, il a fallu changer un piston défectueux et cette opération délicate a duré deux jours, le temps de l’escale.
Mon grade à bord était celui de « zéfirette » ou élève officier. Normalement, ce titre est réservé aux élèves des écoles de Marine Marchande mais en tant qu’élève ingénieur j’y ai tout de même droit. Sur le cargo, deux autres zefs sont présents :
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Tristan, 21 ans, ayant embarqué sur un ferry effectuant la liaison Cherbourg-Southampton en première année et effectuant trois trajets sur le Fort pour sa deuxième année
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Sébastien, 40 ans, ayant embarqué sur un ferry de la SNSM en première année et effectuant trois trajets sur le Fort pour sa deuxième année (mon stage correspondant à leur dernier trajet)
Mon rôle à bord n’est pas clairement défini car, contrairement à Tristan et Sébastien, je n’ai reçu aucune formation pratique et j’arrive donc dans un environnement complexe, parfois dangereux, qui m’est entièrement inconnu. Je suis alors considérée comme un « électron libre » qui gravite autour des différents corps de métiers afin d’observer et d’apprendre un maximum de choses, sur les plans professionnel, technique et humain. Ce rôle est très enthousiasmant, dans le sens où je n’ai pas de véritables contraintes mais il impose aussi d’être curieux car, sans curiosité, il m’aurait été impossible de comprendre le fonctionnement du navire à différentes échelles. Ce qui, j’en suis convaincue, a été une chance pour moi est la présence de Sébastien et de Clément. Sébastien est un marin légèrement à part car il possède une formation initiale d’ingénieur en mécanique, métier qu’il a exercé pendant de nombreuses années jusqu’à son intégration à l’ENSM de Marseille. Quant à Clément, il est un jeune lieutenant polyvalent de 28 ans. Ainsi, c’est à leurs côtés que j’ai pu découvrir avec passion les entrailles du navire et comprendre le fonctionnement global des appareils utilisés. N’ayant aucune contrainte particulière, je m’adaptais au jour le jour en me greffant à des groupes de travail, un officier étant souvent en charge de plusieurs ouvriers. Cette liberté de mouvement m’a réellement permis d’appréhender, dans leur globalité, tous les postes offerts à bord et ce qu’ils regorgent de technicité et de difficultés.
Ainsi, lors de la première traversée, je choisis de travailler en salle des machines et, lors de la seconde traversée, en passerelle.
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La salle des machines
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A 08h00, en général, je faisais la ronde avec soit l’électricien, soit le chef mécanicien ou le lieutenant polyvalent. Ces derniers effectuent une ronde le matin à 08h00 et une autre à 17h00. Cela leur permet de vérifier les niveaux, les pressions, les températures ou encore le temps de fonctionnement de plusieurs appareils.
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Mesure du jeu existant entre le culbuteur de l’arbre à cames et les soupapes d’admission et d’éjection du moteur, jeu qui permet ainsi d’éviter la présence d’une force même infime provoquant le déplacement non souhaité d’une soupape. J’ai pu constater que l’arbre à cames était divisé en trois parties, modelées différemment afin de permettre un déplacement de la soupape plus ou moins long.
soupape
arbre à cames
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Changement des filtres de ventilation : coloriage, découpage et vissage.
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Nettoyage d’un cache moteur avec du gasoil.
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Remontage d’un séparateur. Il faut savoir que l’huile moteur sur un porte-conteneurs est de très mauvaise qualité (tout est affaire de rentabilité). Ainsi, il est nécessaire de pouvoir séparer l’eau de l’huile et l’huile de ses impuretés (dites « sludge »). Pour cela, on tire profit de la force centrifuge par l’utilisation de plusieurs disques empilés les uns sur les autres. Ces derniers, percés de petits trous, tournent à une vitesse élevée. Les impuretés se trouvent alors expulsées vers l’extérieur.
« sludge »
eau
Lors de la phase de remontage, j’ai pu utiliser une clé dynamométrique qui permet de serrer un boulon avec une certaine force par mesure du couple exercé (la force souhaitée était alors de 30 Nm).
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Resserrage des tirants des cache-culbuteurs grâce au principe écrou et contre-écrou.
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Réalisation d’une vidange d’huile moteur avec remplissage de quatre seaux d’huile usager et remplacement du filtre à huile.
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Analyse du positionnement des roto caps : les roto caps (repères) sont utilisés afin de vérifier si les soupapes ont bien pivoté sur elles-mêmes lors de leur déplacement. Ainsi, elles ne s’usent pas au même endroit. Pour cela, nous caps, remis le moteur en route et vérifié que les quatre avaient bien changé de position. Si ce n’est pas le cas alors cela peut signifier que le système est défectueux ou simplement que la soupape a effectué un tour complet sur elle-même.
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avant après
rotocaps à vérifier
Sébastien m’a expliqué que, sur les soupapes du moteur principal, ce sont des ailettes qui font tourner la soupape en créant un système de couple lors de l’abaissement de la soupape en question.
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Rangement des huiles moteur : à chaque escale, l’huile moteur est prélevée afin d’être analysée. On la classe suivant différentes catégories :
-LS : Low Sulfure
-DO : Diesel Oil
-HS : High Sulfure
suivant la proportion de sulfure qu’il présente. Nous avons dû classer ces huiles par catégorie (certaines étaient calibrées en centistokes 1cts=10-6 m2/s) et par année.
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Remplacement d’un filtre glacier.
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La passerelle
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Lecture du GPS et report sur les cartes marines, la route fond étant déjà tracée
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Réglage et utilisation du sextant
Pour contrôler le bon réglage, on utilise deux cavaliers (petites équerres de laiton) :
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mettre le sextant à plat sur une table, l’alidade au milieu du limbe
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disposer un cavalier C1 à gauche de l’alidade et proche de celle-ci, un cavalier C2 de l’autre côté ;
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l’œil étant placé contre le grand miroir à hauteur des cavaliers, regarder C1 en visée directe et déplacer C2 sur le limbe pour le voir en vision réfléchie : les deux arêtes horizontales des cavaliers doivent être alignées.
Le petit miroir n’est plus parallèle au grand miroir. Le contrôle se fait après avoir vérifié et éventuellement rectifié le grand miroir.
En mer : vérification et rectification
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après avoir disposé les filtres adéquats sur le grand et le petit miroir, viser le Soleil ;
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en agissant sur l’alidade, mettre l’image réfléchie du Soleil à l’horizontale de l’image directe.
1
2
3
Rectification par le Soleil
Utilisation du sextant
Les éléments principaux d’un sextant sont les suivants :
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un secteur angulaire d’environ 700 dont la base, le limbe, est graduée de degré en degré de 0 à 1400 vers la gauche et de 0 à quelques degrés vers la droite
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un bras mobile, l’alidade, centré sur le sommet du secteur angulaire et se déplaçant sur le limbe grâce à un système tambour à crémaillère. Le déplacement de l’alidade peut être rapide ou lent suivant que la vis micrométrique du tambour est débrayée ou non. Le tambour porte une graduation de 0 à 60 minutes d’angle.
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deux miroirs : l’un, appelé grand miroir, est fixé au sommet de l’alidade ; par construction, il est perpendiculaire au plan du secteur angulaire et parallèle au deuxième miroir lorsque l’alidade est à zéro. Cet autre miroir, appelé petit miroir, est fixe ; il est classiquement divisé en deux parties : l’une est transparente pour la visée directe de l’horizon, l’autre argentée pour la réflexion de l’astre.
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une lunette fixe axée sur le petit miroir permettant de voir l’horizon en visée directe et l’astre en double réflexion.
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un ensemble de verres colorés que l’on peut disposer devant le petit ou le grand miroir ; ils permettent d’atténuer l’éclat du Soleil. Sur un sextant de qualité leurs faces resteront toujours parallèles aux miroirs.
Le sextant
J’ai pu utiliser le sextant pendant trois jours en faisant des relevés de la hauteur du Soleil, relevés à différents moments de la journée.
La technique est la suivante :
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si le sextant n’a pas été utilisé depuis un certain temps, vérifier son réglage
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viser l’astre et l’abaisser sur l’horizon
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balancr le sextant pour que l’astre tangente l’horizon. Cette opération est indispensable pour être certain de prendre la hauteur à la verticale. Pour « balancer » le sextant, le sommet du secteur angulaire reste fixe (main droite fixe), le limbe décrit un arc de cercle (main gauche mobile)
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prendre le « top » à la seconde près et lire la hauteur
La lecture de l’angle de hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon se fait avec l’alidade à gauche du zéro du limbe :
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lecture en degrés directement sur le limbe ;
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lecture en minutes et secondes (ou dixièmes de minute) sur le tambour : la minute lue correspond à la minute immédiatement inférieure au zéro des secondes (ou dixièmes de minute). Pour les secondes (ou dixièmes de minute), la lecture se fait sur la graduation la plus proche d’une graduation des minutes.
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Le pont
Le travail sur le pont est aussi dangereux que celui effectué en salle des machines, surtout lorsque ce dernier est effectué lors des escales. Il m’était alors nécessaire de porter ma combinaison, mes chaussures de sécurité, un casque de protection et un gilet jaune. Lors de mes passages au pont, j’ai entre autres suivi les ouvriers qui contrôlaient le bon débarquement des conteneurs. Mais ce qui m’a le plus impressionné est l’arrivée et le départ des ports depuis l’arrière du cargo où lieutenant et ouvriers sont chargés du bon arrimage du navire par un jeu de treuillage assez complexe et dangereux compte tenu de la taille des treuilles.
Intégration dans l’équipe :
Bien qu’étant la seule fille à bord (à l’exception des passagères), je n’ai pas eu trop de mal à m’intégrer à l’équipe, grâce notamment aux deux autres zefs, Tristan et Sébastien. Le fait que je sois une fille n’a pas dérangé davantage et, contrairement à certains a priori, je n’ai pas eu le droit à des réflexions déplacées de leur part. Je leur en suis très reconnaissante car, dans beaucoup d’autres métiers très masculins, j’y aurais sûrement eu droit ! Ils ont tous fait en sorte que je m’intègre le plus rapidement possible à l’équipe. D’ailleurs, ils ont l’habitude de ces changements car, après chaque voyage, des remplacements sont effectués avec, parfois, des périodes de recouvrement de quelques jours (deux sur un même poste le temps que le nouveau prenne ses marques).
Ma relation avec les ouvriers a également été très bonne mais, de toute façon, le seul fait d’être polie et de bonne humeur aide énormément à s’intégrer. Ce que j’ai particulièrement apprécié est le fait que les « anciens » (certains roumains avaient entre 55 et 60 ans) se livraient davantage sur leur vie. J’aimais beaucoup discuter avec ces personnes et découvrir quelques bribes de cette existence difficile et de ce choix de vie complexe. Ainsi, pour les ouvriers roumains, c’est essentiellement le salaire qui les pousse à embarquer et ce le plus longtemps possible. En effet, ces derniers ne sont pas payés lors de leurs mois de repos, contrairement aux officiers français. Depuis la fin du régime communiste en Roumanie en 1989, le chômage est omniprésent et, malgré leur entrée dans l’Europe, les salaires moyens s’élèvent rarement au dessus de 200 euros par mois.
Difficultés rencontrées
Les difficultés morales
Les difficultés que j’ai pu rencontrer lors de ce stage sont multiples, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, il m’a semblé que les contraintes physiques supplantaient celles purement psychologiques. Cependant, mon stage n’ayant duré qu’un mois, je pense sincèrement que le rapport de force s’inverse lorsqu’il s’agit d’effectuer quatre mois de navigation et ce après une dizaine d’années de carrière dans la Marine Marchande. D’ailleurs, j’ai pu rencontrer plusieurs ouvriers qui partaient en retraite et ces derniers s’accordaient sur le fait que ce métier était terriblement usant. Ils regrettaient presque ce choix de vie qui leur a certes permis de découvrir le monde mais au prix de nombreux sacrifices .
Les principales difficultés d’ordre psychologique que j’ai pu éprouver sont l’éloignement familial, la promiscuité, la communication parfois difficile avec les roumains maîtrisant peu la langue française et la discipline. Effectivement, la discipline à bord n’est pas militaire mais il existe tout de même une notion de hiérarchie et de respect fondamentale. Pour exemple, les officiers français et l’équipage roumain sont séparés lors des repas ou des instants de détente. Ainsi, à ma table étaient présents : le commandant, le second capitaine, le chef mécanicien, le second mécanicien, le lieutenant polyvalent et les élèves officiers. Pour pallier à ces difficultés, éviter l’installation d’un climat tendu entre les différents membres d’équipage et remonter le moral collectif, tout est mis en œuvre. Une piscine, une salle de sport et une salle dvd sont accessibles à chacun ; nous pouvons communiquer avec nos proches par mail et ce gratuitement ; lors des anniversaires, des apéritifs sont organisés et réunissent tous les marins, permettant de créer des liens amicaux avec chacun. Ce qui m’a impressionné est le calme et la discipline qui ont régné sur le Fort Saint-Georges lors de mon mois de stage. Nous vivons tout de même à 36 personnes mais la présence d’une hiérarchie fait que chacun connaît ses obligations et responsabilités. De plus, le marin est par essence silencieux et observateur et il préférera donc observer et se faire son propre jugement plutôt qu’intervenir dans la précipitation et la violence. D’ailleurs, j’ai moi-même eu l’impression d’avoir eu une humeur assez égale tout au long du stage. De toute façon, le rôle du commandant à bord est avant tout de faire en sorte qu’il règne sur son navire une atmosphère « vivable ».
Quant à la solitude, elle ne m’a pas pesé outre mesure car je suis d’une nature assez solitaire. Mais il est vrai que certaines personnes peuvent en souffrir plus que d’autres. Car, nécessairement, au bout de quelques jours, l’ennui peut s’installer et l’impression d’enfermement peut peser. L’ennui est néanmoins nécessaire et j’ai pu apprendre à le gérer et même à l’apprécier, mon esprit vagabondant à sa guise au-dessus des flots.
Les difficultés physiques
Les difficultés d’ordre physique m’ont davantage handicapé! Le premier facteur est bien entendu le mal de mer dont j’ai souffert lors de mes deux premiers jours de traversée. 38 nœuds de vent et un fort roulis m’ont alors obligée à rester alitée, n’ayant plus aucun équilibre. Mais une fois acclimatée à cet environnement, je prends conscience et connaissance d’autres facteurs, que je n’avais pas soupçonnés lors de mon arrivée sur le Fort Saint-Georges. Ainsi, le décalage horaire s’est avéré être très épuisant puisque, lors de chaque traversée, pendant six jours, nous changions d’heure (soit en journée, soit la nuit afin de satisfaire à la fois la cuisine et la salle des machines). Les heures de sommeil et des repas étaient décalées et, souvent, je m’endormais très tard et étais fatiguée en plein milieu de journée. De toute manière, le sommeil est nécessairement bouleversé par les changements de rythme de travail. Ayant souhaité assister à tous les départs et arrivées aux ports, j’ai dû me lever à 5h00 plusieurs fois et me coucher à 03h00 (par exemple, le départ de Montoir-de-Bretagne a eu lieu le 16/07/2011 à 02h00 et celui de Pointe-à-Pitre à 04h00 le 25/07/2011). L’apprentissage d’un sommeil « séquentiel » s’opère progressivement et dès qu’il y a un moment de libre, j’essaie de dormir pour récupérer au maximum. Pour finir, la chaleur, le bruit strident du moteur turbo et les odeurs d’huile et de gasoil en salle des machines sont certainement les plus éprouvants. La chaleur atteignant les 40 degrés dans la salle lors de notre arrivée aux Antilles, nous perdons énormément d’eau et sommes contraints de boire 4 litres d’eau minimum par jour! La fatigue arrive très vite et il faut boire sans cesse afin de ne pas perdre ses réflexes et ne pas sombrer dans un état « comateux ».
Cependant, la conduite du remorqueur du père de Tristan, la vue d’un cachalot au large des Açores ou encore une séance de pêche à la ligne en compagnie de Clément, Sébastien et Tristan sur le port de Fort de France m’ont rapidement fait oublier ces contrariétés et m’ont rappelé la chance que j’avais !
Quelques enseignements à retirer!
Ce stage ouvrier m’a permis de développer des qualités telles que la curiosité, la faculté d’adaptation ou encore la résistance physique mais il m’a également permis de rectifier certains défauts ! En effet, avant mon départ, j’avais une vision très utopique du travail en entreprise et en équipe. Ainsi, je voyais d’un mauvais œil cette frontière entre ouvriers et officiers. Mais cette expérience m’a appris qu’en respectant cette frontière, c’était une façon de respecter et de reconnaître le travail de chacun, officier et ouvrier. C’était une erreur de ma part de vouloir trop m’immiscer dans cette hiérarchie qui, du reste, permettait d’instaurer un climat de travail et de sérieux. D’ailleurs, les officiers savaient très bien faire la part des choses car, tout en dirigeant des petits groupes, ils laissaient aux ouvriers une liberté d’action assez rare en entreprise, ce qui témoignait de leur réelle confiance en ces hommes.
Conclusion
Ce stage sur un porte-conteneurs a été pour moi une formidable expérience et remplit parfaitement le contrat de départ, à savoir celui de me faire découvrir le métier d’ouvrier afin d’appréhender le métier d’ingénieur, et peut-être de futur manager, sous un angle différent. Ma perception du monde du travail s’en est trouvé réellement bouleversée, tant les notions d’équipe et de débrouillardise étaient essentielles à bord .
D’un point de vue purement humain, il m’a surtout permis de découvrir des individus très attachants, qu’ils soient roumains ou français, ouvriers ou officiers. La mer s’est révélée être un lieu de rencontres privilégié, la rudesse des flots révélant à chacun sa véritable nature.
Je terminerai par cette citation de Michel Serres, marin et normalien ayant servi dans la marine française de 1956 à 1958 et auteur du Contrat naturel et de Biogée : « Je ne fus pas marin fort longtemps, mais assez pour n’avoir jamais cessé de l’être. Qui, un jour béni, embarqua, puis apprit les rudiments de la navigation et la langue secrète qu’elle oblige à parler ; qui, à la barre, tint tête au vent et à la lame ; qui dut recevoir, exécuter, puis, à son tour, crier quelques ordres à la machine et au bosco ; qui prit aussi quelques gifles salées par belle brise…ne pourra jamais plus quitter les habits de cette prêtrise, ni la conduite qu’elle induit, ni le ciel balancé que sa cervelle et son corps, même en sa jeunesse, hantèrent. »
Annexes
Exemple de relevé de hauteur du Soleil
Droite de Hauteur
Position estimée
ᶲe = 31 ° 00
Ge = 45 ° 00
Heure de l’observation
T cp = 19 h 05 ’ 30 ’’
Ephémérides nautiques
AH0 = 103 ° 25 ,’ 8
+ Δ AH = 1 ° 22 ,’ 5
= AH p = 104 ° 48 ,’ 3
= AH sge = 59 ° 48 ,’ 3
D0 = 17 ° 41 ,’ 9
+ Δ D = 0 ,’ 1
= D = 17 ° 42
Heure ronde :
Interpolation :
Heure T CP :
Soleil :
Si 0 ° < AHage < 180 ° alors Pe = AHage Ouest
Si 180 ° < AHage < 360 ° alors Pe = 360 ° - AHage Est
Pe = 59 ° 48 ,’ 3
D’où
Avec ᶲe Nord > 0 et ᶲe Sud < 0 D Nord > 0 et D Sud < 0
H e = 34 ° 33 ,’ 4
H e est calculé au dixième de minute près
-
A ze = 67 ° 39 ,’ 5
à vérifier au compas gyroscopique
-
Soleil
H i = 34 ° 07 ,’ 6
+ ε = 0
= H 0 = 34 ° 07 ,’ 6
+ première corrélation = 0 ,’ 6
+ deuxième corrélation = 0 ,’ 00
Intercept : H v - H e = - 25 ,’ 2
Direction azimutale : Z v = 247 ° 39 ,’ 5
Une fois que l’on a déterminé l’intercept et la direction azimutale, il suffit de se placer en la position estimée et de tracer la droite orientée par l’azimut. Par la suite, on trace le cercle de centre la position estimée et de rayon l’intercept. Si l’intercept est négatif, on s’éloigne de l’astre ; s’il est positif, on se rapproche de l’astre. Nous obtenons alors un point unique et il ne reste plus qu’à tracer la tangente au cercle en ce point : c’est la droite de hauteur.
position estimée
droite de hauteur
vers l’astre visé
Remarques :
-
la droite de hauteur ne dépend pas de la position estimée ; il suffit, par exemple, de choisir le croisement d’un méridien et d’un parallèle proche de la position GPS (ce afin de faciliter les calculs)
-
les erreurs viennent la plupart du temps par une mauvaise appréciation de l’horizon lors de l’utilisation du sextant
Translation des droites de hauteur :
Deux observations ont été faites aux instants t 1 et t 2 : le point à l’instant t 2 est à l’intersection de la droite D’1 , résultant de la première observation et transportée à l’instant t 2 , et la droite D 2 résultant de la deuxième observation.
L’estime a été recalée à l’instant t 1 sur le point déterminatif z’ ; les éléments de la droite D 2 ( z 2 et i 2 ) sont calculés à partir du point déterminatif transporté z’1 : c’est la méthode généralement appliquée dans la Marine Marchande ; l’estime est recalée à chaque observation et les droites sont tracées directement sur la carte.
Quelques photos pour finir…
« Il y a trois sortes d'êtres : les vivants, les morts et les marins » Anacharsis
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