Climat : La forêt amazonienne sensible à la sécheresse
L'immense forêt amazonienne, véritable régulateur naturel du climat, risque-t-elle de disparaître en raison des dérèglements de la circulation des courants océaniques au large de l'Amérique du Sud ? Question cruciale à laquelle un réseau de chercheurs apporte les premières réponses. C'est un régulateur naturel. Une sorte de super-stabilisateur vert sans lequel notre environnement serait radicalement différent. Avec ses 6 millions de kilomètres carrés, la forêt amazonienne est un rouage-clé de la machine climatique. Outre qu'elle stocke sous forme de biomasse aérienne (troncs, arbres, feuilles…) pas moins de 120 milliards de tonnes de carbone, cette immense étendue boisée en recycle chaque année 18 milliards de tonnes supplémentaires, l'équivalent de deux fois le total des émissions dues aux énergies fossiles exploitées par l'homme ! Ce couvert végétal si important pour la stabilité de notre milieu pourrait-il disparaître sous l'effet du réchauffement planétaire ? Pour la première fois, un groupe international de chercheurs vient d'apporter un élément de réponse à cette question inquiétante. L'équipe du réseau « International Amazon Forest Inventory Network » (Rainfor), coordonné par Oliver L. Philips, de l'université de Leeds (Royaume-Uni), et auquel participe Jérôme Chave, directeur de recherche CNRS au laboratoire « Évolution et diversité biologique » (Laboratoire CNRS Université Toulouse 3 École nationale formation agronomique), à Toulouse, a étudié les conséquences d'une sécheresse exceptionnelle survenue en Amazonie en 2005. Certaines « prédictions catastrophe » publiées en 2004 par un groupe de l'université de Reading (Royaume Uni) indiquent que la forêt amazonienne pourrait carrément disparaître à la fin de ce siècle en raison des changements climatiques. À en croire ces modèles, en effet, le réchauffement planétaire se manifestera dans cette partie du globe par une multiplication et une intensification d'un phénomène appelé « anomalie atlantique ». Ce changement brusque de la circulation des courants océaniques, survenant de temps à autre au large de l'Amérique du Sud, est à l'origine d'une baisse des précipitations sur le continent. En se répétant, cet épisode pourrait contribuer à éradiquer la forêt amazonienne, ce qui provoquerait un rejet de son carbone dans l'atmosphère dont la teneur doublerait alors, bouleversant encore un peu plus le climat. Un avenir « plausible » si la forêt tropicale est incapable de résister à des sécheresses répétées… Et c'est ce qu'ont voulu vérifier les 42 scientifiques de 13 pays membres du réseau Rainfor. Ce programme de surveillance à long terme, par le suivi régulier de 136 parcelles forestières à travers le continent – dont deux qui s'étendent sur 22 hectares à la station de Nouragues (Guyane française) du CNRS –, dispose de trente ans de données concernant la croissance de la végétation dans le Bassin amazonien. Après l'épisode d'anomalie atlantique d'une rare intensité survenu en 2005, les chercheurs ont procédé en urgence à un réexamen d'une fraction de ces parcelles afin de déterminer les effets de cette chute des précipitations sur leur croissance et leur mortalité. Ce véritable travail de titan leur a permis d'aboutir à plusieurs conclusions chiffrées : avant 2005, 76 % des parcelles (93 sur 123) accumulaient de la biomasse. Mais au cours de la sécheresse, ce chiffre serait tombé à 51 % (28 sur 55). « Autrement dit, nos données d'avant 2005 montraient que la forêt amazonienne ancienne était en pleine croissance et qu'elle stockait du carbone atmosphérique à un rythme de 0,44 tonne par hectare et par an », explique Jérôme Chave. « La nouvelle étude a permis de prouver qu'au cours de l'épisode d'anomalie atlantique, cette tendance s'est inversée : à cause du manque d'eau, les jeunes plants ont poussé plus lentement et beaucoup de vieux arbres sont morts en renvoyant une partie du carbone qu'ils stockaient dans l'atmosphère. La région est ainsi devenue cette année-là globalement émettrice en dioxyde de carbone en rejetant quelque 0,8 tonne de carbone par hectare et par an. Si les choses sont depuis revenues à la normale, cet épisode indique que la forêt amazonienne n'est pas résiliente : elle résiste mal aux chocs climatiques et elle est susceptible d'être modifiée par les changements futurs du climat. »
Vahé Ter Minassian
Contact
Jérôme Chave, chave@cict.fr
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Biologie : Quand l'horloge interne gouverne le sexe du foie
Entre les mâles et les femelles, il y a certes des différences anatomiques. Il existe aussi des différences biologiques plus subtiles, mais tout aussi importantes. C'est le cas des molécules qui dégradent les médicaments dans le foie, appelées « enzymes », et qui sont différentes entre mâles et femelles. Jusque-là, les biologistes ne savaient pas expliquer précisément l'origine de ces étonnantes variations. Lors d'une étude publiée en avril, des chercheurs CNRS de l'Institut de génomique fonctionnelle (Institut CNRS Inserm Universités Montpellier1 et 2) de Montpellier ont levé le voile sur ce mystère : ils ont montré que le « sexe du foie » est gouverné par l'horloge interne, connue pour contrôler les rythmes biologiques du sommeil et de la vigilance. Surprenant, ce résultat soulève la question d'éventuels effets secondaires insoupçonnés chez les populations soumises à des dérégulations chroniques de l'horloge circadienne, comme les voyageurs transcontinentaux ou les travailleurs de nuit… « Notre résultat est complètement inattendu,souligne Xavier Bonnefont, initiateur de l'étude. Au départ, nous ne cherchions nullement à expliquer les différences au niveau du foie entre mâles et femelles ! En fait, nous voulions savoir pourquoi les souris particulières sur lesquelles nous travaillons avaient une taille anormalement petite. » Il s'agit là de souris mâles spéciales que le chercheur a rapportées en 2003 de son stage postdoctoral à l'université de Rotterdam, aux Pays-Bas : des souris modifiées génétiquement, dont les gènes impliqués dans le fonctionnement de l'horloge circadienne, baptisés « cryptochromes 1 et 2 » ou « Cry1 » et « Cry2 », ont été éteints. Afin de s'expliquer la petite taille de ces rongeurs, les chercheurs ont commencé par soupçonner un trouble dans la libération d'une substance permettant la croissance : l'« hormone de croissance ». Problème : impossible d'évaluer les variations du taux de cette hormone dans quelques millilitres de sang d'une souris. Les scientifiques ont donc tenté d'évaluer un autre paramètre gouverné par l'hormone de croissance : la nature des enzymes dans leur foie ! Et surprise, il est apparu que les souris mâles avec une horloge interne désactivée possédaient deux des enzymes existant normalement chez la femelle ! « Via cette étude, nous avons mis en évidence que les gènes Cry1 et Cry2 sont aussi des déterminants génétiques des différences sexuelles dans le foie des mammifères », précise Xavier Bonnefont. Kheira Bettayeb