Dictionnaire : Le français du XVIIIe siècle en ligne
Après pas moins de quinze années de travail, trois laboratoires (« Analyse et traitement informatique de la langue française » (Atilf, CNRS Universités Nancy2 et 3 Université Metz), « Lexiques, dictionnaires, informatique » (LDI, CNRS / Universités de Paris-XIII et de Cergy-Pontoise), et « Unité mixte de service maison des sciences de l'homme et de la société de Poitiers » (CNRS / Université de Poitiers) viennent de mettre en ligne le Dictionnaire critique de la langue française, de Jean-François Féraud (1725-1807). « Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1787-1788, constitue une contribution majeure à la connaissance de la langue de l'époque », s'enthousiasme le chercheur Philippe Caron, membre associé du laboratoire « Lexiques, dictionnaires, informatique » (LDI) et coordinateur de ce projet. Juste avant la Révolution, à une époque où les dictionnaires étaient encore très peu développés dans leur traitement de l'information, Féraud, prêtre jésuite, se distingue par ses audaces. « Entre autres innovations, il introduit jusqu'à deux numérotations pour signifier, au sein d'un même article, le passage d'une acception d'un mot à la suivante. Il signale même, par des signes cabalistiques, l'ampleur du changement de sens ! Son dictionnaire comprend aussi de nombreuses observations sur les synonymes et des indications de prononciation, quasi systématiques, qui, pour la première fois, figurent entre crochets, comme aujourd'hui. » Remarquablement à jour, les entrées du dictionnaire ouvrent à des définitions très précises, sources d'information historique. « On y trouve par exemple une définition de l'aérostat, premier nom donné au ballon inventé en 1783 par les frères Montgolfier. » Enfin, l'auteur propose une simplification considérable de l'orthographe. « Pour la tester, il rédige ses articles de manière “réformée”, mais laisse les citations dans leur état d'origine. Cela permet d'apprécier les changements proposés, dont beaucoup sont assez pertinents. » Tenu en haute estime par les linguistes, ce dictionnaire était peu disponible avant 1994. « Nous l'avons alors fait rééditer en version papie3puis, en 1995, nous nous sommes attelés à sa mise en ligne. » Le langage informatique XML rend possible des recherches limitées aux exemples, à la prononciation ou encore à certains types d'articles. On peut aussi naviguer depuis le « Féraud » vers deux autres dictionnaires, en ligne sur la même base. Le supplément manuscrit, jamais publié, est également accessible. Il a été scanné et restauré numériquement avant sa mise en ligne. Le « Féraud », disponible gratuitement, constitue une ressource précieuse pour qui s'intéresse à la langue française : chercheurs, enseignants, étudiants… « De ses ressources phonétiques, on peut notamment tirer d'intéressantes informations sur la prononciation de l'époque, ajoute Philippe Caron. Cela peut permettre aux artistes d'interpréter plus fidèlement le théâtre de Marivaux, ou les opéras de Rameau. »
Marie Lescroart
Contact : Philippe Caron, philippe.caron@univ-poitiers.fr
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Neurosciences : Ces neurones qui gardent la peur en mémoire
C'est une première : une équipe internationale, comprenant un chercheur CNRS, a réussi à apporter la preuve qu'un souvenir est encodé au sein d'un réseau de neurones spécifique et identifiable ! « Auparavant, nous avions montré que les neurones qui surproduisent une substance particulière, la protéine CREB (Cyclic adenosine monophosphate Response Element-Binding), situés dans une région du cerveau appelée “amygdale latérale”, sont activés lorsqu'on évoque un évènement qui fait peur. Mais personne n'avait réussi à identifier précisément et rigoureusement le réseau de ces neurones dans le cerveau ; ce que nous avons fait ! », dit Bruno Bontempi, co-auteur de l'étude et chercheur au Centre de neurosciences intégratives et cognitives (Centre CNRS Université Bordeaux 1 et 2). Un grand pas pour la recherche fondamentale, mais aussi pour la recherche clinique. Publié dans la revue Science, ce résultat pourrait permettre un jour d'effacer les souvenirs d'évènements traumatisants. Et pour connaître précisément le réseau neuronal impliqué, Bruno Bontempi et ses collègues ont dû fabriquer une « construction génétique » particulière : ils ont inséré dans une même portion d'ADN le gène de CREB, celui d'une protéine fluorescente, et celui d'une substance rendant les neurones sensibles à une toxine donnée, celle de la diphtérie. Les chercheurs ont administré cette construction génétique dans le cerveau de souris. La molécule fluorescente va permettre de situer les neurones où CREB s'exprime. La construction a ainsi été imaginée pour d'une part repérer les neurones de l'amygdale latérale activés lors de la mise en mémoire d'un évènement effrayant – ici un son associé à un choc électrique – et d'autre part, les détruire sélectivement par l'injection d'une toxine. La construction s'est intégrée dans les neurones en fonctionnement des animaux, dans l'amygdale latérale. Résultat : les neurones surproducteurs de la fameuse protéine CREB sont précisément ceux qui conservent la trace mémorielle la peur. « La destruction sélective de ces neurones, et non d'autres choisis au hasard, efface les souvenirs de la peur à ce son : les souris ne s'immobilisent plus lorsqu'elles l'entendent », précise le chercheur. La localisation de ces neurones pourrait permettre à long terme de développer des traitements capables d'effacer sélectivement un ou plusieurs souvenirs désagréables ou anxiogènes, comme ceux à l'origine d'un stress post-traumatique, survenant par exemple après un attentat ou un accident grave. Mais comme le précise, prudent, Bruno Bontempi : « Des années de recherche seront encore nécessaires pour en arriver là. »
Kheira Bettayeb
Contact : Bruno Bontempi, b.bontempi@cnic.u-bordeaux1.fr