Titre: «Identifier des champs d’innovations dans le cas d’innovations d’usage. Les propriétés expansives de l’approche « jobs to be done ».
Thomas LEPERS
Email : thomas.lepers@gmail.com
CNAM-Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Sciences de l’Action (LIRSA)
Résumé : A travers l’étude du cas d’une « business unit » NCA, créée au sein d’un groupe multinational pour produire des innovations d’exploration, nous mettons en évidence une question peu abordée dans la littérature CK: La question de l'identification de champs d'innovation comme préalable à un travail de conception innovante, en particulier dans le cas d'innovations d'usage, à travers les difficultés rencontrés par les acteurs de NCA à identifier un champ d’innovation possible. Nous montrons ensuite qu'une approche d'analyse des jobs a des caractéristiques proches de celle d'un champ d'innovation et permet de produire des partitions expansives dans l’espace des concepts C. Une analyse des jobs nous semble être une approche possible pour être en mesure d’initier une démarche de conception innovante, en partant de produits spécifiques existants, en particulier dans le cas d’innovations d’usage, où les besoins des clients ne sont généralement pas explicites.
Mots clés : C-K, « jobs to be done », innovation exploratoire, innovation d’usage
1.Introduction
Un des enjeux de l’innovation est la capacité des organisations à explorer des domaines nouveaux, au delà des produits et des clients existants. L’innovation d’exploration, que l’on peut définir comme « une forme d’innovation qui s’éloigne de manière significative des compétences existantes de l’entreprise(…) » (Chanal & Mothe, 2005, p. 3) pose un certain nombre de questions sur le plan des processus d’innovation. La théorie de la conception C-K donne une vue détaillée des mécanismes à l’œuvre dans un processus de conception, en particulier sur le rôle des connaissances dans un processus d’innovation. Et à ce titre, elle est un cadre intéressant pour organiser le travail de conception, ce que montre l’utilisation par des praticiens, consultants ou chercheurs, d’outils issus de C - K, comme les ateliers DKCP. Cependant, la question de la phase d’amorçage du travail de conception, du choix d’un domaine dans lequel innover, défini dans C-K comme un champ d’innovation, est peu abordée dans C-K. Dans les exemples décrits dans la littérature sur C-K, il apparaît que le point de départ d’un travail de conception innovante est souvent une question précise d’un client, ou un axe stratégique clairement défini par le management. Nous avons étudié le cas d’une structure organisationnelle créée au sein d’une entreprise multinationale dans le but produire des innovations majeures et dont la principale difficulté résidait justement dans l’identification de nouveaux champs d’innovations, Nous illustrerons dans un premier temps les difficultés de cette phase initiale à travers l’étude de ce cas, puis dans un deuxième temps, nous montrerons qu’une méthodologie d’analyse des besoins des clients, possède des propriétés intéressantes dans le cas d’une démarche C-K, dans la mesure où elle permet de définir un champ d’innovation et de produire des partitions expansives dans C.
Notre problématique concerne la situation d’entreprises installées, à la recherche de nouveaux champs d’innovation à explorer. Nous cherchons à savoir comment peut se faire cette exploration dans le cas où il n’existe pas de demande spécifique d’un client, ou de technologie particulière susceptible d’orienter le travail de conception innovante. Nous cherchons à savoir comment peut se faire ce passage entre une activité de conception réglée et une activité de conception innovante, et également comment peut se maintenir dans le temps une telle activité. Nous nous intéressons en particulier à la phase initiale d’une activité de conception innovante.
L’intérêt de notre recherche est d’une part de proposer l’étude empirique d’un cas d’entité exploratoire centrée sur les innovations d’usage et qui dans le même temps présente un fonctionnement original dans la mesure ou l’entité est elle même responsable de la commercialisation des produits issus du travail d’exploration.
D’autre part notre recherche s’intéresse à un élément peu abordé dans la littérature sur la théorie C-K : la question de l’identification d’un champ d’innovation. Nous faisons ici le lien entre cette théorie et une approche pratique d’analyse des besoins des clients de faire le lien entre une démarche d’analyse des usages et la question l’identification des champs d’innovations dans la théorie C-K, en illustrant les propriétés expansives d’une telle approche.
3.Revue de littérature et cadre théorique 3.1.Les processus d’innovation exploratoires dans la littérature
Le courant de recherche sur le management des produits ( « Product management ») s’est intéressé aux spécificités des processus d’innovation, dans le cas de ce que Garcia et Calantone, (2002), dans leur méta-analyse sur les typologies d’innovations, définissent comme des innovations radicales , ou réellement nouvelles. Veryzer (1998) s’est par exemple intéressé aux écarts entre le processus Stage-Gate tel que décrit par Cooper (1990), et la réalité de processus d’innovations radicales. Enfin. De Brentani & Reid, (2012) par exemple, ont proposé un modèle décrivant les phases initiales (« Fuzzy Front End ») d’un tel processus de développement. Mais ce courant de recherche s’intéresse en particulier aux innovations technologiques et décrit peu les mécanismes qui conduisent à choisir tel ou tel domaine où innover, tel ou tel champ d’innovation.
Le courant de recherche sur la gestion de projet s’est intéressé également aux spécificités des innovations radicales et réellement nouvelles, -que O’Connor (2008), regroupe sous le terme d’innovations majeures- et à l’adéquation des outils de gestion de projets avec ce type d’innovation. Lenfle (2004) montre que les innovations majeures peuvent être menées en s’appuyant sur des outils de gestion de projets, à condition de donner une place centrale à l’expérimentation, ce que souligne également Thomke,(2003).
Le caractère non linéaire, voire chaotique des activités liées à la production d’innovations majeures a été souligné par Van de Ven, Polley, Garud, & Venkataraman (2008). Si il est difficile de parler de processus dans le cas d’innovation majeures, O’Connor et DeMartino (2006), ont décrit cependant trois types d’activités qui entrent en jeu dans le cas d’innovations majeures : Découverte, incubation et accélération.
La découverte consiste à identifier et créer de nouvelles opportunités :
« A discovery capability involves activities that create, recognize, elaborate, and articulate RI opportunities. » (O’Connor & DeMartino, 2006, p. 489).
La partie incubation concerne le processus de maturation, qui va transformer une idée en une proposition de valeur. Elle correspond aux activités d’analyse et de valorisation de ces idées, aux processus de décision qui conduisent l’organisation à sélectionner un concept pour en faire un projet de développement ou à éliminer une idée. Les auteurs considèrent que la partie incubation doit comprendre une ou plusieurs propositions de valeurs, testées sur le marché et qui ont conduit à la réalisation de prototypes fonctionnels. Cette partie incubation inclus donc déjà largement un travail effectif de développement du produit.
Enfin, l’accélération consiste à organiser les conditions de succès de l’innovation, sur le plan marché et sur le plan des processus industriels pour assurer une croissance du chiffre d’affaire, même si l’innovation n’est pas encore profitable. C’est à partir du moment où l’innovation dégage des profits que selon (O’Connor & DeMartino, 2006) l’activité pourra être intégrée dans les divisions existantes ou alors externalisée sous forme de « spin off ».
On retrouve ces différentes activités sous des formes légèrement différentes chez d’autres auteurs. Tidd & Bessant, (2013) proposent quatre phases : « search », « select », « implement », « capture », que l’on peut rapprocher des trois activités décrites par O’Connor et DeMartino (2006). Mais ces courants de recherche donnent peu d’éléments sur les mécanismes susceptibles d’initier une telle démarche d’innovation.
A travers ces différentes descriptions des activités dans un processus d’innovation apparaît un contraste entre un processus très détaillé de type « Stage-Gate » et les types d’activités qui sont décrites de manière générales dans le cas des processus d’innovations exploratoires que Chanal & Mothe, (2005) définissent comme :
( …) une forme d’innovation qui s’éloigne de manière significative des compétences existantes de l’entreprise, que celles-ci soient sur l’axe client ou sur l’axe technologique » (Chanal & Mothe, 2005, p. 3)
Le courant de recherche sur la créativité donne des pistes sur les mécanismes à l’œuvre dans les activités de découverte, ou dans la partie « Fuzzy Front End » d’une activité d’innovation. Cropley & Cropley, (2010) proposent une description du processus créatif qui commence avec une étape Préparation. Elle consiste en la collecte de connaissances et d’informations qui sont nécessaires au processus créatif. La deuxième étape est appelée Activation. Dans cette étape, « Awareness of problems in what exists emerges from the knowledge obtained in the phase of preparation » (Cropley & Cropley, 2010, p. 312). Nous avons vu , avec Cropley & Cropley, (2010), (Boden, 1996), (Lubart, 2001) montrent aussi l’importance de l’accès à la connaissance dans les activités de créativité fonctionnelle
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