2- L’application de la méthode stratégique à la politique économique lyonnaise
Les autorités publiques locales conquièrent et renforcent leur rôle dans la conduite du développement économique territorial à partir des années 1980, mais ne sont autorisées à agir en faveur de l’économie que de façon indirecte, en jouant sur la qualité différentielle de leur territoire pour les entreprises et sur la capacité d’attraction de l’environnement économique qu’elles offrent. Elles sont amenées à ouvrir les politiques urbaines locales à la problématique de la régulation économique territoriale, et à adopter elles aussi la démarche stratégique des acteurs économiques dans leurs modes de faire l’action publique, au service du développement économique. Elles souffrent cependant du manque de compétences techniques spécifiques des services municipaux ou intercommunaux en matière d’action économique.
Elus et techniciens s’accordent donc sur le rôle indirect de la puissance publique locale (COURLY, municipalités, AGURCO, ADERLY), qui doit faciliter, accompagner la mise en œuvre de la politique économique, plutôt que la piloter directement et définir ses orientations. Les lois de décentralisation confèrent en effet de nombreuses compétences d’action au niveau municipal et au niveau communautaire par délégation, à l’exception notable de l’action économique. Elles justifient institutionnellement une augmentation et une amélioration des capacités d’intervention indirecte des pouvoirs publics locaux dans le fonctionnement de l’économie, essentiellement par le biais de la planification territoriale, de l’aménagement spatial et de l’urbanisme.
La puissance publique locale, municipalité et organisme communautaire, intervient ainsi en instrumentalisant les compétences classiques d’aménagement spatial, d’urbanisme et de planification territoriale, au service de l’objectif économique, et en s’appuyant sur des organismes extérieurs plus ou moins satellisés, qui agissent comme des services techniques spécialisés et externalisés (association de développement comme l’ADERLY, Agence d’urbanisme, SEM, etc.), pour développer des actions plus qualitatives et sectorielles rendues nécessaires par l’évolution du contexte économique et le nouveau comportement des firmes.
L’urbanisme et l’aménagement au service du développement économique territorial
La décentralisation des compétences au niveau local ne constitue pas un blanc-seing en matière d’interventionnisme économique pour les communes. Les principes de limitation des actions municipales aux aides indirectes266, énoncés par la circulaire Poniatowski de 1976, sont en effet confirmés, au nom du respect de la liberté de commerce et d’industrie et de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. La défense des finances locales et des intérêts des contribuables locaux, la lutte contre la municipalisation des risques économiques et la volonté d’harmoniser les initiatives locales avec les priorités de la politique nationale d’aménagement du territoire pour éviter une concurrence néfaste entre les différents échelons territoriaux justifient également ce strict encadrement des actions de développement économique au niveau local.
De plus, le pouvoir central réaffirme en 1978 le rôle des pouvoirs publics locaux en matière de régulation économique sur le territoire, rôle nullement remis en question par la décentralisation. Il se limite à l’amélioration de l’environnement des entreprises, à la création et à la reproduction des conditions optimales de fonctionnement des activités économiques sur le territoire : « La vocation des communes n’est pas l’aide directe à l’emploi, mais la politique d’accueil de l’emploi des travailleurs » (BIPE, 1978, p.4)267. L’intervention du niveau local en faveur du développement économique consiste ainsi à favoriser l’installation et le maintien des entreprises. La loi du 2 mars 1982 stipule cependant que lorsque la protection des intérêts économiques et sociaux de la population locale l’exige, la commune peut accorder des aides directes ou indirectes à des entreprises en difficultés (Priat, 1983). Le cadre juridique est donc assez flou, mais globalement limitatif.
La majeure partie des actions déployées par les autorités locales en matière de développement économique dans les années 1980 relève donc de l’aménagement de l’espace, de l’urbanisme et de la planification urbaine, dan la continuité des méthodes d’intervention employées pour assurer la régulation économique territoriale durant les années de croissance. Elles consistent en effet essentiellement à aménager et produire des zones industrielles, des zones d’activités ou des bâtiments pour accueillir les activités économiques, ainsi que des infrastructures et des équipements collectifs susceptibles de faciliter le fonctionnement des entreprises sur le territoire.
La pérennisation de la crise conduit cependant les pouvoirs publics locaux à diversifier les modalités d’intervention économique par le biais de l’action physique sur l’espace, mais aussi de façon plus immatérielle en déployant des actions qualitatives ou d’intermédiation plus directement en lien avec les milieux économiques locaux. Il s’agit par là d’assurer une double forme de prévention/curation des difficultés économiques, en complément de la simple production d’un environnement spatial favorable pour les entreprises.
Le traitement des friches industrielles et la remise sur le marché des terrains libérés par les activités économiques dans les zones centrales, qui se développent à partir des années 1980, s’appuient encore largement sur les savoir-faire techniques classiques relevant de l’aménagement urbain. Par contre, la recherche de nouveaux créneaux de développement pour l’industrie locale, l’animation du milieu économique, le renforcement du potentiel local de formation professionnelle ou la tentative de resserrer les liens entre la sphère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le monde des entreprises, en d’autres termes la valorisation qualitative du territoire, mobilisent de nouvelles compétences, qui sont le plus souvent totalement étrangères à la culture technique des services municipaux et intercommunaux.
Les actions économiques mises en œuvre au niveau local par les villes face au constat de l’exacerbation de l’enjeu du développement économique et de la compétition territoriale sont ainsi de plus en plus dispersées, mais elles s’arriment quand même encore majoritairement au socle de base de l’aménagement urbain. Elles s’inscrivent en effet dans le prolongement quasi naturel de l’intervention spatiale traditionnelle, à laquelle elles ajoutent une nouvelle dimension qualitative, stratégique et immatérielle. Urbanisme, aménagement et développement économique sont perçus comme étant intimement liés, car « l’aménagement urbain met en place les conditions physiques du développement économique (…). Mais de plus, l’analogie des situations pousse à des comportements semblables dans les deux domaines : la commune fait l’expérience “en creux” d’une place un peu analogue à prendre dans le développement économique, ses moyens d’action dans les deux domaines se recoupant d’ailleurs largement » (Gares, 1980, p.2).
Les compétences de la collectivité locale sont donc amenées à s’élargir de l’urbain vers l’économique et à se globaliser au gré de l’intégration fonctionnelle progressive de l’une et de l’autre, du moins de leur articulation de plus en plus étroite. En outre, le contexte économique difficile renforce les situations de concurrence et de compétition entre les villes et les territoires, conduisant à la soumission de plus en plus poussée des logiques d’aménagement spatial et de planification urbaine à l’enjeu du développement économique, c’est-à-dire à la mise en avant du point de vue économique, au détriment des considérations urbanistiques qui n’occupent plus qu’une position subalterne, dominée par les questions économiques dans la conception de l’action publique locale :
« Si dans les années 1960/1970 les pouvoirs publics se préoccupaient beaucoup de la “maîtrise” des processus d’urbanisation, dans les années 1980/1990, la préoccupation principale des autorités locales, qui ont dorénavant pleinement la compétence en matière d’urbanisme, est avant tout la création d’emplois. Ayant pris conscience qu’un certain nombre de qualités urbaines sont des facteurs clefs de leur attractivité, les villes se livrent à une concurrence aiguë sur ces “facteurs” pour attirer les entreprises » (Ascher, 1992).
Ce déplacement de la focale de la régulation économique territoriale, de l’aménagement de l’espace à la gestion de la concurrence entre les territoires, implique un dépassement des modes classiques d’intervention des autorités publiques locales. La production de surfaces d’activités sous forme de zones industrielles équipées ou de quartiers d’affaires et les mesures d’aides fiscales ou financières doivent être complétées par une nouvelle manière de faire, qui permette d’intégrer les tendances plus récentes d’action économique, fondées sur le qualitatif, le marketing urbain et la mise en valeur des ressources locales. Il s’agit ainsi d’utiliser différemment les moyens d’action existants pour adapter l’action publique aux nouveaux enjeux du développement économique concurrentiel et de l’attractivité territoriale, conditionnés par le contexte de crise.
L’aménagement de l’espace, l’urbanisme et la planification urbaine sont donc mis au service du développement économique territorial, parallèlement à la montée en puissance des politiques publiques locales. En l’absence de compétence économique spécifique, les collectivités locales – municipalités ou structure intercommunale – se trouvent confrontées à la nécessité de s’appuyer sur l’intervention d’organismes extérieurs plus ou moins satellisés pour développer une expertise adéquate sur les questions de développement économique. Elles profitent en revanche de leurs compétences techniques en matière d’urbanisme, de planification et d’aménagement spatial pour développer un savoir-faire technique interne qu’elles puissent mettre au service de l’objectif économique, ou en recourant également à la sous-traitance de certaines tâches d’expertise auprès des bras exécutants externalisés que sont l’ADERLY et la l’AGURCO.
L’analyse succincte de la politique d’action économique de la Ville de Lyon au moment de la Décentralisation révèle ainsi particulièrement la période de transition méthodologique entre les modalités d’intervention dans le champ économique, qui sont focalisées autour des leviers urbanistiques et spatialistes (planification, aménagement urbain, etc.), et celles qui sont plus résolument tournées vers des considérations stratégiques de positionnement économique et de mise en valeur qualitative du territoire local.
Entre urbanisme économique et stratégie de positionnement international
L’intervention économique de la municipalité lyonnaise au début des années 1980 est caractérisée par une importante contradiction interne de l’orientation politique, tiraillée entre la volonté de renforcer le tissu industriel de la ville et la volonté de favoriser le développement des fonctions tertiaires et métropolitaines. Les dispositions du projet de POS, comme les opérations d’aménagement initiées ou soutenues par les autorités publiques locales, reflètent les hésitations méthodologiques et un certain flottement stratégique de la politique économique lyonnaise, entre nécessité de modernisation du tissu économique et volonté de maintien des activités industrielles par le biais d’actions assez classiques d’aménagement spatial.
Le contexte de crise et de profonde évolution des logiques de développement économique place en effet les décideurs locaux face à la nécessité d’adapter les modes de faire et le contenu même des actions publiques de régulation territoriale. Le modèle dominant durant les années de croissance s’avère de plus en plus obsolète. La situation d’ensemble appelle à un renouvellement en profondeur des logiques et principes de l’intervention publique en faveur de l’économie, dont la décentralisation des compétences de l’Etat vers le niveau local constitue l’une des étapes principales, mais non suffisante.
L’hybridation de l’urbanisme et des enjeux économiques de positionnement stratégique territorial s’opère essentiellement en raison du caractère limité des possibilités d’intervention économique des collectivités locales et du flou juridique relatif qui entoure l’attribution de la compétence de développement économique au niveau local (voir supra). Le manque de recul par rapport à la situation de crise et l’absence d’expérience ou de compétences des techniciens en charge des interventions expliquent également les difficultés éprouvées par les autorités publiques lyonnaises pour définir une politique de développement économique cohérente et clairement ciblée.
Le Parc de l’Artillerie à Gerland est la première opération de ce type, plus qualitative et flexible, censée être mieux adaptée pour accueillir des activités industrielles, mais aussi tertiaires ou de recherche. Elle fait figure d’opération pilote, marquant l’ouverture progressive des logiques d’intervention économique locale au pragmatisme et à la stratégie, par l’utilisation de l’urbanisme et des projets d’aménagement au service de la politique de régulation économique territoriale. Elle constitue l’amorce d’un croisement entre action quantitative et matérielle en faveur de la production de surfaces d’accueil pour les entreprises, et action plus qualitative destinée à modifier l’orientation sectorielle de la base économique locale ainsi que l’image globale de la ville.
Le concept de parc d’activités permet en effet de résoudre en partie le dilemme d’une politique économique tiraillée entre incitation à un certain retour des industries dans la zone centrale de l’agglomération, nécessité de réutiliser les nombreuses friches industrielles et volonté de développer le tissu tertiaire en multipliant l’offre immobilière. L’équipement du quartier en nouvelles surfaces d’activités permet en effet, comme à Vaise où de nombreux emplois industriels ont disparu, de reconstituer une offre en zones d’accueil plus attractive pour les entreprises, permettant à la fois de lutter contre la réduction de la base économique locale et remédier à la multiplication des friches industrielles dans le périmètre central de l’agglomération (Lorrain, Kukawka, 1989).
La problématique des friches industrielles, conséquence directe des effets de la crise économique et de la désindustrialisation sur les tissus urbains, est au cœur des enjeux de l’urbanisme au début des années 1980 (Tomas, 1982). La politique de desserrement industriel, qui prévalait durant la période croissance, a organisé le transfert des entreprises productives du centre de l’agglomération vers les zones aménagées et équipées par les pouvoirs publics dans les communes périphériques, libérant d’importants tènements fonciers à Lyon (voir supra, 2ème partie, Section 2). Les programmes résidentiels ou de bureaux remplacent en partie seulement les anciennes activités industrielles, et la survenue de la crise aggrave les phénomènes de vacance des surfaces libérées, en rétractant la demande des investisseurs. La demande s’essouffle également dans les zones industrielles de banlieue, rendant plus prégnant le problème de la rigidité fonctionnelle et du manque d’adaptabilité des zones d’activités produites par la puissance publique, face aux nouveaux besoins des entreprises.
L’urbanisme réglementaire et la planification sont ainsi mobilisés par les pouvoirs publics locaux pour faire face aux nouveaux enjeux : limiter le transfert des industries vers la périphérie, maintenir des activités dans la ville en permettant l’implantation de tous types d’entreprises, réutiliser les surfaces d’activités libérées par l’industrie pour d’autres fonctions, notamment tertiaires, et favoriser le rétablissement d’une certaine mixité des fonctions dans l’espace urbain de façon plus générale. La révision du POS de Lyon dès son approbation à la fin des années 1970 permet de faciliter cette dynamique d’intervention qualitative. Les POS constituent depuis la LOF de 1967 des outils de planification fonctionnelle des droits à construire sur le territoire, qui permettent d’orienter la localisation des sites d’accueil à vocation économique et d’agir ainsi la régulation de l’économie locale.
Si l’intervention publique « classique » permet d’orienter spatialement la localisation de la croissance grâce à la politique des zones d’activités (production de surfaces pour les entreprises ayant une portée incitative avérée sur leurs comportements), elle ne correspond que très partiellement aux attentes qualitatives et différenciées des entreprises en matière de localisation (centralité, rapport coût/équipement des terrains, mixité des fonctions). Deux scénarios d’intervention des pouvoirs publics locaux se profilent donc face au bouleversement des grands équilibres socioprofessionnels, à la mutation du tissu économique et à l’éclatement des marchés locaux d’activités et d’emplois, conséquences de la crise économique, des innovations technologiques et de la constitution des grands groupes industriels intégrés : le laisser-faire ou l’engagement de réflexions et d’actions sur les nouveaux rapports entre production et formation sur le territoire.
Cette dernière hypothèse débouche sur la nécessité de lier planification spatiale et économique au niveau local et doit conduire à la constitution de nouvelles cohérences économiques par la création de centres technologiques intégrés dans les grandes filières de production prioritaires au niveau régional (Plan), en collaboration avec les grands groupes industriels et leurs réseaux de PME-PMI sous-traitantes. Cependant, ces propositions qui peuvent être interprétées comme une première ébauche d’argument technopolitain pour Lyon (Cauquil, 2000) et d’ouverture de l’action économique locale à une logique de filières stratégiques pour le développement territorial, ne sont pas discutées par le conseil communautaire en 1983, en raison du double contexte électoral au niveau municipal et de décentralisation administrative au niveau national.
La stratégie visant à faire de Lyon une ville internationale et une métropole technopolitaine, qui émerge également vers le milieu des années 1980, s’inscrit en outre dans un champ nouveau d’action publique mal, voire pas du tout maîtrisé par les services municipaux, qui ne sont pas organisés en fonction de l’enjeu économique (voir supra, Section 1). Les promoteurs du premier Plan Technopole de l’agglomération lyonnaise au sein de la CCIL et de l’ADERLY soutiennent le principe d’une relation étroite nécessaire entre les volets spatial et économique de ce programme d’actions en faveur du développement économique local. L’aménagement spatial et l’urbanisme doivent être les moyens de mise en œuvre privilégiés des objectifs économiques, en donnant une matérialité physique et visible dans l’espace de la ville à l’intervention qualitative des pouvoirs publics locaux en faveur du développement territorial.
Les responsables politiques lyonnais utilisent donc le POS pour améliorer les possibilités d’implantation et de transformation des entreprises. Le document de 1984 prévoit en effet un système de zonage plus adaptable et moins restrictif pour l’accueil des activités économiques dans le tissu urbain (AGURCO, 1984a). Le projet réglementaire entend donner de nouvelles chances au développement du tissu économique dans la ville, en élargissant la vocation fonctionnelle des zones d’activités, en renforçant les pôles économiques existants, en facilitant le maintien des activités traditionnelles et en assouplissant les prescriptions d’implantation pour accueillir les entreprises innovantes. Cependant, ce ne sont pas les services techniques municipaux qui instruisent la procédure de révision du POS, mais les techniciens de l’AGURCO pour le compte de la COURLY, les compétences d’urbanisme et de planification urbaine ayant été déléguées au niveau intercommunal depuis la Décentralisation.
Ainsi, la Décentralisation permet certes aux autorités politiques lyonnaises d’opérer un certain rattrapage dans le processus décisionnel et le pilotage de la politique économique locale, en reprenant à leur compte une partie des orientations de principe définies par l’ADERLY (voir infra, Section 3), mais ils n’ont pas les moyens techniques en interne de mettre cette ambition en application, tant en matière de savoir-faire pratique spécifique que d’expertise économique et de moyens d’études. Ils doivent donc se tourner vers l’action urbanistique des services de la COURLY, ainsi que vers l’intervention des organismes extérieurs spécialisés que sont l’ADERLY et l’AGURCO pour réaliser les objectifs de développement économique, et notamment pour les connecter au mieux aux actions d’urbanisme et d’aménagement.
Sous-traitance et partenariat, solutions à la quête de pragmatisme économique
Le contexte de crise et la montée de la concurrence économique entre les villes imposent un changement de conception radical dans l’organisation des moyens d’action en faveur du développement économique dans les années 1980. La recherche d’une plus grande efficacité et le souci d’adopter un pragmatisme proche de celui qui caractérise le comportement des entreprises amènent notamment les autorités publiques locales à se tourner vers la mobilisation d’informations économiques et statistiques pour préparer l’action, c’est-à-dire à ouvrir le champ de l’action publique en faveur du développement économique à des compétences nouvelles relevant du domaine de l’expertise technique de l’économie, qu’elles ne maîtrisent pas en interne.
Les besoins en moyens de réflexion et de coordination augmentent en effet, tout comme les besoins en matière d’études de marchés, d’études de viabilité économique des projets d’intervention ou en matière de diagnostic (sectoriel, territorial, etc.). Ces nouvelles exigences accompagnent l’adoption de la démarche stratégique et son application à la conduite de la politique de développement économique locale. Il s’agit de s’appuyer sur de nouveaux outils d’observation et de connaissance du fonctionnement de l’appareil économique local, tant d’un point de vue conjoncturel que d’un point de vue plus analytique (spécialisations, interdépendances, élaboration de diagnostics, possibilité de mesurer les effets de l’intervention dans un souci d’évaluation, etc.). Il s’agit également de produire des réflexions prospectives, de proposer des pistes d’orientation pour l’action, c’est-à-dire de faciliter la prise de décision en la préparant en amont.
Les autorités lyonnaises municipales et communautaires lyonnaises, bien qu’étroitement imbriquées et complémentaires (voir supra, Section 1), ne possèdent pas ces compétences techniques d’observation, de production d’information économique spécialisée et d’études stratégiques en leur sein. En revanche, l’ADERLY et l’AGURCO jouissent d’un certain savoir-faire en la matière, la première grâce à son expérience dans la conduite de la politique économique locale durant les années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3), la seconde grâce au développement de ses capacités d’études et d’expertise à la fin de cette même décennie (recrutement d’économistes et autres spécialistes contractuels), et à son rattachement institutionnel et technique avec les services de l’Etat – Ponts et Chaussées notamment (voir infra).
Les pouvoirs publics locaux ont donc recours à l’expertise économique et au savoir-faire managérial de l’ADERLY d’une part, et à l’expertise urbaine et aux moyens d’études de l’AGURCO d’autre part. Les deux organismes satellites de la COURLY agissent comme des bras exécutants et des sous-traitants de la nouvelle politique économique lyonnaise, dont les objectifs sont par ailleurs de plus en plus directement définis par les instances politiques locales, en lien avec les opérations d’aménagement et d’urbanisme lancées dans l’agglomération (voir supra, Section 1). Cette nouvelle forme d’action publique locale, qualifiée « d’urbanisme partenarial », s’appuie ainsi une certaine restructuration des relations entre pouvoir politique, opérateurs techniques et acteurs locaux (Ascher, 1992).
Fin 1984, l’AGURCO organise le colloque de prospective urbaine « Demain l’agglomération lyonnaise », avec le concours du Ministère de l’Equipement268 (AGURCO, 1984b). Cet évènement marque l’amorce de la révision du SDAU de 1978 et le point de départ d’une nouvelle approche globale et stratégique du développement économique par le biais de la planification territoriale à Lyon (TETRA, 1988). Il permet également de réorienter le rôle de l’Agence vers la production d’études prospectives sur le devenir de l’agglomération et d’amplifier son influence dans le système d’acteurs lyonnais comme lieu d’expertise économique et de réflexion territoriale élargie, dans un contexte d’ensemble marqué par la pérennisation de la crise économique (modes de production, structures de l’emploi, comportements sociétaux) et par un certain repli de la pensée urbaine sur l’échelle micro-locale des quartiers.
Les techniciens de l’AGURCO saisissent en effet l’opportunité de conduire et d’animer le débat autour de l’enjeu de l’internationalisation et de la mise en concurrence des villes, « répondant à une attente immuable des élus lyonnais qui sont avant tout des « libéraux-planificateurs » » (TETRA, 1988, p.4). L’AGURCO développe une approche générale, ancrée dans des considérations d’équilibre spatial et de mobilisation des solidarités communales au service du développement économique et urbain territorial. Elle se place ainsi au centre des nouvelles réflexions menées à l’échelle de l’agglomération en matière de développement économique local, à la pointe de la prise en considération des nouveaux enjeux de positionnement stratégique et concurrentiel du territoire (TETRA, 1988).
La réflexion collective part du constat d’un ralentissement de la croissance économique et démographique dans l’agglomération, marqué par une perte d’emplois massive dans l’industrie (fermeture de grands établissements des groupes Rhône-Poulenc, RVI et PCUK notamment), non compensée par le développement de l’emploi tertiaire. Elle porte essentiellement sur la recherche de solutions pour permettre à l’agglomération de s’adapter à ce nouveau contexte économique dominé par le secteur des services et les logiques d’innovation technologique. Plusieurs champs de prospective sont explorés (habitat, fonctions métropolitaines et activités économiques, planification et gestion urbaines, déplacements), mais un seul fil conducteur relie toutes les contributions produites : le développement économique à venir de la métropole lyonnaise (AGURCO, 1984).
Le volet économique de la démarche est fortement soutenu par l’ADERLY, qui prône le dépassement des problèmes urbains et des potentialités de l’agglomération pour souligner la nécessité d’un positionnement international et européen de la métropole (voir infra, Section 3). L’ADERLY fournit en effet plusieurs contributions au débat.
D’abord, elle dresse un état des lieux des points forts de l’économie lyonnaise en matière de spécialisation sectorielle dans les domaines d’activités de haute technologie (ingénierie nucléaire, chimie fine, pharmacie et phytosanitaire, biotechnologies, matériaux composites, électronique et informatique) et de nouveaux équipements lyonnais à vocation économique (pôle d’activités internationales du Quai A. Lignon269, gare TGV de la Part Dieu, parc des expositions Eurexpo, biopôle de Gerland en cours de réalisation autour du site de l’ENS270). Celui-ci constitue à la fois une sorte de premier diagnostic économique du territoire local et une forme de bilan de l’action de promotion économique et territoriale déployée à Lyon par l’ADERLY depuis 1974 (ADERLY, 1984b).
Les chambres consulaires rendent compte quant à elles de leurs actions en faveur du commerce, des entreprises industrielles et de l’artisanat dans l’agglomération, mais ne participent pas directement à la réflexion stratégique concernant les orientations à donner au développement économique local271. Seule l’ADERLY propose des pistes concrètes pour orienter la définition d’une stratégie d’action, qualifiées de « moyens d’une ambition » (AGURCO, 1984a). Il s’agit en fait de la présentation des deux axes de politique économique dans lesquels s’engage alors l’association : faire de Lyon une ville internationale, doublée d’une métropole technopolitaine (ADERLY, 1984b).
Ces propositions s’inscrivent dans la continuité naturelle du diagnostic économique de l’agglomération également réalisé par l’ADERLY. Elles sont en effet le fruit du travail réalisé par l’association de développement lyonnaise au cours des dix dernières années, au service des responsables politiques et des acteurs économiques locaux, et dans le cadre du partenariat noué entre la COURLY, la CCIL et le GIL au début des années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Forte de son expérience et de son expertise, elle occupe ainsi la place centrale dans le système d’acteurs local du développement économique aux côtés de la CCIL qui héberge et finance son personnel (voir infra, Section 3), en l’absence de compétence spécifique et de véritable savoir-faire technique de la part de la collectivité publique (municipalités comme intercommunalité).
L’impact des conclusions du colloque prospectif est très important sur l’évolution de la conduite de la politique urbaine dans l’agglomération lyonnaise, et particulièrement sur sa mise au service de l’enjeu économique plus global et de la compétitivité territoriale. Certaines réflexions portant sur la planification invitent en effet également à conférer un nouveau rôle au territoire dans l’organisation du développement économique (Rey, 1984b), ou à développer un nouvel urbanisme plus stratégique et global, capable d’adapter la planification aux nouveaux enjeux de la compétition économique et de la concurrence (OPAC du Rhône, 1984b).
Il conduit donc les responsables politiques locaux à reconnaître la nécessité de dépasser l’ancienne planification territoriale et économique, fondée sur l’exercice de la prévision et la répartition fonctionnaliste des activités dans l’espace mais tenue en échec par les évolutions de la conjoncture, et à se lancer dans une nouvelle démarche de planification résolument stratégique et basée sur la définition d’un véritable projet de développement économique du territoire.
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