II - La territorialisation des politiques économiques
La dimension politique du développement économique renvoie à la notion générale d’action publique, qui désigne « le processus par lequel sont élaborés et mis en place des programmes d’action publique, c’est-à-dire des dispositifs politico-administratifs coordonnés en principe autour d’objectifs explicites » (Muller, Surel, 1998). La notion de politique publique permet de rendre compte de l’existence d’un programme d’actions gouvernemental, défini et conduit par une autorité publique compétente dans le but de répondre à une situation problématique, territorialisée ou sectorielle (Mény, Thoenig, 1989). Elle renvoie ainsi à un calendrier, à des procédures, à des dispositifs techniques et organisationnels d’intervention, à des financements et des règles, qui sont censés produire des résultats et avoir des effets régulateurs sur la situation diagnostiquée (Muller, 1990).
Toute politique publique exerce une double influence sur l’environnement (spatial ou sectoriel) et sur la genèse sociale des champs d’action publique mobilisés. Qu’elle soit locale ou nationale, de portée globale, sectorielle ou territoriale, elle peut être décomposée selon trois processus distincts mais complémentaires, qui peuvent servir de guide général pour l’analyse :
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La tentative de gérer la place, le rôle et la fonction du secteur ou du territoire concerné par rapport à la société en général et/ou par rapport aux autres secteurs ou territoires ; ce premier aspect invite à considérer dans l’analyse, d’une part l’organisation administrative qui sert la mise en œuvre de la politique publique, et d’autre part la stratégie politique qui est déployée pour assurer le portage de cette intervention publique.
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La représentation du rapport global / sectoriel, ou référentiel de la politique publique, qui agit comme un ensemble de normes, de références et de représentations en fonction desquelles sont définis les critères d’intervention et les objectifs du programme d’actions.
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Un acteur ou un groupe d’acteurs, qualifié de « médiateur », se charge de l’opération de construction du référentiel de la politique publique. Il occupe donc une position stratégique, éventuellement dominante, dans le système de décision. Dans le champ de la régulation économique territoriale qui nous intéresse ici, il s’avère nécessaire de prendre en considération la relation existant entre l’autorité publique et politique, qui conduit l’intervention, et les acteurs économiques, qui constituent la cible principale de l’action et portent l’intérêt des entreprises auprès des responsables politiques. Ceux-ci peuvent en effet être considérés comme les principaux vecteurs de diffusion auprès des pouvoirs publics de la façon de concevoir les enjeux de la politique économique (voir infra).
Cependant, cette grille d’analyse des politiques publiques est plutôt adaptée aux politiques publiques nationales. Elle nécessite donc d’être complétée avec d’autres éléments de cadrage analytique pour la rendre plus opérationnelle et adaptée au cas des politiques publiques locales (ou territoriales), dont relèvent les politiques économiques locales.
La notion de politique locale renvoie en effet à des « actions entreprises par les autorités locales pour agir sur leur environnement social et politique. Elles se distinguent donc formellement des politiques de l’Etat ou des politiques internes de l’Union Européenne pour se limiter aux initiatives des gouvernements locaux ou intermédiaires : municipalités, institutions d’agglomération ou structures intercommunales, départements ou provinces, régions » (Balme, Faure, Mabileau, 1999).
Ces auteurs identifient plusieurs traits communs des politiques locales ou territoriales, qui permettent d’approfondir le cadre d’analyse de la politique économique déployée dans la métropole lyonnaise :
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La définition du territoire comme espace problématique, constitué autour d’enjeux collectifs, ouvre la réflexion sur le choix des limites territoriales opéré par les décideurs (territoire institutionnel versus territoire fonctionnel notamment), ainsi que sur son statut de référentiel pour l’action publique locale en amont, et à l’inverse sur son statut de support et de réceptacle pour l’action en aval ;
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Le caractère flexible de l’action publique renvoie à l’analyse des modes opératoires et des stratégies d’action déployés dans le cadre de la politique locale, ainsi qu’à ses orientations qualitatives et quantitatives qui peuvent plus ou moins radicalement changer au cours du temps, notamment en fonction des évolutions des contextes général et local ou du type d’acteurs en charge de la conduite de l’action. Il s’agit donc d’interroger le caractère adaptable, mouvant et évolutif de la politique économique dans la métropole lyonnaise, au regard des modifications du marché, du système économique mondial, des modèles de développement, et des potentialités économiques propres au territoire local (filières motrices, pôles de compétences, spécialités émergentes, nouvelles technologies…) ;
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La perte de centralité de l’Etat : le rôle de l’Etat et des services centraux dans le domaine de la régulation économique, ainsi que le schéma organisationnel de l’administration territoriale française, considérés sur la longue durée (cinquante ans environ), offrent des clés de lecture nécessaires pour comprendre les conditions de la montée en puissance et en autonomie politique des collectivités locales dans le domaine de la gestion urbaine et de l’aménagement du territoire depuis la survenue de la crise économique. Cet aspect entre en résonance, à la fois avec les jeux de répartition des compétences d’intervention entre les différents échelons territoriaux et les différents acteurs concernés, et avec les enjeux politiques nouveaux qui saisissent les gouvernements locaux à propos de la régulation économique ;
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La multiplicité des acteurs en présence : la reconnaissance de l’échelon local comme un niveau territorial pertinent et adapté pour conduire une certaine forme de régulation économique dans un contexte de crise et de mondialisation de la compétition économique, s’accompagne logiquement de la reconnaissance du rôle des acteurs publics et privés locaux dans la conduite de cette régulation. Le développement de démarches partenariales et contractuelles ouvre un espace nouveau de gouvernance économique à base territoriale, au sein duquel les rapports entre acteurs s’organisent au niveau local. L’analyse s’oriente ainsi vers l’étude des jeux de positionnement qui animent le système d’acteurs local et la mise en évidence des recompositions de pouvoir à l’œuvre au sein du territoire, en termes notamment de capacité d’expertise, de prise de décision, de moyens d’intervention, de méthodologie, de cadre référentiel et de légitimité politique. Cette réorganisation des rôles concerne essentiellement les acteurs politiques, les services techniques publics et les acteurs économiques représentant les intérêts des entreprises dans le cas de la régulation économique territoriale (voir infra) ;
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La minimisation du poids du politique au profit d’autres types d’intervention, en particulier économique, oriente enfin l’analyse vers la dimension stratégique et l’orientation managériale de l’action économique développée par les autorités locales dans la métropole lyonnaise. Dans un contexte général dominé par les logiques de concurrence et de compétition, tant entre les firmes qu’entre les territoires, l’action de la collectivité locale se trouve fortement déterminée par les questions relatives au développement économique, et s’inspire de façon croissante des démarches de planification stratégique et de projet de développement à portée globale issues du monde des entreprises. Plus largement, la domination des questions économiques sur les autres champs d’intervention publique se traduit par le positionnement de la métropole lyonnaise sur le marché des villes, et l’assujettissement d’une grande partie des autres politiques urbaines locales (logement, espaces publics, culture…) à l’enjeu global d’attractivité économique et de production de spécificités territoriales différenciant positivement le territoire local de ses concurrents potentiels (Pouvoirs locaux, 2004).
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