Conclusion
Les innovations émergeant dans le cadre des activités territoriales jouent un rôle crucial dans les processus du changement territorial, avant tout parce qu’elles visent explicitement à ce changement. Elles engagent l’ensemble des conditions d’initiation/validation/pérennisation de l’innovation personnelle et économique.
Les innovations organisationnelles consistent en la fusion d’intérêts privés et publics autour d’un projet territorial : elles engagent ainsi et tendent à valoriser les initiatives personnelles et économiques des acteurs, comme conditions du développement territorial. Les innovations institutionnelles visent quant à elles à fonder une image territoriale globale destinée à soutenir/réguler/orienter l’ensemble des dynamiques locales.
Une mise en relation des innovations organisationnelles et des innovations institutionnelles semble ici plus complexe à établir. Elles englobent en effet dans leurs dynamiques celles des activités économiques et personnelles, qu’elles participent à déterminer. Certains traits significatifs sont cependant à souligner :
c1 La prééminence des projets institutionnels
Les innovations institutionnelles semblent déterminer tout particulièrement une large part des dynamiques territoriales, et opérer une régulation/gestion des autres innovations, territoriales ou non.
Le rôle de l’innovation institutionnelle a déjà été souligné dans les chapitres précédents, et notamment dans le chapitre 10, comme validant/amplifiant les dynamiques d’innovation organisationnelle. Dans le cas des projets territoriaux qui engagent l’ensemble des territoires et modifient ou visent à modifier les conditions d’habitation et d’action économique des périurbains, ce rôle est particulièrement accru, et étendu à l’ensemble des innovations économiques et personnelles.
Les projets territoriaux institutionnels jouent d’une part un rôle important de diffusion et d’incitation à l’innovation. Les orientations qu’ils fixent pour le territoire valident ou invalident des pratiques. Ils détiennent d’autre part une force de changement territorial considérable, parce que celui-ci est inscrit dans la conception même des projets. Les projets territoriaux institutionnels sont le signe et le moyen de l’emprise des pouvoirs et des institutions sur les territoires. Ils constituent ainsi un ensemble de déterminations pour l’ensemble des autres innovations, et pas seulement pour les innovations territoriales organisationnelles.
Ainsi, l’institution territoriale est-elle à même de produire une validation/invalidation globale des innovations émergeant dans les territoires. La force de changement des innovations territoriales institutionnelles est cependant proportionnelle à la faiblesse de l’action des acteurs individuels et privés dans la mise en place de ces innovations.
Cette prééminence de l’institution est particulièrement prégnante dans le domaine spécifique des activités territoriales. Les innovations territoriales institutionnelles conditionnent la pérennisation des innovations territoriales organisationnelles de façon accrue. Les innovations organisationnelles nécessitent pour étendre leur action/activité d’accéder à une forme d’institutionnalisation, s’opérant de façon privilégiée par le biais d’un soutien de la part des projets territoriaux officiels. Hors du cadre de l’institution, la création et la pérennisation d’une activité territoriale s’avèrent difficiles. Le rôle des collectivités locales est alors crucial, qui conditionnent, refusent, filtrent, éliminent nombre des innovations territoriales et détiennent la maîtrise du changement programmé du territoire.
c2 Prégnance des normes et des pouvoirs.
Conjointement, les innovations institutionnelles, particulièrement actives dans les territoires, sont cependant agies fortement par un ensemble de normes et des pouvoirs, qui tendent à limiter considérablement leur pouvoir innovant.
Innovations officielles du territoire, elles occupent une place toute particulière et cruciale dans les territoires et dans les processus du changement territorial. Elles définissent les orientations économiques, culturelles du territoire ainsi que l’attitude face à l’urbanisation. Elles conditionnent ainsi en partie les activités personnelles et économiques. À ce titre, elles semblent être, plus que l’ensemble des autres innovations, fortement marquées par la pression des normes au développement local, et par les jeux de pouvoir et dissensions locales.
Les innovations institutionnelles peinent ainsi à valoriser les initiatives locales, et les dynamiques qu’elles mettent en place, et jouent un rôle limitatif pour l’innovation. Elles sont construites dans une relative ignorance des innovations organisationnelles déjà mises en places. Elles ne visent ainsi pas à valoriser celles-ci par des créations institutionnelles adaptées : leur mise en place s’inscrit plutôt sur la base des rapports de force locaux, et s’inspire fortement des projets territoriaux standards, que le département, l’Etat, l’Europe tendent à inciter. Nombre de projets semblent voués à un échec local relatif mais à une aide institutionnelle certaine. Les territoires pris en compte dans les projets territoriaux officiels sont ainsi des territoires partiels, tronqués dans leur diversité.
Les modalités elles-mêmes de la construction de projets territoriaux, processus complexe de diagnostic territorial et de montage de dossiers en vue de l’obtention d’aides, orientent la nature et l’efficacité des projets mis en place. La complexité du processus d’abord et la relative inexpérience des acteurs institutionnels locaux dans ce domaine les renvoient à l’imitation, tout au moins à la conformation aux directives générales proposées par les agents de développement territorial européens (Leader +), régionaux, départementaux.
La gestion des territoires s’opère sans concertation véritable, ni transparence dans la diffusion des informations. La complexité des montages de dossiers, le grand nombre d’acteurs locaux et extra-locaux déjà impliqués dans les projets territoriaux, incitent les communes à négliger la concertation. Celle-ci constitue pourtant l’une des exigences premières des acteurs. Les diagnostics territoriaux sont ainsi incomplets, et orientés.
Nous signalions précédemment les conflits existant entre des nouveaux résidents soucieux de transparence et d’urbanité, et des propriétaires terriens accrochés à un immobilisme garant de leurs privilèges. Les mêmes types de conflits et de tensions sont décelables au sein des relations liant municipalités et collectivités locales aux individus ou associations engagés dans une démarche d’innovation. Les dissensions locales contribuent ainsi à l’enterrement de projets innovants, pour la réalisation de projets plus conformes à la politique locale ou aux critères du développement local labellisé. L’exclusion des nouveaux venus si la municipalité est autochtone, et inversement la négligence des exigences des agriculteurs locaux et des anciens habitants si la municipalité est néo-résidente, produisent ainsi une gestion partielle des territoires.
Les innovations institutionnelles semblent ainsi ne pas émerger en tant que compléments/suppléments des innovations organisationnelles mais bien en opposition avec celles-ci. La domination de l’institution produit des processus d’innovation contradictoires, qui vont à l’encontre des processus de valorisation/amplification des dynamiques organisationnelles, tels qu’ils ont été définis dans le chapitre 10.
De multiples paradoxes caractérisent ainsi les processus de l’innovation territoriale. Le pouvoir de changement des innovations émergeant dans le cadre de ces activités s’oppose au caractère banal/limité de ces innovations, bornées et normées par des déterminismes idéologiques, sociaux et politiques. Le territoire est au centre des actions engagées : il n’est cependant pas pris en compte dans sa diversité et complexité dans le cadre des innovations institutionnelles. La forte dépendance des innovations organisationnelles vis-à-vis de l’institution réduit le pouvoir d’action des acteurs de la société locale et leur participation à la production de dynamiques territoriales. Éphémères, précarisées ou restées ineffectives, elles n’en sont pas moins présentes, et actrices dans le territoire.
c3 Diversité et multiplicité des projets territoriaux non effectifs.
La domination effective des innovations institutionnelles ne doit pas masquer une autre réalité : celle de la domination numéraire des projets territoriaux innovants portés par des acteurs privés, individuels ou collectifs. Ces projets sont éphémères, précaires, ou pour la majorité d’entre eux, ne verront jamais le jour. Ils n’en sont pas moins présents et significatifs en ces territoires.
Bien que répondant aussi d’une forme de conformation nécessaire à la norme, ils montrent l’existence d’une activité territoriale intense issue des pratiques d’acteurs et d’une véritable dynamique d’auto-détermination.
La volonté de différencier le territoire local, et en particulier de le préserver des territoires menaçants de l’agglomération proche, répond d’une démarche éminemment innovante de participation des individus à la construction de leur territoire. Les porteurs de projets territoriaux se positionnent comme les constructeurs de leurs lieux de vie, c’est-à-dire comme les producteurs de leur société, ou comme des sujets-acteurs.
Ainsi, la non-effectivité de ces projets et innovations n’en est pas moins le signe de l’insertion des territoires et des sociétés périurbaines dans des dynamiques de changement, dynamiques modernes d’auto-détermination des sociétés. À travers l’ensemble de ces projets territoriaux avortés, les territoires périurbains dépassent la seule détermination imposée par les projets territoriaux conventionnels.
Dostları ilə paylaş: |