Thèse pour l’obtention du diplôme de Docteur de l’Université Paris VII spécialité : Géographie


Innovations territoriales institutionnelles



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3 Innovations territoriales institutionnelles.


Les innovations institutionnelles territoriales interviennent comme une réponse/un appui aux innovations/dynamiques mises en place par les acteurs sociaux et économiques. Elles tentent d’institutionnaliser les dynamiques territoriales de manière à les réguler ou les orienter. Cependant, elles ne sont que rarement initiées par les acteurs privés eux-mêmes comme dans le cas des activités économiques, mais proposées et mises en œuvre par les collectivités territoriales. Ainsi, la mise en place de structures intercommunales, mouvement engagé dès 1975 par la création des SIVOM, répondait à la nécessité de gérer au mieux des territoires en croissance démographique. Elle répondait aussi à l’exigence des nouvelles populations, ainsi qu’au besoin accru d’infrastructures, d’écoles, et à la nécessité d’une mise en synergie des forces en matière de gestion de l’eau, du ramassage des ordures, etc.
Les projets territoriaux institutionnels concernent la création, l’entretien ou la valorisation d’une dynamique économique. Ils développent un ensemble d’actions destinées à valoriser/promouvoir les ressources sociales, culturelles ou économiques du territoire. Ces projets « de territoire » visent à valoriser le « patrimoine territorial », la « culture locale », dans un souci de rendre les territoires locaux attractifs - davantage d’ailleurs pour les consommateurs que pour d’éventuels futurs résidents. Ils s’inscrivent ainsi dans le même type de démarche que celle suivie par les acteurs individuels dans le choix de la nature et de l’organisation de leurs activités économiques, démarche ré-évaluée ici dans la perspective du développement du territoire en son entier, et de soutien à l’économie locale.

L’action engagée est double :

_ Une action sur l’image du territoire et sur les caractéristiques concrètes du territoire : aménagements et rénovations de lieux et de hauts-lieux du territoire, préservation de la nature, etc.

_ L’organisation/fédération des forces économiques locales par la mise en place de structures de coopération, d’information, d’aide financière ou organisationnelle.

Dans ce contexte, les innovations institutionnelles participent toutes de la production d’une image territoriale valorisée. Trois types d’innovations institutionnelles sont ainsi susceptibles d’être relevés au sein des territoires qui nous concernent : organisation d’événements territoriaux et mise en place de lieux de projet, création d’un label territorial, véritable production territoriale enfin, dans le cadre de la constitution d’un Pays. Ces innovations sont très localisées, a contrario des innovations organisationnelles insérant les territoires dans des dynamiques plus vastes.

L’ensemble de ces projets opère une fusion/confusion entre l’innovation et le changement territorial. L’objet explicite de ces initiatives territoriales est le développement local. Cette intentionnalité produit l’innovation institutionnelle et détermine sa forme et son contenu.



Ce retournement des processus mérite attention et pose la question de la prévisibilité et de la détermination de l’innovation - et du changement territorial, et à travers elle, celle de l’efficacité des politiques d’innovation et de développement local. Les déterminations que représentent l’ensemble des normes et des pouvoirs semblent oeuvrer fortement dans le cadre spécifique des projets institutionnels territoriaux, et porter préjudice à l’innovation.

3-1 La mise en place d’un label territorial. L’exemple du « Chemin des Verriers ».


Le « Chemin des Verriers », projet porté par la Communauté de Communes de l’Hortus et financé en partie par le programme européen Leader 2, tente de s’imposer comme un label territorial, dynamisant et supportant la dynamique économique locale.

«Le chemin des Verriers est un véritable projet de développement territorial, basé sur la réimplantation de l’activité verrière et la valorisation des activités locales existantes. Ce projet se structure autour de trois pôles complémentaires, qui participent à la pertinence du projet. […]

Lien structurant de développement, le chemin des verriers affiche clairement l’ensemble de ces objectifs : […] Projet innovant de développement économique, l’objectif est à terme de créer un véritable label qui favorise les synergies, garantisse une démarche “Qualité” et développe une image forte de la région de l’Hortus et de ses différents acteurs. Les élus locaux ont d’ores et déjà amorcé la réalisation d’équipements structurants qui constituent la base d’un partenariat avec les entrepreneurs potentiels pour l’implantation d’activités économiques et notamment touristiques.»
Le projet consiste à créer un lien entre les communes membres de la C.C. de l’Hortus, à travers la mise en avant du patrimoine verrier du Causse de l’Hortus. Le Chemin des verriers est ainsi conçu comme un chemin virtuel entre les communes participant au projet. L’action territoriale consiste en la constitution d’un territoire symbolique à travers l’artisanat du verre comme fil conducteur.
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une association 1901. Un office de tourisme « Chemin des Verriers en Pays d’Hortus » a été mis en place pour initier et gérer un ensemble d’activités et de réalisations :

_ dans le cadre de l’Office du Tourisme, situé à Claret : informations diverses (tant sur les activités du Chemin des Verriers lui-même que sur l’ensemble des communes participant au projet et sur les entreprises locales (restaurants, caveaux, etc.) ; visite commentée des deux verreries Sur les traces des Gentilshommes verriers ; organisation de repas, de dégustation de vins dans un caveau

_ restauration de la Verrerie de Couloubrines354 , site archéologique en plein air situé sur le territoire communal de Ferrières-les-Verrerie ; visites commentées l’été, départ de randonnées.

_ création de la Verrerie d’Art de Claret, accueillant en hébergement deux artistes-verriers contemporains. La Verrerie regroupe un atelier, un espace d’exposition et un équipement multimédia.

_ organisation d’expositions dans le cadre de la Verrerie de Claret.

_ mise en place de la Boutique du Chemin des Verriers : vente de « vin, miel, produits de cosmétologie à base d’huile de cade et de distillats de plantes de la garrigue, bijoux en altuglas, objets en bois précieux, créations de vêtements, céramiques et faïenceries, reproductions de verres anciens355 ». Vaste mélange de produits locaux, elle représente la vitrine de la Communauté des Communes.

_ rénovation du Domaine du Mas de Baume356
L’ensemble des activités mises en place concourent à la production d’une image cohérente et valorisée, plus qu’à une véritable production territoriale. Le Chemin des Verriers constitue une forme de « vitrine » territoriale : là réside l’innovation.

Le territoire concerné ne présente qu’une relative cohérence territoriale liée aux Verriers, ou à une spécialisation dans le travail du verre. La présence dès le XIV siècle de Verriers sur le Causse de l’Hortus semble ici ne constituer qu’un prétexte au développement d’actions liées à la promotion des acteurs économiques locaux : artisans, hôteliers, restaurateurs et vignerons. En cela justement, ce projet territorial constitue une innovation. Coquille vide, il s’érige en label territorial pour un ensemble d’activités et de territoires non liés explicitement par leur nature ou leur organisation. Le point commun littéralement inventé pour la mise en place du projet est quasi fictif et contestable : il n’en constitue pas moins une institution guidant, soutenant et valorisant l’ensemble des dynamiques territoriales. Ce type de dynamique est naissant concernant la coordination des activités de tourisme vert au sein des deux cantons concernés, coordination déjà opérée en partie pour l’hébergement par l’Office de Tourisme qui sert de centrale de réservation. Cependant, aucune structure territoriale officielle, répondant à un projet territorial construit, ne vient institutionnaliser cette démarche.


3-2 La mise en scène d’événements et de lieux comme mode de valorisation de l’économie locale.


Le même type de démarche est à l’origine de l’organisation d’événements et de la mise en place de lieux. L’événement ou le lieu sont conçus comme des concentrés territoriaux, mettant en exergue les caractéristiques essentielles des territoires à travers des activités ou des thèmes variés. Ils constituent ainsi non pas des labels territoriaux mais des marqueurs - temporels ou spatiaux - de la spécificité territoriale. Ce type de démarche constitue une innovation institutionnelle.

Cependant, dans le cadre des territoires qui concernent cette étude, le caractère innovant des différents projets d’événements et de lieux est considérablement réduit. L’ensemble des normes à l’innovation détermine fortement la nature des projets développés : ceux-ci concentrent ainsi moins l’essence du territoire local que celle d’un territoire normé, conforme à l’idéologie du développement local. De la même façon, la prégnance de l’institution favorise la mise en place de projets ayant la faveur des pouvoirs locaux. Dans le cadre institutionnel et territorial, les projets peinent à se constituer en innovations, en tant que « modes complexes de restructuration et de rééquilibration de rapports entre des personnalités et des institutions, de régulation et de dépassement des conflits inhérents à ces rapportsme ».


3-2-1 L’organisation d’événements : la prédominance du terroir et du folklore.


Nombre d’événements sont organisés, qui constituent des temps forts de la vie - et de l’économie - locale.

Ce type d’événements s’inscrit le plus souvent dans l’imitation : Semaine du goût ou de la Science, Journées du patrimoine, du Livre, Fête de la musique, etc. sont des événements organisés à l’échelle nationale, et ont la faveur et le soutien du département, de la région et de l’Etat, ainsi que ceux des pouvoirs locaux.

L’innovation consiste seulement en une forme de détournement de la fonction initiale de l’événement, rééinvesti dans une fonction éco-territoriale. Le thème fédérateur choisi est surtout l’occasion de présenter et de valoriser l’ensemble des activités, des produits et des services locaux. Ainsi, le véritable thème de ces événements est-il souvent limité à la vente de produits (le terroir) et à la présentation de scènes folkloriques (la culture locale, le patrimoine).

De la même façon, les projets exclusivement locaux montrent un décalage entre la conception de l’événement et la réalité de son organisation. Les Rencontres du Patrimoine, organisées dans le canton de St-Martin-de-Londres, sont organisées en partenariat avec l’U.F.R III de l’université Paul-Valéry de Montpellier, dans le cadre de l’association Acanthe, créée par les étudiants de la M.S.T. Patrimoine. Elles visent à la présentation du patrimoine géographique et culturel des territoires de la garrigue nord-montpelliéraine. La caution universitaire donne un crédit nouveau à ce qui n’est, dans le programme et le déroulement de l’événement lui-même, qu’une manifestation de plus destinée à vendre les produits locaux.

La mise en place d’événements territoriaux hors de ces sentiers jalonnés et largement battus s’avère plus difficile, bien que leur caractère innovant soit plus évident. Toute initiative qui n’a pas la faveur des collectivités municipales et qui ne se greffe pas sur un projet issu du main-stream est le plus souvent reléguée au deuxième plan.

Cela est particulièrement préjudiciable à l’émergence et à la valorisation de projets territoriaux innovants, et partant, à la création et/ou l’entretien d’une dynamique locale issue des initiatives des acteurs.


3-2-2 « L’invention » de lieux : banalité des projets et dissensions locales.


La constitution de projets de lieux répond des mêmes processus. Les lieux susceptibles d’accueillir des projets territoriaux constituent des enjeux importants et concentrent l’ensemble des tensions locales. Deux exemples illustrent ici la difficulté d’innover dans le contexte de l’action territoriale institutionnelle.

Le Mas Neuf

L’exemple du domaine du Mas Neuf permet de souligner la force d’inertie créée par les dissensions locales et les jeux de pouvoir, plus que par les lenteurs administratives. Il révèle l’absence de concertation et de réflexion locales. Il témoigne aussi d’une forme de confiscation d’un lieu, pour la mise en place de projets portés ou supportés par les collectivités locales, ou par des acteurs de la société locale ayant leur faveur.

Le Mas Neuf est un domaine public - bâtiments et terres - à l’état d’abandon situé sur le territoire de la commune de Claret, et géré par l’Agence Foncière du Département de l’Hérault357 (AFDH). Plusieurs projets - portés par des acteurs privés, mais nécessitant un agrément institutionnel - ont déjà été proposés pour le site depuis son acquisition par l’AFDH en 1994, sur deux modes :

_ Ré-occupation du site liée à la spécificité territoriale, dans des modalités différentes de la mise en valeur initiale :


    • un projet de Centre de Karstologie n’a pu aboutir faute de l’appui de la municipalité et du canton. Il proposait notamment un accueil de stages (karstologie, hydrologie) avec une réflexion sur le traitement des eaux usées.

    • le projet CIGAL développé par l’association GEO-Logis avait pour vocation première de s’installer sur le site.

    • un projet de centre d’archéologie expérimental a été évoqué mais pas formalisé.

    • un projet de site-école d’escalade, proposé par l’association montpelliéraine SCALATA, qui viendrait en complément du site d’escalade semi-équipé de la falaise de Gourdou à Valflaunès, a été refusé pour nuisance sonore et visuelle par la municipalité de Claret.

_ Ré-occupation du site sur des modes conformes à la vocation initiale.

    • L’installation de deux bergers et l’aménagement d’un gîte sur le réseau vert ont été étudiés par l’AFDH. Cette étude réalisée en 1997 avait pour ambition le maintien des usages agricoles du domaine et son ouverture au public en renforçant le dispositif du chemin de randonnées départemental (Réseau Vert).

    • Un projet de ferme équestre.

En dehors des projets concernant les bâtiments, les terres sont convoitées :

  • les terres du domaine intéressent les viticulteurs du Pic St Loup pour y implanter un vignoble d’une quinzaine d’Ha.

  • Un agriculteur de Claret est également intéressé pour y pratiquer des cultures fourragères.

L’AFDH souhaite maintenir une activité pastorale, en conformité avec le passé du site.

L’institutionnalisation du projet est indispensable. Chaque proposition est ainsi évaluée par les institutions impliquées dans le projet de lieu. L’impossibilité d’une concertation et d’un accord entre le maire et conseiller général du canton de Claret et l’AFDH empêche la mise en place d’un projet global pour le site : le domaine se délabre et les projets le concernant sont ignorés. Des fonds ont été votés pour la réhabilitation du site, vote resté sans suite à défaut de consensus politique sur la question.

En avril 2001, un grillage a été installé, pour une mise en sécurité du site, les toitures menaçant de s’effondrer. Des panneaux expliquant l’intérêt et le résultat de ces fouilles ont été cependant mis en place, réalisés par un archéologue qui a mené les fouilles sur le site chalcolithique du Rocher du Causse.

Tout récemment en janvier 2002, le cabinet du président du conseil général de l’Hérault s’est finalement prononcé pour qu’une vocation strictement agricole soit privilégiée pour le domaine départemental du Mas Neuf. À la fin de l’année 2002 cependant, aucun projet n’était encore arrêté ni mis en place.

Ce type de situation est paradoxal. Le nombre de projets innovants portés par des acteurs privés est important : chacun d’entre eux propose une vocation originale pour le domaine. La nécessaire implication - financière, mais pas seulement - des pouvoirs publics réduit toutefois ce potentiel d’innovation organisationnelle. L’institution joue ici un rôle prohibitif. Elle ne s’inscrit plus comme complément et supplément à des dynamiques organisationnelles portées par des acteurs privés, mais comme un obstacle à l’initiative.

Le Domaine du Mas de Baume.

De la même façon, le cas du Domaine du Mas de Baume révèle les faiblesses du système institutionnel local en matière d’innovation et, découlant de là, de développement local.

Le domaine de Baume, situé sur le Causse de l’Hortus, est géré par la Communauté des Communes de l’Hortus et le Chemin des Verriers, déjà évoqué. Il constitue un lieu particulièrement convoité pour la mise en place d’activités, et a fait l’objet de nombre de projets, qui, comme dans le cas du Mas Neuf, sont restés à l’état de propositions.

En cours de rénovation depuis 1997, il est toujours sans affectation précise, attendant d’être ouvert au public « courant 2002 ». Il constitue un exemple parlant de la lourdeur des démarches institutionnelles, mais aussi de la mésentente locale et de la difficulté pour les collectivités locales à s’ouvrir à des projets extérieurs.

Les projets institutionnels se sont succédé sans véritable concertation ni réflexion. L’idée lancée lors de la mise en place du Chemin des Verriers était celle de la création « d’un espace d’information dans le cadre d’un centre multimédia. ». Par la suite, la C.C. de l’Hortus a entrepris la restauration du domaine avec pour objectif de permettre l’installation d’un hôtel-restaurant haut de gamme. Le projet a été revu à la baisse compte tenu de la configuration des locaux (chambres et gîtes de trop petite taille pour y prétendre) et de la difficulté de construire sur le site une renommée nécessaire pour séduire une clientèle reconnue comme très exigeante. Le lieu accueillera donc vraisemblablement « une maison du patrimoine, un sentier-découverte, un parc de loisirs (arts du feu) ». En outre, le domaine dispose d’une grande salle à vocation polyvalente où pourront être organisés des conférences, des expositions pendant la saison touristique, des banquets hors-saison. Enfin, un point-accueil « Patrimoine » sera accueilli dans un petit bâtiment annexe.

Le projet est nettement bâclé. Sans vision globale, il mêle un ensemble d’activités reconnues comme porteuses : patrimoine, tourisme, congrès, terroir. La thématique développée sur le site s’est en outre définie très tard, bien après le commencement des travaux. 2,6 millions d’euros358 ont été investis avant qu’une décision ne soit prise quant à la vocation future du site. Le projet n’a en aucun cas précédé l’action et l’agacement des acteurs locaux au sujet de ce projet est sensible, en particulier auprès de ceux qui présentaient des projets cohérents et réfléchis.

La rénovation du Domaine est elle-même très contestable. Nombreux sont les acteurs individuels et associatifs qui ont souligné la destruction d’un patrimoine architectural, opérée par manque de concertation ou/et par précipitation. En effet, la rénovation ne respecte pas la construction initiale et « noie le Domaine sous le béton ». En outre, le problème de l’adduction d’eau n’a été résolu que très récemment. La perte d’argent et de temps caractérise l’ensemble des actions engagées.

Enfin, une grande opacité de l’information caractérise la conception et la réalisation de ce projet. Toute concertation et communication avec les associations sont rejetées d’emblée. Ainsi, l’association GEO-Logis a-t-elle proposé de s’investir dans l’étude et la conception des équipements : elle s’est vue opposer un refus immédiat.

Dans ce cas-là, l’institution ne constitue pas seulement un filtre puissant à l’innovation organisationnelle portée par les acteurs privés, individuels ou collectifs. Les projets qu’elle propose de mettre en place n’exploitent ni les possibilités du site, ni celles du territoire au sein duquel il s’insère, ni les dynamiques des acteurs locaux. Tous les stéréotypes du lieu-projet rural sont réunis et se doublent des conflits et lenteurs institutionnelles locales. L’institution confisque véritablement le lieu et les possibilités d’une action privée.

Ce type de dynamique est préjudiciable à la mise en œuvre d’innovations territoriales. La co-existence de projets similaires mais non associés n’est pas rare. C’est le cas à Valflaunès, où cohabitent l’association GEO-Logis et le projet CIGAL et un projet de musée municipal d’archéologie, sans qu’aucun projet commun ne soit envisageable du côté de la municipalité. De la même manière, les Journées archéologiques de Valflaunès organisées chaque année associent nombre de partenaires institutionnels et associatifs, mais pas l’association GEO-Logis. Enfin, les projets alternatifs et/ou dérangeants - le plus souvent lorsqu’ils ne sont pas soutenus par des personnes originaires des communes - restent dans l’anonymat et doivent se contenter de leur seule démarche de promotion personnelle. La synergie des forces, et la valorisation des ressources locales par l’entretien d’un réseau de relations de proximité semblent ici compromises. La force individuelle des projets s’annule ainsi par l’absence de concertation, et la prédominance du pouvoir des institutions.

De la même façon, des projets territoriaux institutionnels portés par les communes minoritaires au sein des territoires sont enterrés. Les projets soutenus et défendus sont ceux qui concernent les communes les plus importantes. Ainsi la Commune de Ferrières-les-Verrerie a confié le Domaine de Baume à la C.C. de l’Hortus faute de fonds suffisants pour la gérer. Les communes du Rouet et de Mas de Londres, réunies dans la Communauté des Communes des Deux Pics jusqu’en 1999, souhaitaient développer un projet-lieu, « Eole », sur les terres départementales jouxtant le Centre de Vol à Voile359. Le Conseil Général a refusé toute aide financière à la C.C. parce que celle-ci refusait son intégration au sein de la plus vaste Communauté des Communes Séranne Pic St Loup360. Le projet n’a ainsi pas dépassé le stade de l’ébauche.

Ces projets - privés ou publics - que l’institution ne soutient pas et qui ne verront ainsi sans doute jamais le jour n’en existent pas moins, et constituent des innovations. Leur diversité révèle pour le moins l’existence d’une réelle dynamique d’acteurs au sein des territoires nord-montpelliérains.

3-3 La création d’un territoire : le projet de Pays Pic St Loup-Haute Vallée de l’Hérault.


L’activité territoriale prend une forme toute particulière dans le projet de territoire, qui vise à la création d’une nouvelle forme institutionnelle de territoire. La démarche, en cours de constitution, de mise en place d’un Pays dans le cadre de la LOADDT 1999, mérite une attention particulière dans le cadre de cette étude à plusieurs titres.

Le Pays constitue en premier lieu une innovation institutionnelle à l’échelle française, qui entend réguler l’ensemble des dynamiques intercommunales complémentaires et contradictoires en œuvre dans les territoires. Le Pays connaît, contrairement à l’ensemble des autres structures intercommunales, une reconnaissance institutionnelle importante. Il constitue, pour les communes engagées dans ce type de projet, un atout considérable dans les négociations des Contrats régionaux, la demande de subventions européennes, etc.

La mise en place d’un Pays Pic St Loup Haute Vallée de l'Hérault constituerait en outre une démarche pionnière pour le département de l’Hérault, ainsi que plus généralement pour le Sud-est de la France. L’analyse des processus de cette construction territoriale est à ce titre particulièrement intéressante.

Enfin, il constitue une innovation dans les modalités mêmes de sa mise en place, qui, comme pour la création d’un label ou l’organisation d’événements/lieux territoriaux, participent à la construction d’une image définie et valorisée des territoires locaux. Dans ce cas précis, le projet s’appuie sur une utilisation/valorisation de la situation périphérique des communes concernées pour fonder la spécificité de cette image.


3-3-1 La création d’une identité territoriale.


Les démarches intercommunales existent depuis plus d’une dizaine d’années dans les communes qui nous concernent. Celles-ci sont toutes impliquées dans différentes structures intercommunales, et tout au moins dans des Communautés de Communes : la C.C. Pic St Loup pour les communes du canton de St Martin de Londres, la C.C. de l’Hortus pour celles du canton de Claret. Ces communes appartiennent aussi au Pays d’Accueil « Pic St Loup - Haute Vallée de l’Hérault », ainsi qu’à différents SIVOM361.

Trois raisons participent de la volonté de créer un Pays « Pic St Loup - Haute Vallée de l’Hérault », conformément à la loi Chevènement de 1999362 : celle de soutenir et d’amplifier la dynamique économique locale, celle de promouvoir la renommée du territoire, celle enfin de représenter un interlocuteur cohérent et fort dans les négociations départementales et régionales. La loi Pays est fortement valorisée : elle permet véritablement de « s’asseoir à la table de la région363 ». Le Pays constitue en cela bien plus que le Pacte Territorial de Croissance, pacte régional élaborant un « projet de territoire » pour le Pic St Loup, dans le cadre du Schéma Régional d’Aménagement du Territoire364. Celui-ci, comme les Chartes, ne constitue qu’un document d’intention, et les subventions de la région n’en sont pas forcément plus élevées.

Ensuite, la recherche de subventions européennes, nationales, régionales, départementales, est facilitée si elle est portée par un territoire institutionnel au projet de développement économique cohérent.

Enfin, ce projet s’inscrit dans une démarche de différenciation d’avec les territoires de l’agglomération montpelliéraine. L’enjeu est de taille à plusieurs titres : la constitution du périmètre de la Communauté d’Agglomération de Montpellier est toute récente. Sa validation par le Préfet a primé sur la validation du périmètre du Pays. La « menace » montpelliéraine n’est d’ailleurs pas seulement virtuelle : dans les premiers périmètres proposés pour l’agglomération, seule la commune de Rouet n’était pas insérée comme partie prenante du projet montpelliérain.

Le projet de territoire s’inscrit ainsi fortement dans une volonté d’institutionnalisation d’un territoire présenté ou reconnu comme cohérent. Le Pays souhaite ainsi représenter un outil d’accompagnement et de soutien au développement local : sa capacité à créer autour de son nom une réputation, voire une identité forte pour le territoire prime ici sur ses réelles compétences politiques et économiques.

3-3-2 Une volonté de différenciation vis-à-vis de Montpellier. La nécessité de participer à ses dynamiques.


« L’Association du Pays Pic St Loup Haute Vallée de l'Hérault » est en charge de la constitution et de la défense du projet de territoire. Née de la fusion de trois associations365, elle a pour objectif de « promouvoir et de contribuer à l'aménagement et au développement du Pays Pic St Loup - Haute Vallée de l'Hérault dont l'assiette territoriale est définie à l'article 4 et de préfigurer à la mise en place d'un Pays, tel que défini par la Loi n°99-533 du 25 juin 1999, portant modification de la Loi n°95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement du territoire366. »

Dans le cadre de cette « mission d'intérêt général propre à tirer le meilleur parti des initiatives et des expériences du territoire à travers ses acteurs (industriels, marchands ou associatifs), l'association pourra exercer toute action d'information et de formation entrant dans son objet. »

Le champ d’intervention de l’association s’étend sur un territoire défini sur la base des périmètres des deux Chartes intercommunales CODEPIC et Haute Vallée de l’Hérault et du Pays d’Accueil367. La carte présentée page suivante localise les communes impliquées dans le projet.

L'association a été constituée « pour une durée qui expirera le 31 décembre 2001 ». La durée de l’association a été cependant prorogée en raison des retards successifs concernant les procédures.

Sa mission consiste à mettre en place les divers dossiers menant à la constitution du Pays, tout autant qu’à diffuser des informations concernant l’état d’avancement de la procédure. Elle a également en charge la constitution des dossiers de subventions et parmi eux les dossiers Leader et aujourd’hui Leader +, pour l’obtention de subventions européennes.

L’analyse des discours des porteurs de projet et des documents officiels nous permet de saisir au mieux les motivations de ce projet, ainsi que son caractère innovant. Pour les agents de développement local travaillant à la constitution du Pays, le projet de territoire intervient comme une nécessité, pour poursuivre la dynamique de développement local. Le statut d’espace périphérique, « périurbain », de « villages-dortoirs » est parfaitement perçu par les municipalités, ainsi que la pression urbaine, qu’ils ont à réguler au quotidien. Ils saisissent aussi l’ambiguïté de leur situation.



« Ça a d’abord été les Matelles, St Gély, maintenant c’est nous, ils ont dit dans le Midi Libre qu’on prévoyait 60 % de croissance dans les dix ans sur le canton de St Martin. Si on ne fait rien, quelqu’un s’en occupera pour nous. » (Le maire du Rouet)
« C’est eux qui nous font vivre, mais il ne faudrait pas qu’ils nous bouffent ! » (Un animateur territorial)

« Ils » représente la menace de l’urbanisation totale, et du phagocytage des communes par l’agglomération montpelliéraine. La dynamique économique, fondée principalement sur le tourisme, et la production de produits agricoles ou artisanaux, est toute dépendante de la proximité de l’agglomération et de l’important marché de consommateurs qu’elle représente. Cependant, une utilisation optimale de Montpellier comme moteur du développement local n’est possible qu’à la condition de préserver la mainmise sur la gestion des territoires.

L’intention de constituer un Pays intervient ainsi comme une lutte contre la fusion dans les dynamiques montpelliéraines. Elle vise aussi à utiliser ces dynamiques pour asseoir un projet de développement économique.

Le Pays se construit ainsi contre Montpellier, mais avec ses habitants, et les ressources qu’offre la proximité de l'agglomération. L’enjeu est de parvenir à fonder une identité, c'est-à-dire de valoriser la spécificité/différence territoriale.

Les processus de constitution concentrent toutes les tensions, et engagent acteurs locaux et extra-locaux. Ci-après, un schéma résume les différentes étapes de la constitution d’un Pays. Le périmètre368 du Pays qui concerne cette étude vient à peine d’être validé par le préfet de région, après plusieurs reports de décision, dûs à la primauté de la Communauté d’Agglomération sur le Pays.

Figure . Les étapes de la constitution du Pays.


La constitution de la charte - rédigée sur le même mode que les Chartes Intercommunales - constitue quant à elle l’étape de la mise en place et de la proposition du projet de territoire. C’est là que des innovations sont susceptibles d’émerger, relativement au contenu de ces propositions, et aux modalités de leur expression. En effet, la rédaction de la Charte nécessite la participation de la société locale, constitutive à 25 % du Conseil de Développement. À ce niveau de la procédure, les initiatives des acteurs locaux ont à être réévaluées au regard d’un projet territorial global.

3-3-2 Le Pays Pic St-Loup-Haute Vallée de l’Hérault : une petite innovation officielle.


Le contenu de la Charte en prévision, ainsi que les modalités de sa constitution, loin de révéler des idées et démarches innovantes, montrent une certaine forme d’immobilisme, et semblent même pouvoir constituer un frein à l’ensemble des innovations développées localement, allant ainsi à l’encontre de la fonction initiale du Pays. Se pose ici le double problème de l’institutionnalisation de l’innovation et de la possible existence d’une innovation institutionnelle.

_ La non-participation de la société locale

La loi LOADDT de 1995 modifiée en 1999 et 2000 se veut donner un rôle accru à la société locale. Dès la phase de détermination du périmètre d’étude, les collectivités et groupements engagés dans une démarche de pays doivent créer un conseil de développement. Celui-ci doit être associé à l'élaboration des chartes et à l’évaluation des actions conduites au sein du pays, ce qui lui confère un rôle actif dans la démarche. Librement organisé et sans statut prédéfini, il a pour vocation de constituer un « lieu de propositions et d'initiatives369 » afin d’exercer une fonction de mobilisation de la société locale et, le cas échéant, de relais d’information auprès des populations.

La création des conseils de développement est ainsi une innovation essentielle de la LOADDT qui vise au « renforcement de la concertation locale et de la participation des représentants de la société civile aux choix d'aménagement et de développement du territoire370 ». Ils doivent par conséquent être composés de membres qui reflètent la diversité des activités économiques, sociales, culturelles, associatives présentes sur le territoire. Le choix des membres doit se justifier « au vu de leur action au sein du territoire, de leur représentativité locale ou de leur affiliation à des fédérations reconnues au niveau régional ou national ». À cet effet, il est « souhaitable que la mise en place de ces conseils fasse l’objet de larges réunions d’information associant les organismes ou personnes potentiellement intéressés ».

La composition de ces conseils relève, au moment de leur création, de l’initiative des communes ou des groupements à l’origine du projet de pays. Une grande latitude leur est laissée pour prendre en compte la diversité des contextes locaux et établir la liste des personnes physiques et/ou des personnes morales formant la composition initiale du conseil. Cependant, afin de respecter l’esprit de la loi, il importe que la présence éventuelle d’élus au sein du conseil de développement demeure minoritaire, et que son président émane des activités socio-économiques, culturelles ou associatives.

Dans le cas du Pays Pic St Loup-Haute Vallée de l’Hérault, le rôle des acteurs de la société locale a été jusqu’ici quasi nul.

Le montage des dossiers administratifs préalables à la reconnaissance du périmètre, ainsi que celui des dossiers Leader + - censés refléter une démarche de concertation avec la société locale également - représentent une tâche lourde pour les agents de développement local employés par l’Association. La complexité de la démarche et le manque de temps ont quasiment exclu la concertation de ce début de projet de territoire. Il est en effet difficile d’organiser un calendrier fixe : les dates clés de la procédure sont fixées en fonction des décisions régionales et des dates de la réunion de la Commission de la Préfecture, qui valide les différentes étapes de la constitution.

Le dossier a ainsi été monté dans l’urgence, et la charte en préparation l’est de la même façon. La nécessaire concertation avec le conseil de développement s’opérera à partir d’un document déjà finalisé par les agents de l’Association.

Celle-ci a pris toutefois l’initiative de mettre en place un site Web d’informations locales relatives au projet de Pays371. Cette initiative montre la volonté de communiquer avec la société locale, de l’informer des démarches en cours, voire de solliciter son avis. Le site est cependant incomplet, et n’a pas connu de modifications depuis un temps relativement long372. Le faible nombre de personnes employées à temps plein dans le projet de territoire (4 personnes) est à incriminer en partie. Celles-ci parent au plus pressé et sont contraintes de négliger les tâches demandant un engagement plus long et complexe.

Ainsi la société locale, censée pleinement participer, non seulement au fonctionnement du Pays, mais aussi aux processus de sa mise en place, est-elle pour le moment laissée de côté. Manque de temps et de moyens ralentissent ainsi les processus de mise en place du Pays, et réduisent à néant son caractère innovateur principal : la participation de la société locale. Le Pays peine ainsi à se positionner comme une innovation institutionnelle supportant/amplifiant/validant les dynamiques de l’innovation organisationnelle portées par des acteurs privés.

_ L’incompatibilité entre innovation et recherche de subventions.

Le projet de territoire rédigé dans le cadre de la constitution du Pays est explicitement axé sur la valorisation de la situation périphérique des communes, tout autant que sur leurs ressources locales. Ces ressources mises en avant, plus que les ressources humaines et culturelles, sont les produits agricoles et artisanaux et le potentiel touristique des territoires.

Le contenu de la Charte est ainsi clairement orienté vers la recherche de subventions, tant par les agents territoriaux départementaux qui aident à sa rédaction, que par les formulations des subventions européennes ou nationales. Ainsi le diagnostic territorial opéré dans le cadre du projet ne s’inscrit-il pas dans une démarche de valorisation des ressources locales et des initiatives des acteurs. Il effectue plutôt un travail d’adaptation aux exigences et/ou conseils des organismes délivrant des subventions. Les NTIC373, particulièrement valorisées actuellement, constituent le fil conducteur de la plupart des projets, et notamment des projets Leader +.

Plus généralement, cette exigence réduit les projets à la valorisation et à la promotion des initiatives touristiques, ainsi que des activités de « terroir ». Cette primauté des TTT374 limite considérablement l’invention de pratiques alternatives, et amoindrit l’identité culturelle des territoires.

La définition des critères prévalant à l’obtention de subventions a certes été établie à partir d’une réflexion importante en matière de développement rural et local. La mise en valeur d’un lien fort entre le territoire et ses spécificités, et les activités développées, a été reconnue comme une innovation en manière de développement économique. Elle guide aujourd’hui la majorité des initiatives publiques et privées.

Cependant, l’institutionnalisation de ces dynamiques locales tend à figer les territoires dans un nombre réduit d’activités. Nombre d’initiatives sont ainsi enterrées, qui visent à créer une dynamique proprement locale. La fonction complémentaire/supplémentaire de l’institution est invalidée : l’innovation institutionnelle ne s’inscrit plus comme l’instrument privilégié de la valorisation des initiatives des acteurs locaux.

En outre, la dynamique économique créée par le biais du développement des activités de production et d’accueil ne parvient pas à initier une dynamique culturelle et sociale locale. Elle est principalement tournée vers un public de consommateurs extérieurs au territoire. Le territoire semble n’être constitué que pour être visité et non habité.

Ainsi l’apparente innovation que peut constituer le Pays est-elle à réévaluer à l’aune des conditions de sa mise en place, ainsi qu’à celle d’une norme à l’innovation imposée par les discours officiels sur le développement local.



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