- Towards a History of "Biomedicine": The Post-war Realignment of Biology and Clinical Medicine. (CRSH).
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Description de projets de recherche
DE NOUVEAUX ACTEURS INTERNATIONAUX : LES ORGANISATIONS HUMANITAIRES ET SPORTIVES DANS LES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES, 1919-1925 Andrew BARROS
Dans le champ de l'histoire des relations internationales, les chercheurs ont commencé depuis peu à s'intéresser aux organisations non gouvernementales (ONG), en partie à cause de leur importance grandissante dans le processus politique, d'où le besoin de comprendre les conditions de leur émergence en tant qu'acteurs clés dans le système des relations internationales.
À l'exception de quelques incidents, comme les Jeux Olympiques de Munich de 1936 ou ceux de Moscou en 1980, peu d'organisations et d'institutions furent l'objet d'une analyse historique sérieuse, en particulier pour le vingtième siècle, quand elles ont commencé à avoir un impact réel sur les relations internationales. Moins nombreuses encore sont les études sur la période de l'entre-deux-guerres, alors que ce type d'organisation fit son entrée de façon notable dans les jeux de la diplomatie entre grandes puissances.
Notre étude se propose d'analyser le rôle de deux types d'organisations, dans le domaine des sports (le Comité international olympique ou C.I.O.) et le domaine humanitaire (la Croix-Rouge), dans le contexte plus particulier des relations franco-allemandes après la Première Guerre mondiale. Comme la plupart des études dans ce domaine ne sont que les histoires des institutions et délaissent presque entièrement la question de leur rôle, de leur importance telle que perçue par les États et de leur utilité du point de vue des différents gouvernements, nous proposons de nous attarder sur ces questions délaissées. Le processus par lequel ces organisations en vinrent à occuper une place importante dans les relations internationales ne peut être compris que par un examen du rôle des différents États dans l'acceptation de ces institutions et de leurs tentatives de les manipuler à leurs propres fins, ce qui fit en sorte de promouvoir leur rôle en tant qu'acteurs internationaux.
Nous proposons d'analyser le rôle des sports internationaux, en particulier les Jeux Olympiques de Paris de 1924, et de la Croix-Rouge dans la politique étrangère française, plus particulièrement en ce qui concerne les relations franco-allemandes. Après la Première Guerre mondiale, la France a mené une politique visant à isoler l 'Allemagne en interdisant la participation de ses athlètes aux Jeux de Paris et en opposant son veto à l'entrée de ce pays dans la Croix-Rouge. Dans les deux cas, les organisations humanitaires et sportives sont devenues des atouts importants dans une politique française de limitation de l'intégration de l'Allemagne au sein des organisations internationales en temps de paix et de refus d'accorder au pays vaincu le prestige et les chances de normalisation que sa participation à de tels forums pourrait apporter. Les craintes françaises ont fait en sorte d'accroître l'importance et de rehausser l'image des Jeux Olympiques et de la Croix-Rouge. Un autre aspect central de ce problème réside dans l'importance croissante du prestige national que peut représenter le sport auprès du public. Cette question a pris des proportions gigantesques douze ans plus tard aux Jeux Olympiques de Berlin, mais on peut déjà noter la croissance de l'intérêt populaire pour la compétition et les idéaux olympiques après la Grande Guerre. Pour la France, l'enjeu n'était pas seulement de nier à l'Allemagne une place dans le système international et le prestige qui y était rattaché, mais aussi de rehausser son propre prestige aux yeux du monde en éliminant un compétiteur important dont la puissance ne pouvait qu'être accrue par sa participation à une compétition et à une expérience internationales. Tout comme la politique française de bloquer l'entrée de l'Allemagne à la Société des Nations, ces efforts d’isolement ont provoqué des frictions entre la France et ses anciens alliés, en particulier la Grande-Bretagne qui menait à l'endroit de son ancien ennemi une politique de normalisation. Donc, la politisation des organisations sportives et humanitaires internationales n'était devenue que trop évidente, de même que l'intérêt qu'elles suscitaient.
Nos recherches antérieures ont démontré l'importance du sport dans les évaluations françaises du militarisme et du potentiel militaire allemand et les préoccupations à l'endroit d'un contraste perçu entre une Allemagne dotée d'une population vigoureuse et active et une France dont la population semblait plus sédentaire et par conséquent, plus difficile à mobiliser. L'examen des documents du service de renseignement français et du Ministère des Affaires étrangères, révèle la profondeur des craintes à l'endroit de ce qui était perçu comme l'enthousiasme de la population allemande pour les activités sportives et les efforts fructueux de promotion des sports par le gouvernement allemand afin de maintenir sa population alerte et de lui inculquer une forte dose de nationalisme. Cette perception est déjà bien établie en 1920, plusieurs années avant l'apparition de Hitler en politique et plus longtemps encore avant sa prise du pouvoir en Allemagne. Ainsi, le sport a joué un rôle essentiel dans la façon dont la France a perçu l'Allemagne, dont elle a perçu ses propres faiblesses internes, et dont elle a mené sa politique envers l'Allemagne.
Durant la guerre, le discours officiel du gouvernement français de se battre pour des idéaux humanitaires et démocratiques, qui avait pour but de mobiliser la nation, de cimenter son alliance et de distinguer les Alliés de leurs adversaires, a fini par créer des précédents dans ses relations avec des organisations humanitaires comme la Croix-Rouge, une fois la guerre terminée. En associant sa politique à des idéaux humanitaires et démocratiques, la France a intégré à sa politique étrangère de telles organisations. L'importance de ce lien tenait non seulement du besoin de ne pas décevoir l'opinion publique, mais aussi des propres efforts du gouvernement qui a commencé à percevoir la participation à des organisations telles la Croix-Rouge comme une confirmation de l'intégrité de la politique française et de la position de la France dans le système international.
Nos hypothèses de recherche résident dans l'étude des relations entre le gouvernement français et ces organisations en tant qu'exemple d'un processus créé par un changement dans la définition de ce que peut constituer l'intérêt national. La seule méthode permettant de comprendre les implications profondes de ce changement passe par une analyse exhaustive des documents d'archives. Nous envisageons de comparer l'évolution de l'approche française par rapport à ces organisations, et sa politique d'isolement de l'Allemagne, à celle menée par la Grande-Bretagne qui participait aux organisations tout en cherchant à intégrer l'Allemagne au système international. Nous croyons que cette approche nous permettra de comprendre comment des États différents ont perçu ces organisations non gouvernementales comme faisant partie intégrante de leur propre sphère d'intérêts. Ainsi, notre approche permettra de mieux comprendre l'importance de l'opinion publique et la façon dont elle réussit à mettre de la pression sur les gouvernements pour qu'ils participent à ces organisations, chose qu'ils ne sont pas toujours portés à faire, en plus de bien saisir le processus par lequel les vues changeantes des gouvernements finit par influencer le développement des ONG. L'historiographie du sport et des relations internationales a fait très peu de cas des ressources archivistiques disponibles et on compte encore moins de recherches sur les décisions des grandes puissances. De même, peu de recherches ont été effectuées en archives, françaises ou britanniques, sur la politique de ces pays à l'endroit de la Croix-Rouge et d'autres organisations humanitaires. Même s'il y a des études ponctuelles sur des incidents très circonscrits, il n'y a pas encore d'analyse du rôle joué par les organisations dans le système international, en particulier à travers le prisme des relations Londres-Paris-Berlin.
Dans ce projet, nous comptons beaucoup sur l’aide d’une étudiante à la maîtrise, Christine Fillion, qui a débuté la recherche de son mémoire portant sur L’image de l’Allemagne dans la presse française, 1933-1939 : le cas de l’Oeuvre et du Figaro. Étant donné l’importance des reportages de la presse française sur les Olympiques et sur la Croix-Rouge, pour comprendre l’influence croissante de ces organisations dans le débat public sur la politique à suivre envers l’Allemagne, elle va apporter une importante contribution à ce projet.
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L’ÉPIDÉMIE D’INFLUENZA DE 1918-1919 ET L’ASSISTANCE SOCIALE À MONTRÉAL
Magda FAHRNI
À la fin de la Grande Guerre, les citoyens du Québec et du Canada doivent affronter un nouvel ennemi : l’épidémie d’influenza de 1918-1919 (la « grippe espagnole »). En six mois, celle-ci tue presque autant de Canadiens que la guerre qui l’a précédée – près de 50 000. Elle met à l’épreuve les mesures de santé et de bien-être existantes, et elle provoque un débat public sur les services sociaux auxquels ont droit les citoyens.
Mon objectif est de l’étudier afin de mieux comprendre les liens entre la santé, le bien-être, et la vie quotidienne à Montréal au début du vingtième siècle. Je m’intéresse à trois grandes questions, chacune portant sur la formation de l’État. D’abord, au niveau local, l’épidémie a-t-elle provoqué la mise en place de nouvelles mesures de santé et de bien-être ? Ensuite, comment la situer, avec ses conséquences, dans le contexte de la fin de la Première Guerre mondiale, en tenant compte des politiques de reconstruction ? Enfin, qu’est-ce que l’épidémie nous révèle à propos des rapports entre l’État et les familles montréalaises au début du vingtième siècle ?
L’épidémie de 1918-1919 était en fait une pandémie, avec des conséquences majeures autour du monde. Au pays, elle constituait sans aucun doute la crise médicale la plus meurtrière du vingtième siècle. Au Québec même, elle a fait plus de 530 000 victimes, dont 14 000 morts, soit plus que dans n’importe quelle autre province. Néanmoins, elle a été très peu explorée par les historiens, et il n’existe aucune étude de son déroulement à Montréal. Le cas de Montréal est important, il me semble, car la ville avait déjà subi d’importantes épidémies de variole dans les décennies précédentes. En raison de cette expérience antérieure, il serait donc intéressant de voir si les autorités municipales étaient mieux préparées à gérer l’épidémie de 1918-1919. En outre, nous n’avons jusqu’ici ni étude qui examine les rapports entre l’épidémie et les mesures de reconstruction d’après-guerre, ni ouvrage qui explore les rapports entre l’épidémie et l’histoire des familles. Je tenterai de combler ces lacunes en enracinant l’épidémie dans le contexte de la guerre et de son lendemain, et dans le contexte de l’intervention croissante de l’État dans les domaines de la santé et la vie familiale.
Afin de mieux saisir les liens entre l’épidémie de 1918-1919 et les mesures de santé et d’assistance sociale mises en place dans l’après-guerre, j’aimerais me pencher sur les deux problématiques suivantes.
D’abord, dans quelle mesure cet épisode nous permet-il de voir la collaboration entre l’État et le secteur « privé » ? Il s’agit non seulement d’organismes privés de bienfaisance et de communautés religieuses, mais aussi de grandes entreprises commerciales ayant embauché des infirmières ou employé des bénévoles pour soulager la misère des malades. Dans le cadre de cette recherche, je tiendrai compte du vaste corpus historiographique qui traite de la formation de l’État au début du vingtième siècle. C’est une question d’importance pour le Québec du début 20e siècle, où une partie considérable de la main-d’œuvre médicale était fournie par les religieuses. D’ailleurs, cela contribue à faire la lumière sur une question méthodologique : comment en savoir davantage sur les femmes et les familles par le biais d’une crise médicale et politique ? Les femmes nous apparaissent comme des victimes de l’épidémie, mais aussi comme des personnes qui soignaient les malades, en tant qu’infirmières, bénévoles, mères, épouses, filles ou voisines.
Par ailleurs, j’examinerai en quoi les expériences antérieures des grandes épidémies à Montréal ont préparé la ville à celle de 1918-1919. Qu’est-ce que les médecins et les spécialistes de la santé publique en ont appris ? Et les autorités provinciales et municipales ? Qu’ont appris les familles à propos de l’expérience de la coercition et des contrôles publics pendant ces autres épidémies et durant la guerre ? On sait que de grands problèmes de tuberculose et de mortalité infantile existaient à Montréal à l’époque, et qu’on y cherchait des solutions. Quels étaient donc les liens entre ces divers efforts pour assainir la ville et ses citadins?
Mon hypothèse principale est que l’ampleur de l’épidémie d’influenza de 1918-1919 a provoqué l’intervention de l’État dans le domaine de la santé, tant au niveau provincial qu’au niveau fédéral. À Ottawa, on a mis en place un département de la santé fédéral en 1919. L’année suivante, on a établi le Conseil canadien de bien-être des enfants. Au Québec, la Loi de l’Assistance publique a été adoptée en 1921 : j’examinerai si elle n’était pas, en partie, une conséquence de l’épidémie de 1918-1919. De plus, un nouveau Service provincial d’hygiène a pris le relais de l’ancien Conseil d’hygiène de la Province de Québec en 1922. En gros, il s’agissait d’un climat propice à la mise en place des mesures d’hygiène et de santé publique. On voyait en même temps d’autres mesures parallèles : la pasteurisation du lait; la filtration de l’eau de consommation; le dépistage et des cliniques de prévention pour la tuberculose et les maladies vénériennes. De plus, la Grande Guerre a joué un rôle important en mettant en évidence le mauvais état de santé des recrues potentielles. Je dirais, en effet, que l’intervention de l’État dans le domaine de la santé publique était partie intégrante de la politique de reconstruction d’après-guerre.
Ce projet ne concerne pas uniquement l’histoire de la politique sociale; il traitera également d’aspects de l’histoire sociale, de l’histoire de la famille, et de l’histoire des femmes. Une autre hypothèse de base est que les médecins, les infirmières et les bénévoles se sont rendu compte, en soignant les citadins de Montréal durant l’épidémie, de l’étendue de la pauvreté parmi les familles montréalaises. L’épidémie aurait donc eu pour conséquence de provoquer la réclamation de meilleurs salaires et de meilleures mesures d’assistance sociale (telles que des allocations aux mères nécessiteuses).
J’entrevois un élargissement du projet afin de traiter d’autres questions. Qu’est-ce que cette épidémie peut nous révéler sur la vie familiale à Montréal ? En créant des veuves, des veufs, des orphelins, et des orphelines, l’épidémie avait de graves implications pour la structure (d’âge et de genre) des familles québécoises. Que faisaient les familles qui ont perdu la mère, le père ou plusieurs enfants pendant l’épidémie ? Les membres de la famille se soignaient-ils ? J’aimerais aussi étudier l’épidémie dans le contexte urbain. Comment se situait-elle dans le cadre plus large des efforts pour assainir la ville et pour réorganiser l’espace public, vu les grands problèmes de santé publique qui existaient à Montréal à l’époque ?
À long terme, j’aimerais que ce projet aboutisse à une monographie comparative sur l’épidémie d’influenza et les mesures de santé et de bien-être au Québec et en Ontario. L’an dernier, dans une recherche post-doctorale, j’ai abordé le volet Ontario en choisissant, comme étude de cas, le comté de Waterloo. Par ailleurs, l’intérêt de ce projet dépasse le cadre universitaire. À l’aube du 21e siècle, dans le contexte des débats sur la viabilité de notre système public de santé et sur la gestion des épidémies (de maladies anciennes et nouvelles), l’exploration de l’expérience des épidémies dans le passé nous est fort nécessaire.
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