404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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départements de la Haute-Marne, de la Haute-Saône, des Vosges et du Haut-Rhin (Caujolle, 1972). Elle se différencie des autres communautés francophones des Amériques par le fait que les colons n'avaient aucun lien avec les régions du nord-ouest de la France qui ont alimenté la migration française vers le Canada, la Louisiane et les Antilles aux XVII- et XVIlle siècles. Nous avons pu obtenir une documentation fiable pour deux autres isolats francophones des États-Unis: la région de Old Mines, Missouri (Thogmartin, 1979; Thomas, 1980) et le quartier du Carénage, à Saint-Thomas, dans les iles Vierges amé­ricaines (Highfield, 1979).

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3° la réduction du système pronominal par l'élimination des distinctions de cas (complément d'objet direct vs complément d'objet indirect, p. ex), de la distinction entre formes toniques et formes atones et de certaines distinctions de personnes (tu vs vous);

4° l'emploi de la parataxe au lieu d'un système de pronoms relatifs différenciés pour indiquer les diverses fonctions syntaxiques.



C'est la présence de ces traits qui a poussé de nombreux auteurs à appliquer les termes de pidginisation ou de créolisation aux parlers verna­culaires français d'Amérique, y compris le joual. A notre sens, il s'agit là d'un emploi abusif de termes qui se réfèrent à des caractéristiques linguis­tiques et sociolinguistiques précises. Nous préférons interpréter ces tendances simplificatrices apparentes comme les manifestations de l'étiolement linguisti­que (Dorian, 1981)'=5. Par ailleurs, elles pourraient également avoir leur source dans le contact entre divers dialectes oil qui aurait abouti à la for­mation d'une koinê populaire commune largement diffusée dans les anciennes colonies françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles (Dulong, 1970; Hull, 1974; Valdman, 1980). Dans le dernier de ces ouvrages, nous avons fait un rap­prochement entre ces simplifications apparentes et la structure du français populaire. Comme nous ferons mention ci-dessous de la simplification du verbe en cadjin, nous nous contentons de laisser parler l'un des pionniers de la description du FP, H. Bauche (1929):

« En somme dans bien des cas, la flexion ayant disparu du langage parlé, le pronom seul indique, à l'ouïe, la personne. 1 est donc possible qu'un jour, dans le français parlé, si on le laisse évoluer librement et s'écarter du français traditionnel écrit, la flexion terminale soit plus ou moins complètement remplacée par un préfixe ou une préfixation qui ne serait que le pronom, plus ou moins élidé et faisant corps avec le verbe. »

Les parlers vernaculaires du français d'Amérique, ou du moins ceux de la Louisiane, constituent-ils des variétés régionales? Selon les critères invoqués par les spécialistes (cf. 3.1 supra), ces parlers, pour mériter cette désignation, ne devraient s'écarter du FS que par un nombre réduit de marques phono­logiques et lexicales. D'après les descriptions, toutefois assez partielles que nous en avons, le cadjin montre de nombreux écarts syntaxiques par rapport au FS. Par exemple, le système des formes verbales est considé­rablement appauvri (cf. ci-dessous). On serait donc tenté de le classer parmi les patois d'où puisqu'il répond assez bien à la définition qu'en donne Ch. Bruneau (1913):

« [... ] langue d'un groupe social restreint, imposé par le groupe, avec une pro­nonciation, un système de formes, une syntaxe et un vocabulaire déterminés. »



Par ailleurs au plan sociolinguistique il en assume aussi les fonctions, notamment celle de code pour les situations privées; par exemple, Larouche (1979) note que le cadjin s'emploie toujours entre amis mais que les locuteurs

25. Nous préférons le terme étiolement à celui, plus morbide, de language death retenu par Dorian.

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passent à l'anglais pour parler au microphone lors d'une manifestation publique indépendamment du nombre de participants anglophones.

Mais les observateurs de souche cadjine s'accordent pour minimiser les différences entre leurs parlers et le FS. Ainsi Calais (cité par Phillips, 1979) et J. D. Faulk (1977) soulignent-ils l'intercompréhension entre le FS et les parlers cadjins, et entre les diverses variétés cadjines elles-mêmes. Faulk précise que les différences ne portent que sur la prononciation et le voca­bulaire tandis que Calais note les marques phonologiques [wo] pour [wa], moi, toi, etc., et [ï] pour [é], main, pain, vin, etc., dans le parler de la paroisse Vermillon et [h] pour ['z], jamais, déjà, manger, etc., dans celui de la paroisse de Lafourche. Pour ce dernier auteur, le cadjin ressemble au français en usage dans les milieux ruraux du nord et de l'ouest de l'Hexagone, c'est­à-dire qu'il constituerait une variété dialectale plutôt que régionale.

Examinons un aspect central de la grammaire du cadjin, l'indicatif pré­sent des verbes, pour juger du bien-fondé du sentiment linguistique des lin­guistes cadjins. Les documents que nous avons pu examiner sur les parlers

des paroisses d'Évangéline (Phillips, 1936), de Lafourche (Oukada, 1977), de Lafayette (Conwell et Juillard, 1963) et de Vermillon (Faulk, 1977; Abshire-Fontenot et Barry, 1979) font état d'un système de formes remar­quablement homogène d'une zone à une autre. A l'exception de quelques paradigmes irréguliers, les verbes se manifestent sous une forme unique correspondant au radical présent, et pour les verbes à double radical, par exemple partent/pars, finissent/finis, vendenevend, au radical singulier; nous offrons en guise d'illustration les paradigmes pour sauter et étendre:



1 sg.

-s sot

-z etô

2 sg.

ti/ty sot

ti/ty etô

3 sg'

a } sot

a } eti3

1 pl.

ü sot

ô etô

2 pl.

vuzot sot

vuzot etô

3 pl.

sa/i sot

sa/il/ilz etô




Dans les paroisses de Lafourche et de Vermillon on retrouve une variante de la 3 pl. consistant en la désinence -ors [6] affixé au radical présent, et pour les verbes à double radical, au radical pluriel; notons au passage que seul le pronom i(1)(z) s'emploie avec cette forme: i sotd, il etôdô/ilz etôdô.

La place des parlers cadjins parmi les usances et parlures de la franco­phonie et leur unité ou diversité relative sont des questions cruciales dans la perspective de la revitalisation du français en Louisiane. Depuis une décennie, certains groupes locaux entreprennent, avec le soutien de la France, de la Belgique et du Québec, et sous les auspices des instances fédérales (Title VII Bilingual Education Act) et locales (Programme de CODOFIL -Council for the Development of French in Louisiana -de l'État de la Louisiane), une campagne pour rehausser le prestige du français

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et pour le faire revivre (Phillips, 1979; Gold, 1979, 1982). Les efforts de ces groupes se heurtent à un désaccord sur le problème de la norme à retenir pour les programmes pédagogiques.

Le CODOFIL a opté pour le FS. Cette décision s'explique par des fac­teurs pratiques ainsi qu'idéologiques (Gold, 1982). Lorsque fut lancé le programme CODOFIL, qui ne visait rien de moins que l'enseignement du

français dans toutes les écoles primaires de l'État, y compris dans les zones totalement anglophones, la Louisiane disposait d'un nombre insuffisant d'enseignants compétents ayant une pratique courante du FS. Force fut au CODOFIL d'avoir recours aux « brigades internationales », des coopérants français et des maîtres belges et québécois dont le nombre en 1976-77 s'éle­vait à 130, 90 et 30 respectivement (Smith-Thibodeaux,1977). Selon l'ethno­logue canadien G. L. Gold (1982), le mouvement CODOFIL s'appuie sur les classes moyennes urbaines qui ont été les premières à abandonner l'idiome ethnique pour l'anglais. Bien que ses membres possèdent une certaine compétence en français, ils ne s'en servent plus au foyer, leurs enfants ayant été socialisés par l'intermédiaire de la langue dominante. Pour eux, donc, le mouvement actuel représente bel et bien une revitalisation du français. De par leurs intérêts économiques, les classes moyennes perçoivent le renouveau du français dans une perspective instrumentale: le français ouvre une porte sur le monde francophone et, pour citer une pancarte publicitaire du CODOFIL, « c'est de l'argent en poche ». Le choix du FS, perçu comme norme internationale plutôt qu'exogène, et de l'école comme vecteur de la revitalisation, entre tout à fait dans la logique de cette perspective='6.



Pour les Cadjins des classes laborieuses, fermiers et, en particulier, pêcheurs de crevettes, marins, techniciens desservant l'industrie pétro­lière, le français dialectal s'est maintenu comme langue de travail. Gold (1982) déclare que pour ces strates sociales, le cadjin est un parler mâle; les femmes en démontrent une compétence moindre et un usage moins fréquent. Au sein de ces groupes, le français est un instrument de commu­nication encore vivace; à Mamou, situé au centre d'une région productrice de coton, Gold relève une forte proportion de bilingues (52 pour cent) et un nombre appréciable d'unilingues (24 pour cent). Les fermiers et les cols bleus constituent donc le seul secteur véritablement francophone de la région puisque le parler local a conservé une gamme étendue de fonctions: communicative, expressive et intégrative. Par conséquent, ils ne voient guère l'avantage de faire apprendre à leurs enfants une variété de français qui les couperait de leur milieu familial. Par ailleurs, puisque l'anglais n'est

26. Le choix de norme pédagogique se trouve compliqué par l'existence d'une variété créolisée de français, dénommée français nègre (nèg), nèg, Black French, gombo, courri-ufni, etc. Il s'agit d'une variété de langue distincte du cadjin, quoique les deux parlers coexistent et entretiennent une relation de continuum. Le créole louisianais est employé principalement par des Noirs concentrés dans la paroisse de St-Martin. Toutefois, nous avons interviewé des Blancs, pratiquant aussi une variété cadjine, pour lesquels le créole constituait le vernaculaire le plus intime.

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pas toujours la langue utilisée exclusivement au foyer, ils s'attendent à ce que l'école relaie le milieu familial dans son enseignement ou son perfection­nement. Pour eux, l'anglais standard, plutôt que le FS, est l'idiome qui permet l'ouverture sur le monde extérieur.

Comme les départements de français de la Louisiane se sont passable­ment désintéressés du fait linguistique local lorsque M. J. Domengeaux2' lança le mouvement CODOFIL, il ne trouva ni études de base ni infrastructure

pédagogique sur lesquelles asseoir une action massive de revitalisation linguistique. D'autre part, étant donné les préjugés envers les variétés locales de français, tant chez les représentants du groupe anglophone dominant que chez les « Créoles » francophones2", on conçoit qu'au préalable le choix d'une norme pédagogique non standard se serait heurté à une vive résis­tance de la part des notabilités. Il n'en reste pas moins vrai que le renouveau linguistique par le biais de renseignement du FS ne ferait que transformer les Cadjins en « simples consommateurs de la langue française », pour citer J.-P. Makouta-Mboukou (1973). II semble qu'une certaine régionalisation de la nomme pédagogique rendrait plus accessible aux nouvelles généra­tions cadjines le mode de vie et les manières de penser de leurs aïeux.



C'est précisément cette difficile symbiose qu'entreprend actuellement une équipe à la Southwestern Louisiona University de Lafayette (USL). L'équipe USL a préparé un manuel de français cadjin (Abshire-Fontenot et Barry, 1979), destiné à des étudiants ayant suivi le cours élémentaire de FS à rUSL, dans lequel remploi de la graphie traditionnelle s'allie à l'intro­duction de formes et de structures du français dialectal=-9. Par exemple, on y trouve le système verbal illustré ci-dessous, mais représenté convention­nellement; nous opposons les graphies utilisées dans ce manuel aux formes correspondantes de Faulk, qui fit scandale en habillant le parler de Vermillon (en (occurrence presque identique à celui de Abshire-Fontenot, originaire de la même paroisse) dans une soi-disant graphie phonétique:

ils allont eez ah lon

tu as été t'aw â fa

je crois pas sh-krwo paw

Les écarts syntaxiques par rapport au FS sont maintenus:

« Ça plantait juste ça qu'on avait besoin pour vivre. Vous-autres se demande quoi il y a de différent.

Les Cadiens sont quand-même du monde qui aime la terre et les récoltes. »



27. Le fondateur du CODOFIL est un avocat d'affaires de Lafayette, ancien représentant au Congrès fédéral.

28. Le terne de Créole a une large gamme référentielle en Louisiane. Traditionnellement, il s'emploie pour décrire les descendants de l'ancienne élite franco-espagnole de la Nouvelle-Orléans. Les Créoles pratiquaient une variété standard du français que certains

de leurs rejetons ont préservée. Dans les régions cadjines, le terme désigne des personnes de sang mêlé: blanc-noir, blanc-indien ou diverses combinaisons de ces trois souches. 29. Un autre membre de ce groupe, Barry Ancelet, professeur de folklore, a lancé un mouve­ment pour l'emploi littéraire des parlers cadjins.

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En ce qui concerne le vocabulaire, outre les vocables désignant les réalités locales (par ex., gombo), l'ouvrage conserve les formes dialectales doublant des vocables du FS: le char « la voiture », le faiseur de cannes

« un récoltant de canne à sucre », le clos « le pré, le champ », la vacherie « l'élevage de boeufs », haler « tirer ». Parmi les rares vocables dont la graphie représente fidèlement la prononciation l'on retrouve asteur « main­tenant »; pour les autres, le lecteur doit appliquer des règles de correspon­dances, par exemple supprimer les groupes de consonnes composés d'oc­clusives plus liquides: le sucre [syk], vous-autres [CI, il ouvre [il uv]. II reste aux auteurs de démontrer que la norme dialectale qu'ils ont choisie n'est pas trop localisée et que, par un processus de standardisation, elle peut éventuellement coiffer toutes les variétés locales de cadjin.



La bonne conduite de cette entreprise requiert, outre des études des­criptives et comparatives approfondies, une enquête sociolinguistique portant sur les attitudes des divers secteurs de la communauté cadjine envers l'emploi, à des buts pédagogiques, d'une koïnê supradialectale pouvant assumer le rôle de variété régionale de français. D'une part, cette koïnê devrait être libre de tout stigmate, c'est-à-dire qu'elle devrait être perçue comme ne comportant que de faibles écarts par rapport au FS, comme c'est le cas pour les variétés régionales des régions de langue vernaculaire française où l'idiome occupe une position dominante. D'autre part, elle devrait demeurer le symbole de l'identité culturelle de la communauté et conserver sa valeur de langue d'intimité. Les éléments d'information socio­linguistique recueillis par Gold (1982) ainsi qu'un regard sur les autres situations diglottes, telles que celles des langues régionales en France, n'autorisent guère d'envisager ce projet de standardisation avec beaucoup d'optimisme. Néanmoins, il représente une solution de compromis entre le fractionnement de la communauté cadjine en une variété de parlers loca­lisés et le parachutage d'une norme exogène, qui se révélerait incapable de faire vibrer les fibres affectives de la communauté.

4. Conclusion

Au terme de notre tour d'horizon, nous pouvons conclure que le frac­tionnement du français en une multitude de variétés mutuellement intelli­gibles que craignent certains puristes et observateurs de la scène linguistique francophone est bien improbable. Les variétés régionales qui semblent se dégager en Belgique, en Suisse romande et au Québec ne s'éloignent pas plus du FS -norme idéalisée s'appuyant sur le parler de la haute bour­geoisie parisienne - que le parler soutenu des élites des régions excentriques de l'Hexagone. u est important de souligner, toutefois, que ces français régionaux constituent eux aussi des normes, c'est-à-dire des variétés idéa­lisées, avec toutes les conséquences sociopsychologiques qu'entraîne cette idéalisation. Elles sont purgées des écarts syntaxiques et des traits phono-

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logiques et lexicaux trop localisés ou dévalorisés par leurs liens avec le monde rural et avec les masses urbaines. Comment expliquer cette faible divergence des normes régionales en voie de formation par rapport au FS? Nous y voyons l'aboutissement de plusieurs siècles de dominance culturelle du FS. Dans un premier temps, le francien se répandant hors de son aire dialec­tale a détruit les bases culturelles de ses concurrents oil. Cette phase a pris la forme de l'adoption d'une norme extérieure, associée au pouvoir politique et au prestige culturel, par les élites des régions avoisinant l'aire originale du francien. Dans un deuxième temps, et ceci plusieurs siècles plus tard, sa diffusion par l'école et par un réseau de communication plus dense a sapé les assises des parlers maux et de ceux des masses urbaines. Cette expansion en deux temps a conduit au nivellement des parlers qui déno­taient l'appartenance à une localité précise ou à un groupe social particulier et a abouti à la formation d'un éventail de variation continue entre deux pôles antinomiques, le FS et le FP. Non seulement ces deux pôles symbo­lisent-ils l'appartenance à des sous-groupes distincts de la communauté, mais encore coïncident-ils avec des situations d'énonciation distinctes, c'est-à-dire qu'ils marquent des registres et des niveaux de langues diffé­rents. Tel trait caractéristique du parler familier et spontané porte aussi le stigmate qui s'attache à telle strate sociale dans laquelle il se retrouve, soit de manière absolue, soit avec une haute fréquence d'emploi.

Une discontinuité pourrait s'établir entre le FS et une variété locale dans les régions plurilingues où le français sert principalement de langue adminis­trative et scolaire. En Afrique noire, par exemple, sa faible implantation ne permet pas au FS d'assumer la fonction de communication interethnique que ne peuvent assurer, dans certaines régions, les véhiculaires locales. Comme il se transmet de bouche à bouche plutôt que par les canaux formels, le français se répand alors sous une forme pidginisée où les vocables français sont coulés dans le moule d' une syntaxe et d'une sémantique reflétant les langues vernaculaires de ses usagers. Cette forme approximative du fran­çais pourrait se créoliser, c'est-à-dire se fixer sous une forme stabilisée et répondre à tous les besoins langagiers - communicatifs, expressifs et inté­gratifs-d'une communauté si certaines conditions favorables se trouvent réunies; par exemple:

1° l'absence de grandes langues véhiculaires;

2° la formation d'attitudes positives de la part des utilisateurs;

3° la faible diffusion de sa forme normée, FS ou français régional.

Le type de norme qui se dégagera en Afrique noire, FS, français régional ou français dialectal pidginisé ou créolisé se scindant en un code distinct, dépend, en fin de compte, de la politique d'aménagement choisie par les

divers États africains et de l'écologie linguistique des diverses zones. La pidginisation du français peut être prévenue par des actions éducatives efficaces touchant la plupart des enfants scolarisables et des adultes anal­phabètes. Cela ne veut pas dire que les langues locales doivent être bannies


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de l'école au profit du FS. Au contraire, il est fort probable qu'un ensei­gnement de type bilingue, selon lequel le français serait introduit progressi­vement, se révélerait plus efficace. Par ailleurs, plutôt que le FS, la norme retenue pourrait être un français régional teinté aux plans phonologique et lexical de particularismes locaux mais s'alignant, au plan morphosyntaxi­que, sur le FS.

Enfin, quelle sorte de norme devraient choisir ceux qui essaient de faire revivre le français dans les régions où il sert de vernaculaire, du moins pour certains secteurs de la population, mais où il se voit exclu des fonctions administratives et véhiculaires? Avant de répondre à cette question, les plani­ficateurs linguistiques engagés dans cette entreprise doivent résoudre le problème de « fonctionnalité ». Quelles fonctions le français pourrait-il véritablement assumer? Selon nous, les conflits de choix de nomme qui op­posent les divers secteurs de la communauté cadjine tiennent à l'absence de réponses claires à cette question. S'il s'agit de mettre à la disposition des petits Cadjins et Cadjines une deuxième langue véhiculaire relayant l'anglais, le choix d'une forme relativement standard de leur idiome s'impose. Si, au contraire, le but fondamental est de renouer avec les traditions culturelles de leurs aïeux et de leur faire manier un moyen de communication encore en usage dans leur communauté, une variété dialectale est fortement indi­quée. Ces deux objectifs ne sont pas nécessairement incompatibles et peu­vent être reconciliés par une stratégie pédagogique bi-dialectale calquée sur l'enseignement bilingue. L'enfant utiliserait d'abord une variété loca­lisée et serait conduit par étapes successives au maniement d'un français régional, puis du FS dans le cadre d'activités demandant l'emploi de la forme écrite de l'idiome.

En guise de conclusion, nous estimons que la régionalisation du fran­çais par la création de normes marquant la spécificité culturelle des utili­sateurs de la langue commune n'aboutira pas à la construction d'une tour de Babel. Pour que la francophonie se scinde en communautés incapables de communiquer entre elles par la langue commune, il faudrait une succession d'événements cataclysmiques. C'est d'ailleurs la possibilité qu'avait entrevue A. Brun (1931: 23), l'un des pionniers dans la description du français régional­

« Et puis, ce français régional, c'est peut-être le gemme d'une langue à venir. Imaginons que, dans les siècles prochains, les idiomes locaux, après une période de vie ralentie, deviennent des langues mortes: il y a un nouveau patois prêt à recueillir leur succession, c'est le français régional. Imaginons d'autre part, qu'à la suite d'événements historiques, impossibles à prévoir, le système mo­derne des nations unifiées et centralisées soit remplacé par une forme très différente des groupements humains. Le jour où notre régime, foncièrement unitaire, se disloquerait, l'unité de la langue française serait, par répercussion, compromise: quand les forces centrituges tendent à prévaloir au point de vue politique, la segmentation linguistique s'ensuit. Chaque variété de français régional se trouverait alors en position favorable pour se différencier de plus en plus des autres formes de français local qui coexistent sur notre territoire, et l'on entrevoit, sur les ruines du français commun, le pullulement de dia­lectes nouveaux issus de lui. »

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