404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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1.5 Les élèves et les étudiants

Du côté des élèves et des étudiants, la norme peut jouer implicitement ou explicitement Rares sont les enseignants qui, dans le cadre des cours qu' ils dispensent à certains étudiants adultes apprenant le français au Québec, n'ont pas eu à préciser le type de français qu'ils enseignaient, le Parisian French ou le lousy French (associé au « joual » dont certains anglophones, alors plus méfiants, ont déjà vaguement entendu parler en termes péjoratifs). Il nous est déjà arrivé par exemple de nous faire demander, par un public, d'étudiants adultes débutants, si la prononciation ch'parl (je parle) ou ch'fal (cheval) était conforme à la prononciation française de France (par crainte évidente d'être en train d'apprendre une prononciation « joualisante »... ). L'un d'entre nous a même enseigné le « français » à un anglophone adulte qui parlait couramment le québécois populaire mais qui était considéré par ses patrons comme ne parlant pas français: il était dans une classe de débu­tants.

Dans le cas d'étudiants non rompus à un enseignement oral de la langue, la norme implicite est celle de la langue écrite: toute rononciation qui s'éloigne trop des formes de l'écrit paraît alors suspecte. ~ une attitude normative liée à la variété de langue en usage s'ajoute une préoccupation normative centrée sur la langue écrite, l'écrit étant senti comme le seul modèle correct de la langue à apprendre.

Chez des élèves d'âge scolaire, il est permis de croire que l'attitude vis-à-vis de la langue est le reflet plus ou moins fidèle de r attitude avouée ou inavouée, consciente ou inconsciente, des enseignants, des parents, voire des directeurs d'école, dans la mesure où ceux-ci sont en contact étroit avec ceux-là (en plus d'être le plus souvent parents eux-mêmes).

A la fois tributaires des manuels et des documents pédagogiques imposés par les organismes gouvernementaux et des opinions de leur environnement immédiat sur la norme, les élèves et les étudiants n'ont guère de choix. Si (apprentissage « formel » n'est pas accompagné de contacts « naturels » avec des « natifs » de la langue étrangère, il n'y a aucune chance pour que l'opinion des élèves ou des étudiants ne soit pas identique à celle de leur milieu. Il n'y a d'ailleurs pas de raison pour qu'il en soit autrement

2. La source de la norme linguistique: (attitude

A l'examen des faits que nous venons d'évoquer, il apparaît assez clairement, d'une part, que ce sont les approbateurs de matériel pédagogique dans le cas des élèves du primaire et du secondaire et les institutions d'en­seignement dans celui des étudiants adultes qui déterminent le type de langue qui fera l'objet de (enseignement-apprentissage des langues étran-

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gères, et, d'autre part, que ces approbateurs et ces institutions fixent leur norme à partir de ce qu'ils perçoivent de l'opinion du milieu social à ce sujet H est à remarquer que la norme retenue est pratiquement identique dans les deux cas, ce qui laisse à penser que les deux instances se réfèrent à l'opinion du même milieu social.

On peut se demander comment se construit cette opinion, d'où elle vient, quels sont les éléments du milieu social qui la représentent, quel rôle jouent les sciences du langage à ce sujet et quelles sont les modalités de changement de cette opinion.

2.1 Éléments constitutifs de l'attitude

Pour l'usager moyen, une langue est peut-être autant une norme qu'un moyen de communication ou un instrument de connaissance. En effet, tout sujet parlant sait intuitivement ce qui convient ou ne convient pas à telle situation de communication ou à tel registre de langue. Pareille connaissance intuitive implique que soient discernés puis hiérarchisés les différents niveaux de la langue. Ainsi, tous savent qu'on ne parle pas de la même manière à ses familiers, à des voisins, à des étrangers, à des membres de la hiérarchie administrative, politique ou religieuse, qu'on n'écrit pas comme on parle et que même dans l'écriture il existe des registres différents selon les situations et selon les destinataires ou lecteurs. ll y a même des usagers qui n'osent pas parler à d'autres usagers de peur de ne pas employer les bons mots ou les bonnes phrases ou d'être incapables d'utiliser certains registres qu'ils ne maîtrisent pas suffisamment

La question qui nous intéresse ici est de savoir comment et pourquoi les membres d'une communauté linguistique en arrivent à juger qu'il soit nécessaire de privilégier, à titre de modèle, linguistique -du moins en ce qui concerne l'éducation - un niveau par rapport aux autres, le niveau du « soutenu », par exemple, ou même celui de l'écrit Même dans les pays communistes, où l'objectif politique officiel est de mettre le pouvoir entre les mains de la masse ouvrière, le modèle linguistique idéal ou le niveau privilégié est encore celui de l'élite intellectuelle ou des responsables admi­nistratifs et politiques. (On pourrait sans doute affirmer que les masses populaires sont plutôt élitistes en ce qui concerne la langue.)

À bien y réfléchir, il s'agit là beaucoup plus d'une attitude profonde que d'une simple opinion, attitude construite sur un ensemble de valeurs générales relativement indépendantes des régimes politiques et des variations économiques.

Comme le postulent la plupart des chercheurs psychologues qui font des recherches dans le domaine de l'attitude (cf. par exemple King et McGinnies, 1972), ces valeurs relèvent à la fois du domaine cognitif (ce que l'on sait et comment l'on juge), du domaine affectif (ce que l'on ressent) et du domaine actif (ce que l'on fait ou ce que l'on est disposé à faire) par

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rapport à la langue et à son usage. En prenant ces trois domaines comme bases, nous allons essayer d'analyser les composantes de l'attitude linguis­tique à l'endroit de la langue étrangère, en passant d'abord par la langue maternelle pour rendre le phénomène plus facile à comprendre et pour l'illustrer de façon plus complète.

a) Langue maternelle

En ce qui concerne la langue maternelle, les gens savent, ressentent et font beaucoup de choses. Ils « savent » plus ou moins intuitivement et en termes plus ou moins généraux (c'est pourquoi nous mettons « savoir » entre guillemets) ce que linguistes, psychologues, anthropologues et socio­logues cherchent à établir explicitement et en détails. Ils « savent » que la langue est un système extrêmement complexe (ne serait-ce que par la difficulté que présente l'apprentissage d'une deuxième langue), qu'elle s'apprend et que cela se fait progressivement, qu'elle sert à exprimer le réel concret, l'abstrait et l'imaginaire, qu'elle est aussi collée sur la façon de vivre, de penser et d'agir, qu'il y a des différences importantes dans la connaissance et dans l'utilisation de la langue et que la connaissance la plus grande et la plus élaborée est le fait des personnes instruites ou les plus influencées par l'instruction (personnes bien éduquées... ), qu'il existe un lien entre les niveaux de langue et les niveaux socio-économiques et où ils se situent eux-mêmes dans l'échelle sociolinguistique, etc. Grâce à ce qu'ils « savent », ils jugent vraisemblablement qu'il vaut mieux viser le plus haut possible pour eux-mêmes et pour leurs enfants ou au moins que rien ne devrait être inaccessible à leurs enfants autant dans le domaine linguistique que dans les domaines économique et social.

Ces « savoirs » et ces jugements ne sont pas nécessairement exacts, corrects ou complets: ils reposent sur des informations, des résultats d'obser­vations personnelles, des raisonnements plus ou moins élaborés qui sont en constante interaction avec des sentiments plus ou moins intenses et qui parfois s'entremêlent de manière telle qu'il devient impossible de discerner l'objectif de la projection ou de l'impression immédiate laissée par un contact avec d'autres personnes ou par une expérience personnelle. Il ne s'agit donc pas de « faits » qu'on peut facilement mesurer ou apprécier correctement.

Les gens ressentent égaiement de nombreuses impressions à propos de la langue des locuteurs. Ils peuvent aimer et admirer la façon avec laquelle certaines personnes pensent, agissent, parlent ou écrivent et souhaiter leur ressembler ou en tout cas s'en rapprocher, ou encore ils peuvent en être jaloux, avoir honte de leur propre façon de parier devant elles, etc. Ils peu­vent aussi avoir des sentiments tout à fait opposés et même éprouver des sentiments contradictoires où se mêlent le respect et le mépris, l'admiration et l'envie.

Ces sentiments sont alimentés, comme tous les sentiments, par des réflexes instinctifs (bioénergétiques?), par des expériences personnelles

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heureuses ou malheureuses ou par des connaissances exactes ou inexactes qu'ils tiennent de diverses sources (parents, amis, livres, journaux, etc.). Naturellement, les sentiments éprouvés s'appliquent le plus souvent aux actes réels des personnes concernées, ou à ceux qu'on leur attribue ainsi qu'à leurs propos et à la façon dont elles les formulent

Le jeu des sentiments est évidemment extrêmement complexe et les quelques lignes qui précèdent n'en sauraient constituer une description. Toutefois, elles suffisent sans doute à nous faire admettre que ces sentiments existent et qu'ils peuvent jouer un rôle déterminant dans la constitution et le développement de l'attitude à propos de la norme linguistique.

On peut dire également que les gens utilisent la langue de façon extrêmement variée et qu'elle occupe une place très importante dans leur vie. On peut aussi ajouter qu'il existe un certain nombre de choses que les gens n'arrivent pas à exprimer au moyen du langage. Même si tous peuvent communiquer verbalement pour satisfaire leurs besoins habituels, ce qui est déjà le signe d'une vaste compétence, plusieurs ne peuvent pas faire un discours, raconter, écrire un livre, jouer une pièce, ou tout simplement rédiger une commande, apprendre une chanson ou lire un mode d'emploi. Sans doute aimerions-nous tous pouvoir utiliser toutes les formes de langage et de discours à leur maximum, mais nous devons nous contenter la plupart du temps de le faire ... par projection sur ceux qui sont les plus habiles.

L'ensemble de ces éléments cognitifs, affectifs et actifs est en partie intuitif et relativement inconscient Ce que les gens « savent » et évaluent, ce qu'ils ressentent et ce qu'ils font ou sont disposés à faire à propos de la langue et de leurs colocuteurs constitue en quelque sorte la toile de fond de leur attitude linguistique. Quant à l'orientation de cette attitude, qu'elle soit positive, négative ou neutre, elle repose généralement sur la nature et sur l'exactitude des connaissances ou de l'information dont ils disposent, sur la manière dont ils évaluent cette information, sur l'intensité relative et sur l'orientation des sentiments qu'ils éprouvent de même que sur le jugement qu'ils portent sur leur propre performance linguistique et sur celle des autres.

b) Langue étrangère

En ce qui concerne les langues étrangères, l'attitude pourrait se construire d'après le même type de schéma que pour la langue maternelle, mais avec des composantes différentes pour chacun des domaines retenus. Les gens

« savent » un certain nombre de choses sur ceux qui parlent la langue étrangère ainsi que sur la langue elle-même. Ils éprouvent à cet égard des sentiments plus ou moins précis et plus ou moins orientés et posent des actes ou sont disposés à en poser (ou à n'en pas poser).



Par exemple, les anglophones du Canada et du Québec sont au courant de faits (ou refusent de l'être, ce qui est également une opération de type cognitif) concernant les francophones et leur langue, évaluent ces faits en termes d'extension, de qualité, d'efficacité et de rapports avec eux-mêmes,

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éprouvent des sentiments plus ou moins développés et orientés à leur sujet et agissent ou ont, tout au moins, l'intention d'agir en conséquence (ne serait-ce que voir à ce que leurs enfants apprennent le français). Ce qu'ils « savent » et ce qu'ils ressentent peut également s'inspirer en partie des « impressions » et des sentiments des francophones eux-mêmes vis-à-vis de leur propre langue maternelle.

On peut certainement considérer que ce sont ces trois composantes qui forment, dans un processus qu'on connaît encore assez mal, l'essentiel de l'attitude des anglophones face à la norme linguistique qu'ils vont privilégier pour eux-mêmes (comme étudiants adultes le cas échéant), pour leurs enfants ou pour les enfants des autres. Aux composantes de l'attitude envers la langue étrangère peuvent également se mêler des éléments des composantes de l'attitude au sujet de leur propre langue maternelle, lorsque les premières ne sont pas assez élaborées ou précises, ou lorsque les membres de la communauté ne partagent pas les mêmes connaissances, sentiments ou volontés d'action. A n'en pas douter, tout cela rend la compréhension du phénomène très difficile, les données n'étant pas faciles à identifier et à recueillir.

Impossible donc de confondre attitude linguistique et opinion. L'opinion est l'expression de quelque chose qui peut parfois correspondre à l'attitude, mais généralement l'opinion est influencée autant par les pressions sociales, politiques ou économiques à court terme de l'environnement immédiat que par les « connaissances », par l'information et par cette sorte de readiness (que nous avons appelée plus haut volonté d'action) à propos de la langue étrangère et de ceux qui la parlent

Si l'on continuait à explorer le phénomène de l'enseignement-appren­tissage du français langue seconde au Canada et au Québec, il ne faudrait pas s'attendre à aboutir à des conclusions précises et fermes sur l'attitude. Parce que l'on ne connaît pas bien le processus de synthèse des divers éléments servant à définir précisément les composantes de l'attitude chez les anglophones (ce que les anglophones « savent » effectivement, comment ils l'évaluent, ce qu'ils ressentent et ce qu'ils font ou sont disposés à faire par rapport aux francophones et à leur langue), nous ne pouvons pas expliquer de façon constructive pourquoi ils choisissent le « Parisian French » comme norme pour l'enseignement du français langue seconde au pays. Nous pouvons cependant faire la démarche inverse et postuler l'hypothèse selon laquelle s'ils choisissent cette norme, c'est peut-être qu'ils en « savent » davantage sur le « Parisian French » et sur les Français que sur le français québécois et sur les Québécois, ou encore que ce qu'ils « savent » sur les Québécois et sur leur façon de parler est jugé non convenable ou insa­tisfaisant par rapport au français des locuteurs français. II se pourrait aussi qu'ils éprouvent des sentiments plutôt négatifs ou encore qu'ils soient indifférents à l'égard des Québécois francophones; chose certaine, ils ne sont pas encore disposés à apprendre le français québécois et à communiquer avec les Québécois dans leur usage du français.


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Les anglophones (et les allophones) s'inspirent sans doute aussi de ce que les francophones du Québec eux-mêmes pensent et disent à propos de leur façon de parler. Ils choisissent la norme la plus « élevée » pour, ainsi que nous l'avons évoqué plus haut au sujet de la langue maternelle, ne pas s'enfermer dans un cadre linguistique étroit Paris is the limit.

22 La dimension sociale de l'attitude

Ce que nous avons décrit brièvement jusqu'à présent évoque davan­tage les aspects individuels de la constitution de l'attitude. Mais l'aspect le plus puissant en rapport avec l'influence de l'attitude sur les décisions des approbateurs de matériel pédagogique et des institutions d'enseigne­ment est sans nul doute la dimension sociale ou, mieux, collective de l'atti­tude.

On ne peut pas affirmer que tous les individus d'une communauté linguistique ont la même attitude à propos de la norme. Si l'on prend le cas du français québécois par exemple, le débat tapageur sur la question du

« joual » illustre bien qu'il existe des opinions différentes qui correspondent sans doute à des attitudes différentes. On pourrait certainement citer beau­coup d'autres cas de langues maternelles où la question de la norme a été fortement débattue. En ce qui concerne les langues étrangères, la question n'a pas donné lieu à notre connaissance à des débats de cet ordre. C'est sans doute parce qu'il s'agit d'une question secondaire et que les personnes qui pourraient en parler ne sont pas suffisamment engagées personnelle­ment (cf. Gagné, 1974).



Ce qui est surprenant toutefois, c'est de constater que la grande majo­rité des membres de la communauté anglophone du Canada et du Québec paraît privilégier le « Parisian French » comme norme du français à ensei­gner dans les écoles et dans les institutions d'enseignement aux adultes. Il n'y a pas une institution que nous connaissions où cette norme ne soit la norme officielle, même si certaines institutions et certains enseignants font des efforts pratiques d'adaptation.

Malheureusement, il n'existe pas d'études sur les fondements de cette situation. Toutefois, nous pourrions proposer une explication plausible du caractère collectif de l'attitude des anglophones en tenant compte de ce que nous avons dit jusqu'à présent sur le sujet. En effet, il est facile de postuler que cette attitude collective repose sur une information et sur des sentiments qui ont un caractère collectif. Ainsi, les anglophones « sauraient » et res­sentiraient tous à peu près les mêmes choses à propos du français québécois et des Québécois eux-mêmes. Cette situation remonte sans doute assez loin dans l'histoire du Canada, et peut s'expliquer en partie par le fait que les événements majeurs reliés au contact des communautés linguistiques ont été vécus, rapportés et transmis avec une assez grande convergence. De plus, les sources d'information ont toujours été relativement dominées et filtrées par les médias anglophones. Malgré le fait que les deux commu-

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nautés linguistiques ont vécu dans le même pays, elles ont cheminé parallèle­ment sans contacts culturels profonds, contacts qui auraient pu permettre des échanges d'information, de sentiments, d'expériences de vie, d'objectifs, et éventuellement modifier l'attitude des uns envers les autres.

Mais ce sont là des hypothèses et des conjectures qui ne sauraient satisfaire les besoins que nous avons de recherches sur le sujet Elles ont néanmoins le mérite de soulever les questions et de les relier à l'étude de la nomme.

23 Les interprètes de l'attitude

La question qui nous intéresse ici est celle de savoir comment les appro­bateurs de matériel pédagogique et les institutions d'enseignement s'y pren­nent pour connaître l'attitude des membres de la communauté linguistique et pour interpréter cette attitude au moment de prendre leurs décisions.

On pourrait penser que ces personnes font partie de l'élite intellec­tuelle et qu'elles choisissent comme norme la langue de l'élite parce que c'est la leur ou celle de leur classe sociale. Dans cette perspective, le milieu social général (toutes les classes sociales) entérinerait tacitement ou n'inter­viendrait pas car il faudrait alors entreprendre des luttes à n'en plus finir pour contrer ces choix Ce n'est pas notre avis. Même si cette façon de voir les choses n'est pas nécessairement tout à fait fausse pour un certain nombre de ces personnes à certains moments, il nous apparaît plus conforme à notre expérience de les considérer comme jouant un rôle d'interprète en expri­mant tout haut ce que la majorité des membres de la communauté linguisti­que pense tout bas.

Pour arriver à se faire une idée assez juste de rattitude des gens, ces interprètes fonctionnent empiriquement, un peu comme le font les publicistes ou les politiciens. A partir d'un certain nombre de signes ou de manifesta­tions qu'ils arrivent à décoder dans le milieu, ils exercent un jugement d'ordre qualitatif, qui est un acte de discernement et d'appréciation. Ils peuvent se tromper sur des détails, mais pour l'essentiel, ils voient juste.

On peut classer les signes du milieu social en deux catégories prin­cipales: les signes positifs, ou de sens plein, et les signes négatifs. Les signes positifs sont nombreux et variés. Ils vont de ce que les locuteurs disent en différentes circonstances (interventions publiques, conversations privées, lettres aux journaux, plaintes de diverses natures, avis de divers agents du milieu, politiciens, éducateurs, associations professionnelles ou autres, journalistes, syndicats, etc.) à ce que les locuteurs font (choix d'écoles ou d'institutions d'enseignement pour leurs enfants ou pour eux-mêmes, ma­nières de parler et d'apprécier ceux qui parlent, appui électoral ou autre concernant certaines décisions, etc. ).

Les signes négatifs sont de deux ordres: absence de réactions ou d'in­terventions suite à des décisions et expériences négatives du passé. Dans le

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premier cas, il s'agit d'abstentions ou d'omissions significatives dans le sens de l'expression « qui ne dit mot consent ». Dans le second cas, grâce à des décisions contestées ou à des erreurs passées, il est parfois impossible de savoir ce que les locuteurs veulent, mais il est également impossible de savoir ce qu'ils ne veulent pas.

Tout comme les ingénieurs qui multiplient par dix les forces calculées pour soutenir un ouvrage afin d'éviter tout risque possible qu'il ne s'écroule, les approbateurs de matériel pédagogique (de même que la grande majorité des éditeurs) prennent, dans la plupart des cas, des décisions extrêmement conservatrices par rapport à ce qu'ils ont perçu de l'attitude du milieu afin de ne pas risquer de se tromper. Nous aurons l'occasion d'en voir des exem­ples clairs dans la deuxième partie de l'article.

Ainsi, les approbateurs de matériel pédagogique et les institutions d'enseignement sont peut-être des interprètes conservateurs du milieu, mais ce sont des interprètes quand même. Lorsque l'attitude change, leurs décisions changent également. D'ailleurs, s'ils n'étaient pas des interprètes, beaucoup plus de décisions auraient été contestées, et nous pourrions espérer que la norme établie devienne plus souple et plus conforme aux objectifs linguistiques et pédagogiques de l'enseignement.

2.4 Le changement de l'attitude linguistique

Après ce que nous avons dit sur la source de la norme linguistique, sur son caractère social, sur ses interprètes et sur la fonction des interve­nants, il semble clair que la norme déjà fixée dans les institutions d'ensei­gnement ne puisse être modifiée sensiblement par des interventions d'ordre pédagogique. Si le chaînon central de la chaîne des intervenants est celui des approbateurs de matériel pédagogique et que ces approbateurs sont des interprètes de l'ensemble du milieu social, milieu qui va bien au-delà de l'école - à laquelle d'ailleurs il ne s'intéresse que lorsque celle-ci ne remplit plus la fonction qu'il attend d'elle -, le changement de l'attitude normative ne peut s'entrevoir en premier que dans ce milieu social général. S'il

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