Erda ou le savoir


La marque du temps et l'obsession du réel



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1.13.La marque du temps et l'obsession du réel


«...comment arrêter la roue qui roule?»
C'est peut-être l'irréversibilité du temps et la conscience aiguë et dramatique de son écoulement qui marque la frontière entre le rêve et la réalité. Le temps n'existe pas dans la Tétralogie, les événements sont beaucoup plus juxtaposés que liés dans un continuum temporel ; le mouvement dans lequel est pris Wotan n'est qu'un simulacre de temporalité.

Wotan, comme tous les dieux était immortel ; mais sa volonté de connaître le conduisant vers le monde du milieu l'a projeté dans ce simulacre de temporalité. La question, posée à Erda, rappelée ci-dessus, marque les regrets du dieu de l'ordre atemporel qu'il a quitté. Son désir était d'être dieu et homme, le voici, face à Erda simple mortel, vieillissant et qui pleure sur le temps de sa jeunesse128.

Cela nous entraîne vers les problèmes d'évolution et d'écoulement du temps. L'image du temps qui coule, évoque l'antique clepsydre, l'horloge à eau utilisée par les grecs pour mesurer le temps accordé aux orateurs. Etymologiquement qui retient, qui vole l'eau129. Terme aussi étrange que le temps lui-même. En tout cas la clepsydre nous révèle intuitivement l'irréversibilité du temps qui n'est inscrit dans nulle loi physique130 ; l'eau peut-elle, en effet, remonter dans le récipient d'où elle s'écoule ? Etrange paradoxe, puisque l'irréversibilité est attestée par tous les phénomènes connus. Est-elle pour autant vraiment acceptée par la conscience ? Ce n'est pas sûr, si l'on en juge par le retour des vieux mythes des voyages dans le temps engendré lors des difficultés conceptuelles rencontrées par la physique quantique et la relativité au cours des décennies précédentes.

Ce qui marque le temps chez un individu, c'est son histoire, c'est-à-dire la trace des interactions qu'il a connu avec les objets (dans lesquels nous incluons les autres). C'est bien parce que les particules élémentaires ne gardent, pour nous131, aucune trace des interactions qu'elles ont connues au cours des multiples réactions auxquelles elles ont participé, qu'elles nous apparaissent immuables, donc « immortelles. »

Et pourtant, il existe en mécanique quantique des situations où tout se passe comme si les particules, après avoir été liées au cours d'une interaction gardaient le souvenir de cette liaison. Cette propriété a donné lieu à l'un des plus fameux débats scientifiques concernant la mécanique quantique. Elle est à la base de ce qu'on a appelé le paradoxe EPR, mais qu'il vaut mieux appeler le problème EPR.132. Nous l'avons déjà souligné, la mécanique quantique, philosophiquement dominée par l'école de Copenhague, dont la figure emblématique était - et est restée, après sa disparition- N Bohr, soutient que la théorie donne tout le connaissable de la réalité, autrement dit que la théorie quantique est complète. Ce n'était pas l'avis d'Einstein, qui n'a jamais admis le caractère probabiliste de la théorie, ni d'ailleurs le fait qu'un objet puisse avoir des caractéristiques qui dépendent de la manière dont il est observé133.

En un mot, Einstein, n'a jamais accepté le fait que la nature puisse être incompréhensible, et que le mieux que pouvait espérer l'homme de science était de construire des théories permettant de rendre compte des phénomènes, sans pouvoir vraiment les expliquer134.

Avant de poursuivre, il nous faut dire quelques mots de l'argument EPR. La base en est le critère de réalité physique d’Einstein : « si en ne perturbant aucunement un système135, on peut prédire avec certitude la valeur d'une quantité physique, alors il existe un élément de réalité physique correspondant à cette quantité ». L'expression même d'élément de réalité physique commence à poser des problèmes ; Einstein entendait par là une propriété intrinsèque et parfaitement définie du système136. Mais justement l'orthodoxie refuse le statut de réalité à tout ce qui n'est pas effectivement mesuré ! Nous illustrerons le problème avec un phénomène d'une grande importance pratique, l'annihilation du positronium137. Celui-ci est une sorte d'atome d'hydrogène où le rôle du proton est tenu par un positron (ou positon), l’électron positif. Cet assemblage forme un atome qui aussitôt créé se désintègre, en moyenne une fois sur quatre, en donnant naissance à une paire de photons . Le phénomène a une symétrie sphérique, mais si un capteur enregistre le photon 1, le photon 2 est nécessairement détecté en une position qui est symétrique par rapport à celle où a été trouvé le photon D'autre part la théorie prévoit que le spin global de la paire est nul, et doit le rester après séparation138. Si l'on donne, par convention +1 comme mesure de spin de la première, la seconde doit être mesurée à -1139. Imaginons maintenant deux expérimentateurs munis chacun d'un appareil permettant de mesurer le spin de deux photons provenant de la même annihilation d'un positronium ; dans l'ignorance de la source réelle de son photon chacun considère qu'il a 50% de chance de trouver son photon dans l'état +1 ou -1, chaque photon étant normalement dans un état de superposition quantique des états propres +1 et -1.La théorie affirme que l'on ne peut connaître l'état de la particule que si elle est mesurée et qu'avant la mesure, elle n'a pas d'état déterminé. Or, la personne qui mesure le spin de sa particule sait, sans faire de nouvelle mesure, que la seconde particule est par exemple +1, s'il a trouvé la sienne à -1 ! Einstein en déduisait que la seconde particule possédait sa propriété, élément donc de réalité alors même qu'aucune mesure n'était effectuée sur elle. Tout a été imaginé pour réduire cette apparente contradiction, mais la puissance incomparable de la théorie quantique a, à ce jour, balayée toutes les tentatives. On ne peut donc que constater, ce que Einstein n'a jamais accepté qu'en se quittant, les particules n'emportent pas une caractéristique propre, mais que cependant, tout ce qui arrive à l'une se répercute immédiatement sur l'autre, même si elles se trouvent au moment de la mesure à des distances telles qu'aucun message ne peut aller de l'une vers l'autre140.

Voici quelques éléments du dialogue Bohr-Einstein141 :

Einstein: Puisque l'on peut affirmer que le photon non mesuré a une caractéristique bien définie - être +1, par exemple, au moment même de la mesure -c'est que contrairement à ce qu'affirme la théorie, le photon la possédait avant, puisque celui-ci n'a subit aucune perturbation due à une mesure142

Bohr : Toute discussion doit, d'une part, prendre en compte le dispositif de mesure indissociable des résultats, et d'autre part tenir compte du fait que les sorts des deux photons sont indissolublement liés, et que tout ce qui arrive à l'un retentit nécessairement sur l'autre. Einstein défend le « point de vue habituel de la philosophie naturelle qui n'est plus adéquat pour représenter rationnellement les phénomènes physiques que nous rencontrons en mécanique quantique. » (opus cité, page 88).

Les développements de cette dernière décennie ont plutôt donné raison à Bohr, mais les tenants d'un réalisme plus proche de ce que Bohr nomme philosophie naturelle, et qui repose sur l'intuition que nous avons des phénomènes qui nous entourent, n'ont pas désarmé, et des théories alternatives ne cessent d'être proposées143.

Ce qui sépare vision classique et vision quantique des phénomènes, et des objets, donc du monde tel qui nous apparaît, c'est cette idée de base, et somme toute assez simple, qu'en physique classique, un objet dont on mesure une caractéristique est censé posséder cette propriété avant même qu'on ait agi sur lui. Postulat raisonnable et qui semble indispensable si l'on se propose de connaître ce que les objets sont en eux-mêmes. Malheureusement, ce postulat que nous ressentons comme une nécessité pour assouvir notre soif de connaissance n'est plus valable en mécanique quantique ; et si la théorie quantique se révèle comme la clé de voûte de toute connaissance du monde, c'est le fondement même de notre pensée qui devient mouvant.

Pour mieux comprendre le caractère dramatique du renoncement qui nous est imposé, considérons une autre expérience cruciale dont l'interprétation quantique est scandaleuse au regard de notre intuition une de celle où apparaissent des phénomènes d'interférences. L'expérience classique et qui est décrite dans tous les manuels d'optique utilise un dispositif comme celui de la figure ci-dessous :

S est une source de particules, photons où électrons ; O1 et O2, des ouvertures suffisamment rapprochées ; E un écran ou une plaque munie de détecteurs. Lorsque les trous O1 et O2 sont ouverts successivement, on obtient sur l'écran une répartition des impacts dont la densité est représentée par la figure (a) (si S est une source de lumière, donc de photons, la partie médiane est fortement éclairé, et cet éclairement diminue lorsque l'on s'éloigne du centre). Si les deux trous sont simultanément ouverts, on obtient une figure d'interférence, c'est-à-dire s'il s'agit d'une source de lumière, une succession de plages éclairées séparées par des zones d'ombre. Il est très facile de justifier le phénomène à partir de la nature ondulatoire de la lumière : l'onde se partage en deux, une partie passant par un trou, l'autre partie par l'autre trou. Suivant le parcours effectué par la lumière, les ondes s'additionnent ou au contraire se détruisent mutuellement. Mais selon la mécanique quantique, la lumière a aussi un caractère corpusculaire - elle est constituée de photons - le drame est alors que pour justifier la formation de la figure d'interférence, il faut admettre que chaque photon passe par les deux trous en même temps144 ! En réalité, c'est là qu'intervient de manière essentielle le principe de complémentarité de N.Bohr, qu'Einstein ne pouvait accepter : on ne peut espérer saisir, au cours d'une même expérience les deux aspects contradictoires, ondulatoire et corpusculaire d'un objet quantique. Si une expérience met en évidence les aspects ondulatoires d'un phénomène, l'aspect corpusculaire disparaît complètement ; si elle met en évidence les aspects corpusculaires, ce sont les aspects ondulatoires qui s’évanouissent ! Par exemple, dans l'expérience décrite ci-dessus, si un dispositif permet de savoir par quel trou la particule quantique est passée, la figure d'interférence disparaît.

Cette impossibilité de concilier théorie et intuition est justifiée par les relations d'indétermination d'Heisenberg dont il a été question plus haut. Les deux plus importantes de ces relations relient, position et impulsion145 d'une part, énergie et temps d'autre part :

XPh/2, X, et P, sont les incertitudes sur la position et l'impulsion. Cela signifie que si la position d'un objet quantique est connue avec une grande précision, nous ne savons plus rien de sa vitesse, et réciproquement.

ETh/2, E et T étant les incertitudes sur l'énergie et le temps. Cela signifie que si le temps d'observation est très court on ne peut connaître avec précision l'énergie de la particule, et réciproquement, si l'on veut connaître avec une grande précision l'énergie d'une particule, il faut prolonger le temps d'observation.

Le grand problème est que ces limitations ne sont pas dues à l'insuffisance de nos sens et de nos instruments, mais à la nature intrinsèque des objets quantiques. Ces relations forment l'assise conceptuelle de la théorie quantique ; ce qui fait dire à R Feynman: «...si jamais un moyen de « vaincre » le principe d'incertitude était trouvé, la mécanique donnerait des résultats incohérents et devrait être rejetée en tant que théorie correcte de la nature146 ». Autant dire que c'est le discours scientifique moderne qui s'effondrerait d'un bloc. Ce qui n'est guère à craindre, compte tenu de la multitude des vérifications expérimentales des fameuses relations d’indétermination (ou d'incertitude) que Feynman regroupent sous l'appellation « principe d'incertitude. »

*

J'ai, plus haut, considéré la conscience comme une superposition d'états, c'est-à-dire, tenter de comprendre la versatilité du comportement humain en transposant à l'Être la description des objets quantiques ; démarche dont l'originalité n'est pas évidente, puisque N Bohr lui-même a émis quelques idées dans ce sens. Ce qui me parait le plus remarquable, c'est que les difficultés conceptuelles qui minent la théorie quantique appliquée aux objets de la réalité disparaissent dans ce nouveau contexte.



Imaginons un homme qui marche dans la rue ; sa conscience est entièrement absorbée par le spectacle qu'offre la ville, avec, si c'est le soir, les lumières, les ombres furtives, cette richesse fictive qui nous fait cependant croire que la grande aventure commence à deux pas. L'homme est en quelque sorte en dehors de lui-même ; il n'est rien de ce qui le définit comme appartenant à une communauté humaine. Mais sa fille, lui tendant les bras, apparaît tout à coup dans son champ de vision ; c'est alors à une véritable réduction de la fonction de tous les états de conscience que notre homme peut occuper - dans ce cas on dirait plutôt avoir -.Sans doute, avant était-il déjà père, mais d'une manière cachée, non explicite, exactement comme l'électron, est avant une mesure dans un état potentiel. Pas plus l'homme que l'électron ne sont modifiés par l'interaction ; ils deviennent simplement tous les deux ce qu'ils avaient la puissance d'être. L'homme à ce moment précis est en puissance de bien d'autres états ; garçon de café, par exemple, pour reprendre le célèbre exemple utilisé par Sartre dans L'être et le néant147.

Faut-il faire une différence entre les états de conscience spontanés et ceux artificiellement crées dans le jeu ? La seule vraie différence est peut-être un simple décalage temporel. Dans les deux cas il s'agit bien de l'activation d'un modèle qui est déjà inscrit dans nos circuits neuronaux ; Pour jouer au garçon de café ; il faut, à l'instar du comédien connaître déjà le rôle. Et tout ce qui n'est pas appris est nécessairement programmé génétiquement. Ainsi la notion de superposition d'états de conscience s'applique encore dans le cas de la mauvaise foi selon Sartre.



Ainsi notre homme peut être, amant, jouer de football, lecteur du Canard enchaîné. Et lorsque qu'il se trouve dans un état de conscience déterminé, il n'est plus généralement que cela148. Nous trouvons ces situations tout à fait naturelles, et ne nous étonnons guère de ce qu'un centre d'intérêt déterminé vide notre conscience de toutes nos autres préoccupations. Il s'agit pourtant d'un grand mystère biologique que la neurobiologie n'est certainement par encore prête à percer ! Nous pouvons cependant, dès maintenant cerner des conditions nécessaires permettant à notre être de maintenir en lui cette potentialité d'états de conscience, et surtout cette prodigieuse capacité à activer, au bon moment, les états adaptés à la situation concrète à la quelle il doit faire face. (1) Tout se passe, évidemment au niveau de nos circuits neuronaux, qui ne sont sans doute pas limités à notre encéphale149. (2) Si l'on veut respecter les lois fondamentales de la physique, en particulier, l'incapacité d'un système non matériel (comme la pensée) de générer de l'énergie, ce sont les circuits neuronaux qui commandent. Cela n'est qu'une conséquence du renoncement à l'idée de dualité corps/esprit150. (3) Qu'est-ce alors que la volonté ? Et sommes-nous les spectateurs impuissants d'un jeu neuronal qui nous échappe ? Si nous identifions le fonctionnement de notre cerveau à notre conscience le problème ne peut plus se poser en termes de philosophie classique. Concernant ce problème de l'unicité ou de la dualité de l'être, la position du philosophe est toujours ambiguë, surtout quand il affirme l'unité de l'être ; ce n'est pas là un manque de logique ou de cohérence, mais la simple nécessité de se référer constamment aux deux aspects complémentaires de notre être, corps et esprit, exactement comme le physicien, même s'il considère l'objet quantique comme une entité une, est bien contraint de le considérer dans sa dualité fondamentale d'être onde et corpuscule151. Nous faisons aussi bien l'expérience d'être soumis à un destin implacable qu'on peut interpréter comme le fonctionnement de notre cerveau dominé par le déterminisme de certaines lois biologiques, que l'expérience de notre liberté dans les choix qui nous sont offerts. Toute prise de position philosophique sur ce problème de la liberté est nécessairement soumise à un irréductible subjectivisme qu'aucune réflexion ne peut surmonter sans mauvaise foi. (4) Nous « décidons » en fonction de nos déterminations génétiques et de notre expérience acquise ; mais qui décide ? Notre orgueil aurait sans doute trop à en souffrir pour que nous acceptions un jour la vérité, à savoir que nous sommes soumis - ou plus exactement le fonctionnement de notre cerveau - aux mêmes règles que celles qui commandent l'évolution depuis la formation de la terre : ce que J.P Changeux appelle darwinisme neuronal - ou neural - se prolongeant en un darwinisme mental.

« Le psychologue, Donald Hebb, a montré qu'une assemblée stable de neurones peut se former lors de l'interaction avec le monde extérieur si une condition portant sur l'efficacité des synapses établies entre les neurones se trouve remplie. Cette condition, appelée depuis règle de Hebb, postule que deux neurones en contact « s'associent » entre eux si leurs décharges coïncident dans le temps. La concomitance d'activité pré- et post-synaptique entraîne le renforcement de la connexion inter-neurale. La règle permet aux neurones qui sont actifs ensemble, ou qui coopèrent déjà, de mieux coopérer encore. Sur cette base, on peut essayer d'appliquer le modèle darwinien à la mise en place d'une trace stable de représentation mentale. Au lieu de postuler au départ une variabilité des connexions comme dans le cas du darwinisme neural, l'hypothèse est proposée d'une variabilité durant le temps de l'activité des neurones. Les assemblées vont s'allumer, s'éteindre, fluctuer au cours du temps, jusqu'à ce qu'une certaine combinaison d'états actifs ou pré représentation entre en « résonance » avec un percept évoqué par l'interaction avec le milieu extérieur. A ce moment là, cette pré représentation va être stabilisée. La mise en mémoire peut alors s'effectuer par un changement d'efficacité des connexions mettant en œuvre la règle de Hebb.»152.

Suivant ce modèle il faut concevoir l'activité neuronale continuellement en éveil, maintenant potentiellement l'infinie variété de nos états de conscience possibles ; la réduction à un seul état se faisant essentiellement de deux façons, par résonance153 :

- au cours d'interactions avec le milieu

- sous l'influence d'affects, donc de stimuli purement intérieurs.


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