Erda ou le savoir



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1.10.Comprendre !


Pour le savant, comprendre c'est construire une théorie, contenant un modèle de la réalité, et qui par le calcul, permet de retrouver les résultats de mesures effectuées sur les objets réels. En ce sens, le commun des mortels même s'il possède quelques rudiments de science, ne peut pas comprendre le monde qui l'entoure. Le grand problème est de savoir qui comprend quoi. La physique quantique nous affirme que, par exemple l'équation de Schrödinger nous permet de connaître, de l'objet, tout ce que nous pouvons en connaître, et donc qu'il est inutile et vain de vouloir en savoir davantage. Mais peut-on, humainement accepter un tel verdict ? Certes les réussites de la théorie quantique sont stupéfiantes, et aucun physicien n'est à ce jour en mesure de seulement présenter l'idée d'une théorie alternative. Sans doute les spécialistes ont-ils raison ; et tout porte à croire que plus rien de sérieux ne se fera en dehors de la théorie quantique et de ses développements.

Plus de « réalité cachée », la théorie épuise la réalité. La science, bien loin de là, n'est pas achevée, mais elle n'a plus en elle-même les capacités d'envisager un autre chemin. Exactement comme sur le chemin de l'évolution, on ne pourrait revenir en arrière pour choisir un autre embranchement en espérant ainsi aboutir à une espèce supérieure à l'homme. Si la route n'est pas la meilleure, le seul espoir qui reste - si l'on s'apercevait qu'une autre voie eut été préférable - est de continuer en espérant, retrouver, au-delà, le bon chemin.

La belle assurance de la science moderne est-elle légitime ? N'y a-t-il pas prétention injustifiable à soutenir que le vrai chemin a été définitivement trouvé, et qu'aucun autre ne pouvait, et ne pourra mener plus loin ? Il semble que la théorie quantique englobe dans sa description, non seulement la totalité des phénomènes observables, mais les limitations intrinsèques de l'être humain, qu'au centre même de sa problématique, se trouve le sujet humain91, que la science classique avait occulté92. (La théorie quantique fait ce qu'elle peut, mais elle n'aborde plus les problèmes annexes parce que c'est déjà assez compliqué comme cela. Maintenant il paraît évident qu'aussi bien en physique qu'en mathématique, l'exclusion du sujet est purement fictive. En fait le sujet est sur le bord de la théorie, regarde ce qui se passe et fait comme si il était absent du processus. Mais c'est seulement une illusion, parce que le sujet exclus, il n'y a plus de connaissance.)

Faut-il accepter cette profession de foi ? Certes la science moderne ne prétend pas avoir atteint les fondements de toute connaissance, mais semble bien affirmer avoir construit les instruments définitifs aptes à conduire l'esprit humain à la connaissance absolue de ces fondements. Et pourtant, parmi ces outils, aucun ne semble appropriés pour répondre aux grandes questions que l'homme ne cesse de se poser depuis le début des temps : Qu'est-ce que la matière ? La réalité ? Y a-t-il un élan vital, une Volonté, un dieu. Qu'est-ce que l’infini ? Quelles sont les origines de l'univers, de la vie ? Que signifient les constantes fondamentales comme « c », »h » ; pourquoi c, la vitesse de la lumière est-elle une vitesse limite ? Pourquoi quelque chose plutôt que rien ?

Il ne s'agit pas d'oublier les succès de la science qui sont considérables ; ni le fait qu'elle est la seule source de connaissances véritables. Mais l'homme est ainsi fait qu'il reste dominé par cette exigence invraisemblable de l'esprit, désespérante, mais en même temps cause de tous les progrès : ce qui n'explique pas tout n'explique rien. Or, une chaîne causale peut se révéler sans faille au regard de la plus exigeante des logiques, et ne rien expliquer d'important pour l'esprit humain ; tout au plus confirmer des conjectures qui ne faisaient déjà aucun doute. Et cela pour deux raisons :

- les prémisses des inférences premières sont toujours des axiomes donc comportent une part importante d'arbitraire ;

- dans des déductions de pures logiques, les seules qui soient parfaitement rigoureuses, on ne retrouve jamais que ce qu'on avait mis initialement (par l'intermédiaire des axiomes) dans le système93.

Ce sont là les faiblesses des théories les mieux fondées. Elles sont construites sur des bases axiomatiques qui ne prennent réellement en compte la réalité qu'à posteriori, en se bornant à montrer l'efficacité de la théorie concernant la prédiction des phénomènes.

Wotan fonde son pouvoir sur les Runes94 qu'il grave lui-même sur sa lance. Ces runes sont en quelque sorte les axiomes de la puissance du dieu ; il scelle ainsi son destin en fermant son système ; il est le maître à l'intérieur de sa théorie. Il a cru y enfermer la totalité de l'univers, matérialisant même sa base axiomatique par la construction du Walhall ; malheureusement l'univers est trop vaste pour un tel projet. Plus malheureusement encore, ce qui devient le plus désirable, c'est justement ce qui échappe au système.

Le savant, même s'il croit profondément à son système, n'est cependant pas dupe. On peut même dire que sa croyance est une sorte de jeu. Et pourquoi pas une transposition des jeux de notre enfance où nous entrions avec sérieux dans des fictions dont nous n'étions aucunement dupes95. Richard Feynman, dans son œuvre a manifesté sa foi absolue en la physique moderne, contribuant à sa construction. Il parle plusieurs fois de l'équation de Schrödinger comme de l'équation du monde. Vision toute laplacienne de la puissance de la science ; mais jusqu'à la fin de sa vie, il chercha autre chose : le Grand rêve, la Grande Unification96.

Mon avis n'est bien évidemment guère autorisé, et je mérite certainement le sourire des spécialistes97, mais je ne crois pas à ce grand rêve. Même si un jour une super théorie parfaitement cohérente était construite (ce dont je doute), elle n'expliquerait cependant rien. Sans doute serait-elle une fantastique victoire de l'esprit - mieux encore d'une communauté d'intelligences humaines, car l'Œuvre sera celle d'une équipe élargie de brillants cerveaux - mais une fiction au même titre que la Tétralogie.

Dans leur quête d'une théorie unitaire, certains théoriciens multiplient le nombre de dimensions des espaces censés correspondre à la réalité98. Malheureusement, c'est dans le cadre étroit, hautement particulier d'un espace euclidien à trois dimensions que nous nous débattons, avec nos sens, pour tenter de comprendre dans quelle galère nous avons été embarqués - depuis quelques milliards d'années, si nous acceptons de faire corps avec la totalité du règne animal - ; depuis quelques millions d'années si nous tenons à nous différencier du reste des espèces vivantes. Autrement dit, c'est dans cet espace bien particulier99 que nous sommes en contact sensoriel avec la réalité. Comprendre, c'est solliciter les théories de sorte qu'elles puissent expliquer le déroulement des phénomènes dans cet espace là.

Le « drame » c'est que l'on rencontre ici une impossibilité mathématique et logique à ce que ce passage puisse s'effectuer. Pour qu'il ait possibilité de représenter, puis d'interpréter de façon cohérente un ensemble d'objet P à l'aide d'un ensemble G, il faut comme nous l'avons vu plus haut qu'il existe un isomorphisme entre P et G., et pour cela les ensembles doivent être indempotent100, et soient de même dimension. Or notre espace (celui de nos sens) est à trois dimensions, et le plus simple, considéré en physique est l'espace-temps à quatre dimensions101 (celui de la relativité générale). Autrement dit, il est impossible de transporter le contenu physique de la relativité dans notre espace ordinaire. Il faut donc accepter comme irréductible cet autre aspect de la complémentarité : on fait de la physique à « quatre dimensions », on comprend les phénomènes à l'intérieur de ce système de représentation, ou, on tente de comprendre le monde à partir de nos sens102. L'un ou l'autre, mais pas les deux à la fois103 !

Et c'est pourtant l'aventure que va tenter Wotan. Être, en même temps dieu et homme ; ne pas abandonner son pouvoir divin, les magies de la théorie, et connaître le monde des hommes. Voyageur, il va tourmenter Mime, et se rire de lui qui se montre incapable de poser la seule question concrète qui lui importe pour sauver sa tête : qui forgera l’épée ? « Tu as cherché / partout, au loin ; / mais ce qui t'était tout près, / qui te sert, te fut introuvable.» (Siegfried, acte I, scène 2). Wotan peut ironiser, il est victime, au même niveau que le nain forgeron ! Wotan a beau faire, ses runes ne lui servent à rien pour comprendre ce qui lui importe, et lorsque, désespéré, il sollicite Erda, donc la nature celle-ci ne sort qu'à demi de son sommeil, retournant à son éternel repos, sans avoir rien dit. Image de l'Homme dominateur, qui parce qu'il a cru un instant soumettre la nature, pense l'avoir emporté définitivement sur elle. Wotan, nous l'avons déjà dit, n'a pas séduit Erda, il l'a proprement violée. Erda dit elle-même : «Un maître jadis / me força, moi qui sais / Je fis don à Wotan d'une fille104. »

Imposer des schémas théoriques à la nature (plus exactement les plaquer comme grilles de déchiffrage), est toujours possible, et somme toute, assez facile ; celle-ci peut se montrer généreuse et se plier à la volonté du savant, autrement dit, se laisser interpréter... Pas vraiment un viol, encore que ! Quelle importance d'ailleurs, puisque la nature finit toujours par se dérober, s'échapper par le silence, au moment même où la nécessité de comprendre devient plus impérieuse. Et la théorie manque alors du soutien nécessaire. L'inévitable affrontement entraîne sa ruine ; Wotan rencontre Siegfried, après la dérobade de Erda... Et la lance vole en éclats .



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