Erda ou le savoir



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1.6.Maître et disciple


Finalement Wotan fuit le Walhall, et n'y retourne qu'après sa chute ; attendant l'acte rédempteur dont il espère, peut-être, qu'il pourra le sauver.

Le savant créateur peut-il s'enfermer indéfiniment dans sa théorie ? Le moment du doute ne finit-il pas par nécessairement arriver66 ? Plus exactement, il arrive un moment, où le doute, accepté d'abord comme nécessaire à la réflexion rationnelle, et qui n'est que la reconnaissance de l'arbitraire des axiomes fondateurs67, se radicalise, devient une mise en cause interne, non seulement du système mais de sa finalité. Apparaissant peut-être au moment où, pour le créateur, les facultés créatrices s'amenuisent, le doute mine non seulement le système et l'œuvre créée, mais l'idée que l'individu a de lui-même. C'est alors que l'appel à l’autre, la recherche de l'autre devient un but en soi, comme un ultime recours devant l'inéluctable désintégration de l'être. Mais l'autre c'est celui qui doit occuper une place qui n'est pas encore libre, et que dans un sursaut d'orgueil, celui qui a appelé au secours ne veut plus quitter. Offrir à l'autre les moyens de continuer une œuvre, alors qu'il s'agit avant tout de la dépasser, donc, d'une certaine façon de la nier. C'est bien le drame du maître. Il veut l'élève respectueux de son œuvre, le tenir sous sa dépendance pour le former suivant le modèle qu'il a lui-même choisi et suivi, mais il rêve aussi pour lui de la même liberté que celle qu'il a toujours voulue pour lui. Une fois de plus, écoutons Wotan :

«...Un seul pourrait / ce qui m'est interdit /.../ celui qui contre le dieu / se battrait pour moi /.l'ennemi amical / où le trouverais-je? / comment créer l'homme libre / Comment créer l'autre / qui ne serait plus moi / et ferait de soi-même / ce que seul je veux.» (La Walkyrie, acte II, scène 2.)

Wotan, donc le maître, n'est pas dupe, il connaît, même s'il feint de croire encore à ses propres rêves, son fatal destin : dans le meilleur des cas, si l'élève continue à admirer son maître, ne cesse de reconnaître sa dette envers lui, il ne peut, en fin de compte qu'œuvrer à sa perte, en se substituant à lui, en faisant passer son œuvre au second plan - voire en la plongeant dans l'oubli - en imposant la sienne. Et le maître, malgré son désir de voir son élève aller plus loin que lui, se dresse pour tenter de rester le maître. Là réside la contradiction majeure qui fonde le complexe de Wotan.

Les rapports de Siegfried et Wotan sont, bien évidemment des caricatures, ou constituent le cas extrême des rapports qui peuvent réellement exister entre le maître et son disciple. Au cours de la deuxième scène du troisième acte de Siegfried, Wotan tente de se faire reconnaître du jeune héros, mais celui-ci fait mine de ne pas comprendre, et écrase le dieu de son mépris (voir l'appendice consacré au résumé du Ring). Les sentiments de Wotan, correspondent à ceux que pourrait avoir pour son disciple, un maître qui ressent cruellement l'ingratitude de son élève. Ceux de Siegfried sont plus difficiles à comprendre, si l'on n'imagine pas qu'il a hérité de certains pouvoirs magiques de son grand-père, et pressent que les intentions de celui-ci à son égard sont pour le moins ambiguës.

L'attitude des maîtres envers leurs élèves reflète bien cette ambiguïté. On y retrouve, sous de multiples formes ce mélange de volonté d'aider d'une part, et d'autre part, cette étrange propension à semer d'embûches le parcours de l'élève68. Les bonnes raisons, pour justifier les difficultés artificielles imposées à l'élève ne manquent pas ; il s'agit former le caractère, pour décourager ceux qui manquent de persévérance. Ces embûches doivent affermir la réflexion, apprendre la méfiance, contraindre l'élève à trouver son propre chemin, guider vers la création. Rien de tout cela n'est faux. Et pourtant ne s'agit-il pas de fausses raisons ? Le maître peut-il aussi facilement accepter d'être dépassé ? Sûrement pas, même si finalement, il agit contre son propre intérêt. A l'instar de Wotan brandissant sa lance devant Siegfried alors que peu de temps avant, il renvoyait brutalement Erda à son sommeil avec les mots (déjà cités) :

« C’est pourquoi, dors, /ferme les yeux : / vois ma fin en songe ! / Quoi que les autres fassent, / à l'éternellement jeune, / cède, ravi, le dieu.».

Autrement dit, on peut aussi voir, dans le comportement du maître, le désir semi-conscient de détruire, au moins d'éliminer un rival dangereux ; pour le moins, continuer à dominer, donc perpétuer son statut de maître69

Nous avons déjà vu avec quelle détermination Wotan programme sa chute, créant, depuis le début les conditions de la victoire - sur lui - de Siegfried. Mais à l'ultime instant, au moment où il brandit sa lance, il croit encore pouvoir briser l'épée, donc rester le maître :

«Si tu ne crains pas le feu / que ma lance te ferme la voie ! / Ma main tient toujours / le signe du pouvoir : / ce bois brisa jadis / l'épée que tu brandis : / qu'elle se brise encore / à la lance éternelle.» (Siegfried, Acte III, scène 2).

Dans la continuité de la volonté du dieu, on pourrait penser que celui-ci offre la victoire à Siegfried dans un combat qu'il a décidé de perdre, comme il avait décidé de laisser fuir Brünnhilde et Sieglinde, après la mort de Siegmund (fin du deuxième acte de La Walkyrie) ; mais le ton du dieu n'est pas celui d'un homme qui a décidé de céder !
*

C'est alors le moment d'évoquer l'attitude des deux fondateurs de la théorie quantique : Planck et Einstein70 ; tous deux ouvrent à la science moderne une voie royale, mais devant les conséquences mêmes de leurs géniales intuitions, s'écartent du travail accompli par les continuateurs de leur théorie. Bien que reconnaissant l'incomparable puissance de la nouvelle théorie, ni l'un ni l'autre ne participèrent vraiment à ses développements En particulier, Einstein ne cessa jamais de guerroyer cotre les principes de la théorie qu'ils jugeaient insuffisants pour exprimer la totalité de la réalité. Dans ces combats d'arrière-garde, l'illustre physicien fut toujours perdant71.

Il fallait, pour accepter, selon l'intuition commune - qui était celle de tous les physiciens à la fin du dix-neuvième siècle, renoncer à trois grands principes :

1. L'énergie est une grandeur continue, dont on peut donc considérer une quantité , aussi petite que l'on veut. Le nouvel axiome étant que l'énergie s'échange par paquet, les « quanta. »

2. Un objet (quantique) étant donné, il n'est pas possible de connaître, au cours d'une même mesure toutes ses propriétés.

3. L'axiome précédent a pour conséquence un indéterminisme fondamental qui est en contradiction avec le principe même de la démarche scientifique qui exige qu'un objet ou un phénomène ne dépende pas des conditions d'observation.





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