Erda ou le savoir



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1.15.La non-localité


Nous avons vu qu'une méthode pour éviter les paradoxes de la théorie quantique, consiste à renoncer au principe classique de localisation des phénomènes ; la fonction d'onde d'une paire de particules dans l'état singulet s'étale dans l'espace, si bien que la réduction en point de l'espace agit également, et instantanément en un autre point éloigné. Ce phénomène évoque, comme nous l'avons déjà vu, le don d'ubiquité de Wotan ; ne réagit-il pas sans délai lorsque Siegmund lève son épée pour abattre Hunding ? Certes, la fiction théâtrale peut se permettre - et finalement c'est une nécessité - de prendre ses aises avec les contraintes imposées par le temps et l'espace, mais cependant un minimum de réalisme et de cohérence doit être respecté au risque de voir l'œuvre sombrer dans l'insignifiance de la mauvaise fiction. Il est somme toute remarquable que le non-respect des contraintes de temps et d'espace n'entame pas la véracité des situations, contrairement à tout ce qui touche la psychologie des personnages. Ainsi, nous ne prêtons guère attention à l'invraisemblance de la première scène de L'Or du Rhin, où Albérich poursuit, dans le fleuve les filles gardiennes de l'or, mais l'inconséquence de ces trois sottes, qui, après avoir démontré au Nibelung qu'il était si laid qu'il ne devait rien espérer de l'amour, lui propose un marché qu'il serait vraiment stupide de ne pas accepter ! Quitte, à de toute manière, être privé des délices de l'amour, autant profiter tout de suite de la possession de l'or.

Mais il faut sans doute voir là le signe d'un destin implacable, qui choisi, avant tout acte ses élus, et accable les malchanceux, accumulant sur eux toute la misère du monde ; non seulement ils doivent supporter la misère, mais leurs actes eux-mêmes doivent engendrer la misère. Ils sont finalement comme ces animaux, qui, dans l'arène, permettent aux héros de lumière d'accomplir des actes valeureux. Jeu cruel des dieux qui inventent le mal pour que le bien puisse exister.

Dans un contexte quantique Albérich et Wotan forment manifestement une paire corrélée ; on peut parfaitement imagine qu'à un moment de la création mythique du monde, ils formaient une seule entité, en un temps in illo tempore164. Il existe une façon, conforme à la règle inviolée de la conservation de l'énergie, de faire naître l'univers de rien ; imaginer un univers double, l'un fait de matière, l'autre d'antimatière à énergie négative de sorte que globalement la somme des énergies soit nulle165.Ainsi le couple Albérich/Wotan né spontanément dans un univers ne connaissant ni le bien ni le mal, partent chacun de leur côté avec des déterminations opposées ; mais à partir de ce moment, tout ce qui arrive à l'un détermine nécessairement l'autre166.

Dans la mesure où rien ne peut physiquement expliquer - en terme compréhensible à l'intuition non théorique du monde - les corrélations qui existent entre particules indépendamment de la distance qui les séparent, rien ne s'oppose, à ce que des phénomènes du même genre ne soient invoqués pour expliquer des liens indépendants de la distance existant chez des individus ayant connu une longue interaction ; D'autant plus que les distances qui séparent les êtres ne sont jamais telles que les effets relativistes (vitesse finie de toute interaction) puissent se faire sentir. Non seulement la science n'a pas d'arguments valables à opposer à ceux qui tirent parti de son incapacité à expliquer dans ce domaine, mais les dérives philosophiques autour de ces thèmes encouragent au contraire les spéculations de ceux qui tentent de justifier des phénomènes dont l'existence est plus que douteuse (transmission de pensée, prémonition, connaissance d'événements dont on n'a pas été témoins...etc.).

Toujours est-il que ces incertitudes de la science rendent au moins acceptable les fictions théâtrales, et donnent, non seulement aux personnages, mais à leurs actes, une dimension réelle.

1.16.La nostalgie des origines


Elle est au cœur de l'homme sous deux formes ; Le regret du temps passé, qui est lié aussi, sans doute, à l'approche de la mort, et plus généralement à la misère de ressentir la décrépitude de l'être vieillissant. C'est peut-être aussi avec l’âge que naît la seconde forme : l'interrogation sur les origines. Cette nostalgie est celle du savoir en général, liée au sentiment de vivre dans un monde incompréhensible. Il y a une façon de surmonter ce trouble le plus souvent inconscient : dominer.

« Lorsque la joie d'amour / de ma jeunesse pâlit, / mon esprit aspira au pouvoir...» (La Walkyrie, acte II, scène 2.). Pour Wotan l'aspiration au pouvoir n'est pas distincte de la volonté de connaître. Dans cette simple phrase Wotan révèle finalement, ce qui est peut-être le ressort le plus profond de tous les êtres. L'amour, d'abord, avec ses deux composantes fondamentales :

- perpétuation de l'être dans sa descendance,

- union profonde avec l'Autre167.

Au cœur de l'homme, donc au cœur du savoir. Cette ardeur à connaître les origines, elle est également au cœur de l'interrogation scientifique. Mais grisé par les progrès dont il est l'artisan, le savant finit par se satisfaire du questionnement lui-même - peut-être après avoir frôler le désespoir d'avoir un moment compris que le but ultime était hors d'atteinte ? - et joue à être arrivé près du but168. Wotan ne s'interroge pas sur ses origines, au contraire, il semble fuir désespérément tout ce qui le lie à l'univers primordial. Par contre, Siegfried, qui plongé dès sa naissance dans un univers ;- celui de Mime - dont il ressent les dangers potentiels, ne cesse de s'interroger sur ses origines. Sans doute ses interrogations ne concernent que son père et sa mère ; mais, ses parents ne font que cristalliser un désir plus profond de connaître. Ainsi l'enfant sauvage, qui a pourtant bien décidé de ne faire confiance en rien à Mine qu'il soupçonne, à juste titre de ne pas l'avoir élevé d'une façon désintéressée, se laisse convaincre qu'il est désirable de connaître la peur169. Siegfried ne connaîtra pas la peur devant le dragon, mais bien en découvrant le corps de la Walkyrie endormie sous l'armure. Peur de la femme ? Non, peur de la connaissance elle-même ; simplement parce que la connaissance ouvre le monde de l'inconnu ; Passage du monde de l'enfance où le monde est naturellement mystérieux, à celui de l'adulte, où naît la passion de la connaissance, qui ouvrira pour certains le chemin de la gloire et de l'accomplissement et qui sera vécue pour l'immense majorité comme une malédiction, une passion malheureuse et désespérée ; d'autant plus que sur ce chemin, il n'y a pas de renoncement possible ; le peu que l'on acquiert ne fait qu'éclairer le désastre.

« Tu savais tout, / quand tu enfonças / le dard du savoir / dans le cœur audacieux de Wotan ...», jette avec rage Wotan à Erda. A l'instar des hommes, Wotan sait trop ou trop peu. Est-ce la triste solution trouvée par la nature pour atténuer en l'homme le regret de la vie, et lui faire, à l'instar de Wotan, désirer la fin :

« Je ne veux plus qu'une chose : / la fin, / la fin !».

Le sens de l'univers échappe à Wotan comme il échappe à tous ceux qui tentent d'en approcher le secret. Pour échapper à la malédiction, Wotan construit le Walhall, le religieux son église, et le savant, sa théorie ; mais dans tous les cas, l'essentiel reste au-dehors. Et le commencement ne peut trouver de fondement que dans la foi.



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