Un impact limité, malgré le renforcement de l'initiative
On semble assister à un certain essoufflement de l'initiative après l'effort de fin 2000. En mai 2001, les seuls bénéficiaires potentiels sont toujours les 22 pays ayant atteint leur point de décision en 2000.
La pleine application des mesures n'interviendra toutefois qu'aux points d'achèvement, à des dates variables, du premier semestre de 2001 (comme pour l'Ouganda, premier pays à avoir atteint le point d'achèvement au titre de l'initiative renforcée, ou pour le Mozambique, qui étaient déjà parmi les rares bénéficiaires de l'initiative initiale) à fin 2005 dans la meilleure hypothèse, pour certains pays, tels que la République démocratique du Congo.
Il est probable aujourd'hui que l'impact de l'initiative n'ira pas au delà de l'effet escompté sur ces 22 pays et aucune réflexion ne semble avoir été engagée sur l'élargissement de la liste des pays éligibles. Aucun élément nouveau n'a été apporté, par exemple, par la Conférence sur les PMA tenue en mai 2001.
L'impact de l'initiative PPTE restera donc modeste, puisqu'il ne correspondra qu'à l'annulation différée d'une partie (déterminée par l'appréciation du degré d'endettement tolérable) de la dette d'une partie des PPTE, dont l'encours n'est que d'environ 10 % de l'encours total de la dette des pays en développement.
Selon les données disponibles en avril 2001, la réduction de dette escomptée pour les 22 pays s'élevait à 20,3 millions de dollars en valeur actualisée et à 33,6 millions de dollars en valeur nominale, correspondant à la moitié environ de leur encours.
La réduction maximale escomptée, si d'autres PPTE étaient retenus, s'élèverait à 28,6 millions de dollars en valeur actualisée.
Limitée dans son impact global, l'initiative PPTE résoudra-t-elle le problème de la dette des pays bénéficiaires ? Rien n'est moins sûr.
Pour les pays bénéficiaires, les hypothèses optimistes de croissance du PIB et des exportations prises en compte dans le calcul du degré d'endettement tolérable, dignes de pays d'Asie du Sud-Est avant la crise, risquent de se heurter aux réalités du marché mondial et des structures économiques des pays concernés et de rendre insuffisants les allègements envisagés.
A titre d'exemple, le document d'analyse du cas du Cameroun par le FMI et la Banque mondiale, daté de mai 2000, prend en compte une croissance moyenne du PIB et des exportations de 6,2 % par an sur une période de 20 ans. Le document d'analyse du cas du Burkina Faso, daté de juin 2000, prend en compte une croissance moyenne du PIB de 6 % sur la même période et une croissance des exportations de 7,6 % par an de 2000 à 2007, puis de 5 % par an. Peu après, le rapport des deux institutions sur la mise en œuvre de l'initiative, de septembre 2000, soulignait le recul des prix de nombreuses matières premières et la hausse des prix des produits pétroliers, ayant entraîné des pertes majeures en 1999 et 2000 pour la moitié environ des PPTE.
Le rapport sur le financement du développement mondial 2001 reconnaît la baisse des prix des matières premières comme un risque majeur d'échec de l'initiative, aux côtés de la hausse des produits pétroliers.
Un rapport du Comité du développement d'avril 2001 porte un titre significatif : "le défi du maintien d'une dette supportable à long terme". Il reconnaît que l'initiative PPTE ne garantit pas la disparition de la question de la dette dans les pays bénéficiaires, en soulignant la vulnérabilité de ces pays aux chocs extérieurs.
Plusieurs PPTE ne sont pas susceptibles de bénéficier rapidement de l'initiative du fait de leur situation politique ou de conflit, ou de l'existence d'arriérés envers le FMI ou la Banque mondiale, par exemple le Soudan (encours de 17 milliards de dollars à fin 1999) et la République démocratique du Congo (encours de 12 milliards de dollars à fin 1999.L'engagement de réflexions sur l'assistance aux pays en situation post-conflits est peut-être l'indice d'une évolution. Mais ces réflexions se refusent pour le moment à considérer le développement des conflits en Afrique comme une conséquence de politiques économiques inadéquates et non comme un facteur exogène dans un monde de pure rationalité économique.
De nombreux autres pays pauvres sont exclus de l'initiative. Certains pays passés récemment dans la catégorie des pays très endettés à faibles revenus restent ainsi exclus de la liste des PPTE, toujours basée sur des données de fin 1993 : ainsi l'Indonésie (encours de 150 milliards de dollars à fin 1998), le Pakistan (encours de 32 milliards de dollars à fin 1998), et bien entendu le Nigeria (encours de 30 milliards de dollars à fin 1998), qui a constitué dès l'origine un cas litigieux.
Certains pays très pauvres sont exclus de l'initiative en raison de la faiblesse relative de leur endettement, ce qui peut être considéré comme inéquitable, particulièrement si l'on considère que le maintien d'un faible niveau d'endettement est pour certains de ces pays le fruit d'une gestion avisée.
Le Haut Conseil de la coopération internationale (HCCI) suggère à ce sujet de faire bénéficier de l'initiative l'ensemble des PMA et d'abandonner les critères de "soutenabilité" de la dette.
La responsabilité des citoyens
Face à cette situation, la responsabilité des citoyens des pays développés, soucieux de solidarité internationale, est considérable et les tâches à mener, directement ou par le biais de la représentation nationale, sont nombreuses.
Les analyses des organisations de solidarité internationale et les campagnes menées par celles-ci avaient joué un grand rôle dans le renforcement de l'initiative PPTE en 1999.
Il s'agit maintenant d'analyser le contenu réel des mesures prises au titre de l'initiative renforcée, sans se laisser abuser par les effets d'annonce et les changements de vocabulaire, de veiller à leur mise en œuvre effective et à la bonne utilisation des marges de manœuvre dégagées, tout en évitant l'ingérence, de mesurer leur impact sur les pays concernés et sur les populations les plus défavorisées, d'établir ou de maintenir des liens avec les organisations représentatives des bénéficiaires.
Il est également indispensable de montrer les limites de cette initiative face à l'ampleur des besoins des pays du sud, de poursuivre les demandes d'accélération et d'élargissement des mesures de traitement de la dette, d'en vérifier l'additionnalité par rapport à l'aide au développement, ce qui suppose transparence et objectivité dans la présentation des budgets, d'exiger l'accroissement et l'amélioration de l'aide internationale, indispensables à l'éradication de la pauvreté et au développement durable.
Il importera, à cette occasion, de recentrer le débat sur la dette et le financement du développement, en rappelant la responsabilité du Nord dans l'origine du surendettement et dans les réponses inadéquates données à la crise de la dette pendant plus de deux décennies.
Une première lecture des documents produits au titre de l'initiative PPTE ou de programmes d'ajustements structurels, selon leurs nouvelles dénominations (Cadres stratégique de lutte contre la pauvreté, Facilités pour la croissance et la réduction de la pauvreté, Prêts de soutien à la réduction de la pauvreté, lettres d'intention et mémorandums de politique économique) donne à penser que certaines évolutions, encourageantes pour la Banque mondiale, telles que le souci d'analyser la nature et les éléments déterminants de la pauvreté ou de mettre en évidence des dépenses contribuant à la réduction de la pauvreté dans les budgets nationaux, ne sont guère significatives pour le FMI.
Certaines ONG ont relevé de graves dysfonctionnements dans l'élaboration des Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté et un décalage majeur entre discours et réalité : rédaction par les représentants des institutions financières internationales, consultation sommaire de la "société civile", selon une définition et une représentativité parfois discutables, contribution souvent limitée à l'analyse de la pauvreté, sans discussion des politiques économiques, implication insuffisante des parlements nationaux.