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- Les économies émergentes : le besoin du financement public



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4- Les économies émergentes : le besoin du financement public

Le péché originel


Parmi les caractéristiques observées sur les marchés émergents, nous retenons celle du péché originel. “Une monnaie souffre du péché originel lorsqu’il est impossible de s’en servir pour emprunter à l’étranger, et même pour emprunter à long terme sur son marché national.” [R. Hausmann]. D'où le besoin, pour les investisseurs privés nationaux, d'obtenir des dollars pour financer les importations, et le besoin d’emprunts bancaires pour financer des projets à long terme. Le principal problème consiste à rendre compatible des emprunts en dollars et des flux de revenu en monnaie nationale, faisant intervenir le taux de change dans le calcul de la rentabilité. Pour le financement privé auprès des banques privées, il faut considérer le risque de l’inflation et du taux nominal d’intérêt.
En contrepartie, s’il y a financement public, ou si l’investissement est public, ces deux problèmes se posent différemment. Il y aura alors, la possibilité de socialisation d’éventuelles pertes liées à la dévaluation ou à l’inflation. Socialisation des coûts qui n’exclut pas, évidemment, la socialisation des bénéfices portés par ces mêmes projets. Je pense aux économies et aux déséconomies externes qui ne sont pas considérées dans le calcul privé.
Les causes du péché originel ? Un passé monétaire irresponsable, l’hyperinflation, disent certains. Pour d’autres, le risque souverain, celui qui découle de la possibilité d’emprunter à l’extérieur dans sa propre monnaie, en accumulant ainsi des dettes étrangères en monnaie nationale, pourrait conduire à la dévaluation pour accroître sa propre richesse ... S’il ne le fait pas c’est pour des raisons politiques, pour des engagements historiques. C’est le cas des Etats Unis, actuellement. Mas nous ne pouvons pas oublier qu’ils ont déjà fait d’importantes dévaluations dans un passé récent et que s'ils ne souscrivent pas d'emprunts à l'étranger, même en présence de gros déficits commerciaux, c'est tout simplement parce que le dollar est émis chez eux !
En plus du péché originel sur leurs monnaies, deux autres caractéristiques sont communes aux marchés émergents : la possibilité d’apparition de forts chocs exogènes, affectant les termes de l’échange, et la volatilité des mouvements de capitaux d’origine exogène.
En régime de change flottant, les pays émergents préfèrent se servir des taux d’intérêt que de la dévaluation pour absorber des chocs exogènes et la volatilité structurelle des taux de change, mais les taux d’intérêt y traduisent le risque-pays de manière amplifiée par rapport aux pays riches, et donc la dette étrangère leur revient plus chère !
S’ils font appel à une parité fixe, à l’ancrage sur une autre monnaie -le dollar-, ils sont exposés aux risque-soumission, c’est-à-dire à supporter les charges d’une politique monétaire qui va dans un sens contraire à leur intérêt particulier : c’est ce qui s’est passé avec les pays du Sud-est asiatique, ancrés sur le dollar en processus de valorisation depuis 1995, et c’est l'actuel problème de l’Argentine. Pour ne pas rejeter la soumission au dollar, l’Argentine vient d’adopter le double ancrage : au dollar et à l'euro, ce qui revient à abandonner toute possibilité d’avoir des avantages compensatoires en augmentant ses exportations vers l’Union Européenne au moment où le dollar sera dévalué.
En présence de monnaie portant un péché originel il y a un double choix. La dénationalisation des secteurs exigeant des investissements de long terme et un financement extérieur, ou le parapluie du financement public avec socialisation des coûts liés à la volatilité du taux de change et à l’inflation nationale.

La dénationalisation/privatisation


Mais la dénationalisation n’est pas une issue pour la croissance et le développement continu. On le voit au Brésil. C’est une voie illusoire qui conduit au divorce entre le choix des investissements et les besoins du pays (chemins de fer - routes et autoroutes) et qui privilégie le court terme. Elle entraîne également plusieurs autres goulots d’étranglement. Les prix, dits de marché, ne seront plus liés au pouvoir d’achat des consommateurs locaux, parce qu’il faudra rémunérer les propriétaires d’actions à l’étranger – cf. les problèmes d’énergie électrique au Brésil. Les fournisseurs locaux seront écartés, au profit des membres du trust ou de la chaîne de production, censés opérer avec des niveaux de productivité plus élevés ef – cf. la chaîne automotive dans le Tiers Monde. La technologie et le patrimoine productif et culturel (fonctionnaires, culture d’entreprise et sociale) du pays seront mis en stand by et progressivement détruits, en laissant la place aux technologies et aux habitudes des pays riches, siège et patrie des investisseurs étrangers – cf les télécommunications et les banques.
Bref, on constate que la dénationalisation reconduit le problème de la vulnérabilité de la balance des paiements, suffisamment étudiée par Prebish, par Celso Furtado et par l’école de la CEPAL. Parce que les agents étrangers opérant dans des marchés émergents continuent à s’endetter sur les marchés internationaux et en devises étrangères, leurs opérations privées font pression sur les transactions courantes lorsqu'ils placent les profits (qui devraient être réinvestis majoritairement dans le pays) à l’étranger. Ces profits enrichissent les citoyens de leur patrie et créent des paiements divers pour des services qui pourraient être acquis sur place. Finalement, de la culture locale ils n’adoptent que les salaires, toujours inférieurs à ceux payés chez eux, tout en faisant des licenciements à grand échelle (il faut accompagner le cas Santander au Brésil).

Le financement public


L’autre option est celle du financement public des investissements à long terme ou ayant besoin d’être financés à l’extérieur. C’est la voie qui a été adoptée par le Brésil à partir des années 30 et qui a permis de construire des secteurs stratégiques pour l’industrialisation : la sidérurgie, le pétrole et la pétrochimie, les infrastructures de transports, d’énergie et de télécommunications. Une voie qui a eu du succès, malgré les problèmes toujours liés aux taux de change et à l’inflation. Une voie qui a dû être interrompue par l’intervention du Fonds Monétaire International qui, depuis les années 1980, après la crise de l’endettement – généralisée – et le relèvement unilatéral et arbitraire du taux d’intérêt aux Etats Unis, a réussi à imposer chez nous son programme récessif et appauvrissant.
Quel a été le rôle du FMI dans l’interruption de cette voie vertueuse, chez nous ? Au moment où nous étions fragiles, devant une dette impayable – dont le service avait été multiplié par 4 en 6 ans, le solde et les amortissements étant multipliés par 3,5 dans la même période (1975-1981), tandis que les termes de l’échange chutaient de presque 30%, qu’a fait le FMI ? Devant le besoin de renégocier la dette étrangère, le Fonds Monétaire a inclus, parmi ses conditionnalités deux articles absolument stratégiques pour les finances internationales et pour les pays riches.

La destruction des secteurs de l'Etat et les conditionnalités du FMI


Premièrement, l’exigence de privatisations des secteurs d’infrastructure, pour “réduire le Coût Brésil” et permettre le changement de modèle vers une croissance soutenue par des exportations. Deuxièmement, l’inclusion des emprunts des entreprises de l'Etat dans le nouveau concept de déficit public : le besoin de financement/NFSP, qui interdirait, dorénavant des emprunts destinés aux services publics. C’était tout, pour commencer, et c’était suffisant pour faciliter la désarticulation du secteur de l'Etat, désarticulation qui nous conduirait, sans autre choix, à la première option - la dénationalisation des secteurs stratégiques pour la croissance et pour le bien être de la population.
Cette pratique, la défense de la privatisation/dénationalisation, figure parmi les pires caractéristiques des programmes imposés par le FMI dans des pays troublés par des problèmes d’inflation ou de dette étrangère. Récemment, un bulletin du Fonds, du 10 novembre 1997, disait, au sujet des problèmes des tigres asiatiques :
“Au sujet de la structure du capital des banques, il y a lieu de se demander s’il vaut mieux qu’elles soient sous contrôle public, privé ou étranger. Les banques publiques ont souvent obtenu des résultats médiocres... Il se peut que la privatisation soit la solution à adopter. Les banques sous contrôle étranger peuvent être une source de concurrence, d’expertise et de technologies nouvelles, mais elles peuvent réduire les risques systémiques, car elles ne sont en général pas aussi vulnérables que les établissements intérieurs aux problèmes de confiance et sont moins susceptibles de recourir au filet de sécurité officiel.” [FMI, 1997]
A l’heure actuelle, on constate que les programmes du FMI proposent le transfert des systèmes financiers nationaux aux banques étrangères et la destruction de la Sécurité officielle, de l'Etat, de la répartition et de la solidarité ! Ce qui accentuera nos problèmes économiques et sociaux, et renforcera la dépendance du Sud par rapport au Nord, dont l’expérience historique a démontré l’incapacité à promouvoir le développement économique et social, ainsi que la démocratie et la justice sociale.
Fan Gang, économiste chinois, a un point de vue différent. Après avoir reconnu l’importance de la crise asiatique pour annoncer des changements profonds en cours, “(une) crise qui nous a réveillés de cet état d’ignorance et de complaisance”, signale la direction des réformes sérieuses entreprises par la Chine :
“... veiller à la stabilité financière en limitant les engagements des banques en devises, et privatiser, privatiser, privatiser. (...) Quant aux grandes entreprises publiques, elles ont été, pour certaines, mises en Bourse sur les places locales, pour d’autres, associées à un partenaire étranger, qui détient l’expertise technologique ou leur offre de nouveaux débouchés sur les marchés à l’exportation.” [Entretiens]
Le contrôle du déficit public, nous le voulons tous, mais il ne peut pas être conduit en échange de la souveraineté nationale. De plus, nous n’acceptons pas que son coût soit porté exclusivement par les classes moyennes, par les fonctionnaires et par les populations pauvres et misérables de nos pays. Et nous rejetons l’idée que l’inflation brésilienne soit due exclusivement au déficit fiscal, et surtout qu’elle soit conséquence d’un excédent des dépenses publiques par rapports aux besoins du pays. Il y a de fortes corrélations entre la dette étrangère et le déficit financier de l’Etat, entre le déficit et les mouvements de capitaux, entre l’inflation et le déficit des transactions courantes. Il faut approfondir toutes ces relations.

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