I. 1. 1. L'analyse en "sommets"
Ce type d'analyse linguistique remonte aux travaux de Labov & Waletzky qui travaillent sur un large corpus de récits d'expériences personnelles (adolescents noirs américains) enregistrés en situation d'entretien sur le thème du danger de mort. À partir des productions obtenues, Labov & Waletzky définissent le récit comme une "méthode de récapitulation de l'expérience passée consistant à faire correspondre à une séquence d'événements (supposés) réels, une séquence parallèle de propositions verbales" (Labov & Waletzky, 1967:95, notre traduction1). Cette définition du récit implique la présence d'au moins deux propositions successives, temporellement ordonnées (récit minimal).
À partir des analyses des travaux réalisés, en collaboration avec Waletzky, Labov dégage une classification structurale propre au récit et valable pour tout locuteur et pour toute langue, dont les éléments constitutifs sont : le résumé, l'orientation, la complication, l'évaluation, la résolution et la coda. Le résumé sert d'introduction au récit. Il se compose d'énoncés qui résument l'histoire entière ou le résultat de l'histoire. Le deuxième élément est l'orientation qui donne des indications sur le temps, le lieu, les protagonistes ainsi que sur leurs activités ou situations. La complication et la résolution constituent le coeur même du récit. En cinquième position vient la coda qui sert à signaler la fin du récit. Enfin, le dernier élément, appelé évaluation, a pour objet de faire le point sur le récit : quel est l'intérêt de l'histoire racontée ? que faut-il penser des protagonistes ? des circonstances ? etc. ; les énoncés évaluatifs pouvant se situer à n'importe quel endroit de la narration.
En fait, Labov met en évidence deux fonctions distinctes du récit : la fonction évaluative et la fonction référentielle. La première rappelle aux auditeurs l'attitude du narrateur face aux événements qu'il rapporte, alors que la seconde concerne la construction d'unités narratives, dont le déroulement temporel correspond au déroulement des événements décrits.
Cette approche présente l'avantage d'envisager le récit dans ses dimensions interindividuelles et même socioculturelles. En effet, dans cette approche, le récit est important en ce qu'il représente un acte de communication, communication d'un événement jugé digne d'être raconté par celui qui l'a expérimenté, à l'adresse d'un auditoire, selon une rhétorique propre à une communauté linguistique mais aussi socioculturelle. De plus, cette approche considère le récit comme une activité, comme un exercice de mise en mots. C'est la première fois que des recherches dans ce domaine ne se contentent pas de formaliser le récit de manière rigide, bien que le découpage en six parties opéré par Labov rende compte de la plupart des récits, mais qu'elles se penchent également sur la syntaxe utilisée pour rapporter les événements.
À la suite des travaux de Labov & Waletzky, puis de Labov, beaucoup de recherches (Kemper, 1984 ; Kernan, 1977 ; Peterson & McCabe, 1983 ; Umiker-Sebeok, 1979) utilisent ce paradigme dans l'étude du développement de la compétence narrative chez l'enfant, et la plupart des résultats obtenus vont dans le sens de différences quantitatives mais également qualitatives en fonction de l'âge des sujets. Les jeunes enfants ne sont pas encore capables de produire des récits qui correspondent au modèle canonique de Labov, puis avec l'âge, ils acquièrent progressivement cette compétence. En effet, les recherches montrent entre autres, qu'il y a une nette augmentation des différents éléments constitutifs d'une histoire avec l'âge. Botvin & Sutton-Smith (1977) par exemple, stipulent que les enfants de 2 à 5 ans produisent des "frame stories", c'est-à-dire qu'ils ne mentionnent que le début et la fin de l'histoire sans référence à la phase de développement, tandis que les sujets de 6 ans et plus, produisent des "plot stories" dans lesquelles les trois principales phases d'une histoire apparaissent : début (introduction et complication), milieu (développement), et fin (résolution). Leurs résultats, confirmés par d'autres travaux, révèlent que ce n'est que vers l'âge de 6 ans que les enfants commencent à avoir une conception globale d'une histoire (Kemper, 1984 ; Peterson & McCabe, 1983). Avant d'atteindre ce stade, ils se bornent à décrire un événement après l'autre sans référence claire à un "sommet" (Berman & Slobin, 1994). Il en va de même pour ce qui est des éléments évaluatifs qui sont rares avant l'âge de 5 ans et qui ne se diversifient que plus tardivement (Kemper, 1984 ; Kernan, 1977 ; Umiker-Sebeok, 1979).
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