V. 1. 2. Aspect
En ce qui concerne le domaine de l'aspect, nous trouvons des définitions aussi nombreuses que variées dans la littérature. Dans notre travail, nous utilisons trois notions d'aspect que nous caractérisons de la manière suivante :
V. 1. 2. 1. Aspect grammatical
Nous empruntons la formulation de Hickmann & Roland (1992) à propos du marquage de l'aspect pour définir cette première notion d'aspect :
"le marquage de l'aspect indique des perspectives différentes par rapport à la structure temporelle de la situation. L'aspect imperfectif marque une perspective "interne", permettant au locuteur de se placer à l'intérieur de la situation et de prendre en compte sa structure temporelle. Par contre, l'aspect perfectif permet au locuteur d'adopter une perspective "externe" et de présenter la situation comme un point, une fois que celle-ci s'est arrêtée ou s'est terminée, et sans prendre en compte sa structure temporelle" (Hickmann & Roland, 1992:1/2).
Un événement exprimé par un verbe peut donc être considéré par le locuteur de deux façons : de l'extérieur comme accompli (aspect perfectif) ou au contraire de l'intérieur comme non accompli (aspect imperfectif). Cette variation signifiante du verbe, liée à un choix du locuteur, et à ce titre subjective, est marquée par des inflexions verbales sur le verbe. C'est ce phénomène que nous qualifions d'aspect grammatical.
V. 1. 2. 2. "Aktionsart"
Schlyter (1989) définit les "aktionsarten comme des propriétés temporelles inhérentes aux situations, reliées à la sémantique lexicale d'un verbe" (Schlyter, 1989:2, notre traduction53). Dans notre travail, nous empruntons donc le terme d'"aktionsart" pour nous référer aux propriétés temporelles inhérentes des verbes. Cet aspect constitue une qualité sémantique invariante du verbe et peut être dit "objectif", (Confais, 1990) dans le sens où le locuteur n'a aucun moyen de le modifier. Si l'on prend l'exemple du verbe dormir, nous avons affaire à un verbe d'état, ce qui implique une certaine durée, et ce, quel que soit le temps grammatical qui lui est assigné ou le contexte linguistique qui l'entoure. Le verbe arriver par contre, représente une action ponctuelle. En fait, il existe un grand nombre de caractéristiques temporelles inhérentes aux verbes, telles que la durée, la ponctualité, la répétition, etc.
V. 1. 2. 3. Aspect lexical
Il existe un troisième phénomène que l'on peut considérer comme un phénomène aspectuel. Il s'agit du découpage d'un événement en phases et la focalisation sur une portion déterminée du déroulement d'un événement. Ce découpage peut être réalisé grâce à des outils différents dont l'éventail est plus ou moins large selon la langue utilisée, comme les adverbes ou verbes aspectuels par exemple. Cosériu (1976) parle de phases "qui ont affaire avec une relation entre le moment d'observation et le degré de développement du processus verbal considéré" (Cosériu, 1976:103, notre traduction54). Ce même Cosériu distingue sept phases dans un événement :
- la première phase est une focalisation sur l'espace temporel restreint qui précède le début de l'événement (aspect imminent). Les langues disposent de formes différentes pour encoder cette première phase. En espagnol, les locuteurs utilisent par exemple le verbe estar (être) avec la préposition por, en français la forme aller + infinitif et/ou l'adverbe bientôt, les expressions s'apprêter à + infinitif, être sur le point de + infinitif.
(9) il va bientôt manger
- l'utilisation de l'aspect inchoatif permet de souligner le début d'un événement. Ce marquage aspectuel se réalise par l'emploi de verbes temporo-aspectuels comme dans l'exemple suivant :
(10) il commence à manger
- l'aspect progressif permet de décrire un événement pendant qu'il se déroule. Son utilisation reflète une perspective interne. Pour cet aspect, les locuteurs francophones disposent d'un verbe temporo-aspectuel (être en train de).
(11) il est en train de manger
- dans la quatrième phase, le locuteur se focalise sur le caractère continuatif de l'événement décrit. Pour ce faire, un locuteur francophone peut utiliser par exemple le verbe temporo-aspectuel continuer à (12) ou des adverbes comme encore ou toujours (13). De plus, en ce qui concerne l'expression de ce type d'aspect, Slobin & Bocaz (1988) et Berman & Slobin (1994) montrent, que les jeunes enfants emploient la simple répétition du verbe dans deux clauses successives (14).
(12) il continue à manger
(13) il mange toujours
(14) il mange, mange
- l'aspect régressif est utilisé pour indiquer une attention particulière portée à la fin imminente d'un événement.
(15) il est sur le point de finir de manger
- la phase conclusive concerne la fin d'un événement. Pour l'exprimer, on trouve en français des verbes tels que terminer de + infinitif, finir de + infinitif.
(16) il termine de manger
- enfin, le septième type d'aspect est une focalisation de l'attention sur le caractère achevé de l'événement encodé.
(17) il vient de manger
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