Les affects.
Philosophie et psychanalyse.
Science et psychanalyse.
L’étudiant et le prolétaire.
167- [La faculté de droit de la rue Saint-Jacques étant fermée, un échange a lieu avec un nombre réduit de participants, sur les marches du Panthéon. Plusieurs questions, inaudibles dans l’enregistrement, manquent.]
J’aimerais bien avoir des explications sur l’opération désobligeante qui nous amène ici. Pour l’heure, j’attends que l’on me pose des questions.
X : [Sur la dialectique de Hegel.]
Je me suis aperçu ces jours-ci que les fonctions du maître et de l’esclave, extraites du discours de Hegel, j’en avais déjà parlé très précisément, et même plus encore que je ne le fais maintenant.
Je ne donne jamais que des choses qui me viennent en avant, et c’était donc déjà supposé pour moi. Mais ce n’est pas la même chose que d’aller recontrôler sur le texte de mon séminaire, qui est toujours pris en sténographie, comme vous le savez.
En novembre 1962, lorsque j’ai commencé à Sainte-Anne mon séminaire sur l’angoisse, et, je crois, dès le deuxième séminaire, j’ai mis au point, d’une façon extrêmement précise, quelque chose qui est, en somme, identique à ce que je développe maintenant du discours du maître. J’ai indiqué comment se distinguent les positions du maître et de l’esclave, instaurées dans la Phénoménologie de l’esprit. C’est le point de départ de Kojève, et il a toujours éludé ce qu’il y a d’antérieur à leur avènement — mais ce n est pas là-dessus que je mets l’accent.
168- Ce que je me trouve développer à présent sous le titre du discours du maître motivait déjà la façon dont j’ai abordé l’angoisse.
Quelqu’un dont je n’ai pas à qualifier les intentions fait tout un rapport, qui sortira dans deux jours, pour dénoncer dans une note la mise au second plan, ou la mise au rancart, par moi, de l’affect. C’est un tort que de croire que je néglige l’affect — comme si déjà leur comportement a tous ne suffisait pas à m’affecter. Tout mon séminaire de cette année-là est au contraire articulé autour de l’angoisse, en tant que c’est l’affect central, celui autour de quoi tout s’ordonne. Puisque j’ai pu amener l’angoisse en tant qu’affect fondamental, c’est tout de même bien que déjà, depuis un couffe, je n’avais pas négligé l’affect.
J’ai simplement donné toute son importance, dans le déterminisme de la Verneinung, à ce que Freud dit expressément, que ce n’est pas l’affect qui est refoulé. Freud recourt à ce fameux Repräsentanz que je traduis par représentant de la représentation, et que d’autres, et d’ailleurs pas pour rien, s’obstinent à appeler représentant-représentatif ce qui ne veut absolument pas dire la même chose. Dans un cas, le représentant n’est pas la représentation, dans l’autre cas, le représentant n’est qu’une représentation parmi d’autres. Ces traductions diffèrent radicalement. Ce que je traduis comporte que l’affect, par le fait du refoulement, est effectivement déplacé, non identifié, non repéré dans ses racines — il se dérobe.
C’est ce qui constitue l’essentiel du refoulement. Ce n’est pas que l’affect soit supprimé, c’est qu’il soit déplacé, et méconnaissable.
X : [Sur les rapports de l’existentialisme et du structuralisme.]
Oui, comme si la pensée existentielle était la seule garantie d’un recours à l’affect.
X : — Que pensez-vous des rapports qu’il y a entre vous et Kierkegaard à propos de l’angoisse?
On n’imagine pas encore à quel point on m’attribue de la pensée. Il suffit que je parle de quelqu’un pour que je sois considéré comme condescendant. C’est le vertige universitaire type. Pourquoi en effet n’aurais-je pas parlé de Kierkegaard ? Il est clair que si je mets tout cet accent sur
169- l’angoisse dans l’économie, car il s’agit d’économie, ce n’est évidemment pas pour négliger ceci, qu’à un moment donné, il y a eu quelqu’un pour représenter la sortie, l’avènement, non pas de l’angoisse, mais du concept de l’angoisse, comme Kierkegaard lui-même intitule expressément un de ses ouvrages. Ce n’est pas pour rien qu’historiquement, ce concept est sorti à un certain moment. C’est ce que je comptais vous exposer ce matin.
Ce rapprochement avec Kierkegaard, je ne suis pas le seul à le faire. J’ai reçu hier un livre de Manuel de Dieguez. Eh bien, il en raconte sur moi, tant et plus. Comme j’avais mon truc à préparer pour vous, et que tout se fait au dernier moment ce que j‘ai à vous dire ne se met jamais au point que dans les dernières heures, tout ce que j’écris et vous raconte est en général noté entre cinq heures du matin et onze heures —, je n’ai pas eu le temps de m’orienter dans ce grand remue-ménage où on m’insère, non seulement à partir de Kierkegaard, mais d’Occam et de Gorgias. Tout y est, et aussi d’énormes morceaux de ce que je raconte. C’est assez exceptionnel, parce que sans me citer, la moitié du livre s’appelle Lacan et la psychanalyse — je vous le donne en mille — transcendantale. Lisez ça. Cela me paraît à moi assez accablant. Je ne me croyais pas si transcendantal, mais enfin, on ne sait jamais très bien. Un type me disait autrefois, à propos des livres qui paraissaient sur lui — Ah, nous en avons des idées, mon cher, nous en avons. Passons.
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