Fluoptics : Rendre les tumeurs fluorescentes
Aider le geste du chirurgien lors de l'ablation d'une tumeur en colorant les cellules malignes : devant l'intérêt de santé publique de cette idée, le ministère de la Recherche et de l'Industrie n'a pas hésité à désigner en juin dernier les porteurs du projet Fluoptics comme lauréats de son concours national d'aide à la création d'entreprises innovantes. À la clé : une enveloppe de 450 000 euros pour financer le lancement de leur start-up. Trois mois plus tôt, leur technologie recevait aussi une reconnaissance à l'échelle européenne en remportant le 1er prix des Espoirs Innovact. Fruit d'une étroite collaboration entre des chercheurs du CEA-Léti, de l'université Joseph Fourier et du CNRS, dont ceux du Département de chimie moléculaire (DCM) (CNRS Université Grenoble 1) à Grenoble, Fluoptics proposera une solution complète d'imagerie aux chirurgiens. Alors que les méthodes actuelles de détection des cancers nécessitent l'injection dans l'organisme de molécules radioactives, Fluoptics s'appuie sur des marqueurs fluorescents brevetés, capables de cibler les cellules cancéreuses dites « angiogéniques » (L'angiogenèse est le mécanisme de création de nouveaux vaisseaux sanguins, indispensable au développement des tumeurs). Des marqueurs qui se révèlent moins coûteux, moins contraignants et sans effets secondaires… « Nous avons allié deux innovations développées indépendamment : ces biomarqueurs et un instrument optique portable émanant du CEA pour visualiser les zones pathogènes », explique Odile Allard, porteuse du projet. Le principe des deux prototypes utilisés en tests précliniques en laboratoire est simple : le traceur fluorescent est injecté par voie intraveineuse la veille de l'opération. Lors de l'opération, une caméra éclaire par infrarouge la zone opérée et capte la lumière fluorescente émise en réponse par les marqueurs fixés aux tumeurs. Résultat, le chirurgien visualise l'extension tumorale dès le début de son acte et s'assure ensuite que l'ablation a été complète. Déjà incubée chez Grain depuis l'été 2007 et chez EM-Lyon depuis avril 2008, la start-up Fluoptics verra le jour d'ici à l'automne. Prochaine étape : « Fabriquer et industrialiser notre technologie », indique Odile Allard.
Aude Olivier
Contact : Odile Allard, odile.allard@cegetel.net
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Deinove : Des bactéries de choc pour les futurs biocarburants
Produire des biocarburants de « deuxième génération » à partir de déchets de biomasse agricoles ou forestiers, tout le monde y pense. Car ceux de « première génération » – comme le bioéthanol, obtenu par fermentation de la canne à sucre par la levure de bière (Saccharomyces cerevisiae) – sont montrés du doigt pour la pression qu'ils exercent sur les ressources alimentaires (lire dossier). Mais il faudrait pour cela dégrader d'autres sucres que ceux (glucose, saccharose) utilisés par Saccharomyces. C'est ce que pourra peut-être bientôt faire une autre famille de superbactéries, les déinocoques, grâce aux travaux de la start-up Deinove. L'atout de Deinococcus radiodurans ? Elle peut résister aux rayonnements ionisants, aux UV, aux solvants, à la sécheresse… « Elle répare très efficacement son ADN endommagé par des radiations. Cette propriété rend l'insertion de gènes dans son génome plus performante, par exemple des gènes d'enzymes qui nous intéressent pour la dégradation ou la fermentation des sucres. Et certaines supportent de hautes températures, ce qui permet de dépenser moins d'énergie pour refroidir les cuves lors de la fermentation en conditions industrielles », souligne Jean-Paul Léonetti, du Centre d'études d'agents pathogènes et biotechnologies pour la santé (CPBS) (Centre CNRS Universités de Montpellier 1et 2) de Montpellier. Au départ, c'est l'équipe de l'académicien des sciences Miroslav Radman (université Paris-V-hôpital Necker) qui a effectué des travaux très poussés sur la réparation de l'ADN chez les déinocoques. Leur rencontre avec Truffle, une entreprise de capital-risque, a permis la création il y a deux ans de Deinove, à laquelle se sont associés le CNRS et l'Insa de Toulouse à travers le Critt Bio-Industries. « Deux brevets ont été déposés, précise Jacques Biton, directeur général de Deinove. L'un pour produire des biocarburants et l'autre pour de futures applications médicales. Et d'ici deux ans et demi, nous souhaitons mettre en place avec un partenaire industriel un fermenteur pilote de 5 m3 pour les biocarburants. » Dernière étape en date : la création en mai du Deinolab, un laboratoire coopératif Deinove-CNRS à Montpellier. Une convention passée avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) permettra de récupérer partout en France des souches de deinocoques dans les sources d'eau chaude que cette bactérie affectionne. « Nous allons les tester sur leur capacité à assimiler des sucres et leur résistance aux solvants… puis faire séquencer leur génome au Génoscope à Évry et les modifier en conséquence dans le laboratoire de Miroslav Radman », explique Jean-Paul Léonetti. Autour des déinocoques et des futurs biocarburants, la mobilisation est générale.
Jean-François Haït
Contact
Jacques Biton, jacques.biton@deinove.com
Jean-Paul Léonetti, jean-paul.leonetti@univ-montp1.fr
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Automobile : la fin de l'âge d'or ?
Mathieu Flonneau, agrégé et docteur en histoire, maître de conférences à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre d'histoire sociale du XXe siècle
Le Journal du CNRS : Il y a 100 ans environ, les premières automobiles faisaient leur apparition à Paris. Le début d'un véritable engouement toujours d'actualité, comme s'apprête à le prouver le Mondial de l'automobile (du 4 au 19 octobre) où plus d'un million de visiteurs sont attendus. Comment ce succès s'est-il forgé ?
Mathieu Flonneau : L'Automobile Club de France a été créé dès 1895, et en 1898 a eu lieu le premier Salon de l'automobile à Paris. Dès 1900, les paysages urbains que l'on connaît aujourd'hui ont été dessinés spécialement pour la voiture et ce, de façon universelle. En 1907 par exemple, Paris installe son premier sens giratoire pour réguler le trafic. Bientôt, la vitesse automobile détermine l'efficacité et le succès des transports publics, bus et métros. Les usages de la voiture se démocratisent donc presque instantanément, tandis que sa possession en propre prend plus de temps. C'est la première grande période, l'âge d'or de l'automobile dans le siècle. La véritable révolution démocratique, elle, aura bien lieu… mais aux États-Unis. Avec la Ford T, centenaire cette année, les Américains inventent l'automobile de masse et dament le pion aux Français. Nous ne rattraperons jamais plus notre retard… Les États-Unis deviennent le pays de la voiture. Un deuxième âge s'ouvre alors entre 1914 et le milieu des années 1960 : une période d'adhésion et d'aspiration massives à l'automobile. Partout on assiste à sa généralisation, à sa banalisation. Le monde entier y voit un grand progrès.
Journal : Avec cette démocratisation, n'est-ce pas la mort de la magie, l'épuisement du romantisme ?
M.F. : Non, au contraire. La voiture fascine plus que jamais. Et on se l'approprie désormais tout autant comme objet de liberté ou de contestation. C'est le début de la troisième grande période, que l'on peut situer entre 1968 et la crise économique des années 1970. C'est une époque de contestation idéologique qui accompagne les crises du pétrole et de la société de consommation. D'ailleurs, c'est à ce moment qu'on brûle les premières voitures, synonymes du confort bourgeois de Papa. Ceci dit, il ne faut pas surestimer la portée de ces actes qui sont surtout le fruit des jeunes gens aisés du quartier Latin. Et qui horrifient la classe ouvrière. Aux États-Unis aussi, les autoroutes urbaines sont remises en question et certains chantiers sont annulés. Ce troisième âge de subversion-fascination s'efface devant le quatrième volet de la saga de l'automobilisme, au début des années 1990.
Journal : C'est le début d'une contre-révolution automobile dans les centres-villes occidentaux et le triomphe de l'environnementalisme…
M.F. : Oui, l'équipement automobile moyen des foyers en centre-ville, à Paris par exemple, est désormais de 50 % contre 80 % en périphérie et en zone rurale. Les temps ont changé : les voitures ne sont plus produites en ville et les anciennes usines qui ont fait la fierté et le renom de Paris ont fermé (Javel pour Citroën, Boulogne-Billancourt pour Renault). En cette fin de siècle, la mixité des espaces publics l'a emporté avec notamment la fermeture des voies sur berges le dimanche. Bien sûr, c'est un âge principalement occidental de reconquête de l'espace public. Ailleurs dans le monde, sur les autres continents en Chine, en Inde, en Amérique du Sud ou en Afrique, l'automobile reste une aspiration profonde.
Journal : Pourtant, l'automobile continue à déchaîner les passions, comme si la réalité écologique ne pouvait effacer le mythe ?
M.F. : Les artistes ont depuis toujours été exaltés par la voiture et son art de vivre : Proust, Sagan, Nimier, César mais aussi Lalique. Elle a été et reste un objet culte. Les grands carrossiers et selliers s'en emparent dès ses débuts. L'Amérique lui consacre un genre cinématographique : le road movie. L'objet de série se sacralise dans l'art, jusqu'à en devenir une icône. Roland Barthes compare la DS Citroën à une cathédrale : conçue par et pour le peuple, en rassemblant tous les savoir-faire de l'époque, suscitant dévotion et héroïsme. Ce rapport au sacré, c'est parce que la mort aussi est en jeu… Avec James Dean et Grace Kelly, des destins fauchés sur la route entrent dans la légende. Mais la voiture est surtout le fidèle reflet de l'évolution des tabous et libérations de la société au fil des décennies. L'alcool au volant, alors toléré, est aujourd'hui inacceptable. Tout doucement, la voiture libre-arbitre et fantaisie devient une servitude (embouteillages, accidents, grégarisation, limitations de vitesse…). Aujourd'hui, on se trouve à la croisée de chemins. La Chine, comme d'autres pays, n'en est encore qu'au deuxième âge de l'automobilisme et va sans doute accéder aux premières voitures non polluantes de la planète. Sans nécessairement passer par la case contestation…
Propos recueillis par Camille Lamotte
Contact : Mathieu Flonneau, mathieu.flonneau@univ-paris1.fr
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