Comment évaluer l'usure du combustible dans les centrales nucléaires ? Des chercheurs ont trouvé une alternative à la procédure actuelle très lourde, grâce à un système simple à base de capteurs acoustiques. C'est une trouvaille qui risque de changer le quotidien dans les centrales nucléaires : des chercheurs viennent de mettre au point une technique beaucoup plus pratique que le procédé utilisé aujourd'hui pour évaluer l'état de tel ou tel « crayon combustible », la structure formée du combustible à base d'uranium placé dans un tube hermétique, la « gaine ». Au cours de l'irradiation du combustible, il se crée des gaz radioactifs qui augmentent la pression à l'intérieur de la gaine. Mesurer cette pression est cruciale car avec elle, le personnel d'EDF peut caractériser l'état d'avancement de la réaction nucléaire et donc le degré d'usure du combustible. Ce qui permet notamment d'optimiser la politique de rechargement du combustible. Or aujourd'hui, le seul moyen de mesurer la pression dans un crayon combustible est d'extraire un crayon de la centrale, de l'acheminer à un laboratoire blindé du CEA, de l'ouvrir et d'analyser les gaz. Une démarche fastidieuse qui prend du temps (jusqu'à plusieurs semaines) et coûte… pas moins de 150 à 200 000 euros ! Les travaux de Gérard Lévèque, Jean-Yves Ferrandis, ingénieur de recherche CNRS, et de leur équipe « Micro Rhéo Acoustique » (Mira) de l'Institut d'électronique du Sud (IES) (Institut CNRS Université Montpellier 2)risquent de changer la donne : « Nous avons mis au point une technique qui permet d'effectuer les mesures de manière non destructive et in situ, à savoir sur site dans la piscine où sont stockés les assemblages combustibles (Assemblages de 264 crayons combustibles), indique Jean-Yves Ferrandis. Il s'agit d'une technologie basée sur des capteurs acoustiques. Plus concrètement, c'est un petit boîtier de 2 cm sur 2 cm, doté d'une partie cylindrique qui se pose à l'extérieur du crayon. C'est cette dernière qui comporte le fameux capteur acoustique. » Comment ça marche ? « Le capteur émet une onde sonore qui met en mouvement les molécules du gaz contenu dans le crayon. Un traitement de signal adéquat analyse ensuite la vitesse de propagation et l'amplitude des ondes dans le crayon. À partir de la vitesse, on peut remonter à la composition du mélange gazeux dans le crayon ; et à partir de l'amplitude, à la pression », explique Jean-Yves Ferrandis. Son équipe et lui planchent sur ce projet depuis plus de dix ans. Leurs travaux ont conduit à la soutenance de trois thèses ; la dernière étant celle d'Éric Rosenkrantz, financée par EDF Recherche & développement.
Pour tester leur invention brevetée en 2007, les Montpelliérains ont tout d'abord mené des mesures en laboratoire sur des « crayons de simulation », formés de la même gaine que les crayons de centrale nucléaire et contenant des gaz identiques, à la différence près que ces derniers ne sont pas radioactifs. Puis en mars 2008, ils ont effectué une première mesure réelle sur un « vrai » crayon combustible nucléaire issu d'un réacteur EDF. « Pour nous protéger des radiations émises par ce dernier, nous avons dû faire les mesures à distance avec des bras télémanipulables et dans une “cellule blindée” de l'installation Leca-star du CEA, précise Jean-Yves Ferrandis. Nous avons ensuite confronté nos résultats à ceux obtenus par perçage du crayon. Et ils se sont avérés concordants ! » La prochaine étape, celle de la « pré-industrialisation », visant à réaliser un prototype dédié à une application en centrale de production d'électricité, consistera à effectuer des mesures sur des crayons dans une piscine d'une centrale EDF. « La durée de ces travaux va dépendre de la disponibilité de nos partenaires, essentiellement d'EDF ; mais nous espérons avoir des premiers résultats dans l'année qui vient », termine l'ingénieur CNRS.
Toute la chaîne alimentaire de la région arctique dépend de l'un de ses premiers maillons : le zooplancton. En octobre, des chercheurs retournent étudier son évolution due aux variations climatiques. Dans quelques semaines, Stéphane Gasparini, au Laboratoire d'océanographie de Villefranche (LOV) (Laboratoire CNRS Université Paris 6), quittera la douceur automnale du Midi. Destination : la base polaire internationale de Ny-Alesund, située au fond d'un fjord de l'île Spitzberg, à 500 kilomètres à l'est du Groenland. Objectif : étudier, dans le cadre du projet Praceal de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (Ipev) coordonné par le LOV, le régime alimentaire, à l'approche de l'hiver, de minuscules crustacés, les copépodes, qui composent la majeure partie du zooplancton. L'enjeu est d'importance. Car des habitudes du zooplancton dépend le sort de toute la chaîne alimentaire arctique, jusqu'aux colonies d'oiseaux, aux phoques et aux ours blancs. Or, c'est désormais une certitude, le réchauffement climatique perturbe grandement les fragiles équilibres de cette région inhospitalière. Pour quantifier les évolutions en cours, le programme Praceal s'est donc donné pour objectif de déterminer précisément le rôle du plancton dans le rendement énergétique de la chaîne alimentaire, en fonction de la variabilité spatiale, de la structure et du fonctionnement des populations de minuscules organismes qui le composent. « Les conditions d'échantillonnage sont parfois difficiles », confie Stéphane Gasparini. De fait, avant d'examiner son précieux butin sous toutes les coutures, dans le confort du laboratoire local, ce biologiste marin devra aller à la pêche. « Celle-ci se pratique à bord d'un petit bateau, avec un filet à plancton semblable à une sorte de grand filet à papillon actionné par un treuil. La température est largement au-dessous de zéro. Au moindre coup de vent, le filet peut geler ! De plus, sa manipulation est rendue difficile par une lourde combinaison de survie et des gants épais nous protégeant d'une eau proche de zéro degré. » Glacial, mais… idéal. Comme le détaille Patrick Mayzaud, coordinateur du programme Praceal, « l'île Spitzberg se trouve sur la zone de retournement du Gulf Stream, là où les eaux atlantiques chaudes et les eaux arctiques froides, et leurs communautés respectives, se rencontrent et se mélangent. » Ainsi, les années froides, ce qui correspond au contexte arctique que l'on connaît depuis des décennies, la zone de transition se trouve au sud du Spitzberg. Et les années chaudes, comme il commence à y en avoir de plus en plus, elle est renvoyée au nord de l'archipel. « Les années froides, le fjord est encore couvert de glace au mois de juin, indique le scientifique. Alors que les années chaudes, comme il y en a eu ces trois dernières saisons, on pourrait presque nager dans l'eau du fjord toute l'année ! » Or ces différences ont des conséquences notables sur la faune arctique. Ainsi, les années normalement froides se caractérisent à l'arrivée du printemps par d'intenses « blooms » planctoniques, autrement dit par des proliférations d'algues planctoniques. Cette matière organique se « propage » ensuite via un écosystème planctonique peu diversifié, notamment de grands copépodes, jusqu'aux prédateurs terminaux que sont la morue arctique, le capelan, le phoque et plusieurs espèces d'oiseaux. Inversement, les années chaudes voient affluer des espèces de copépodes plus petits en provenance de l'Atlantique. « Le paradoxe, détaille Patrick Mayzaud, c'est un accroissement de la biodiversité. Mais des spécimens dont la valeur énergétique, parce qu'ils n'ont pas les stocks de graisses des espèces arctiques, est plus faible. Ces modifications favorisent des espèces tels le maquereau, le capelan ou la morue atlantique. En ce sens, ce n'est pas mauvais pour les pêcheurs locaux ! Mais les conséquences sont délétères pour les oiseaux, dont on voit des colonies disparaître, et dans une moindre mesure pour la morue arctique, qui migre encore plus au nord. En tout état de cause, l'écosystème arctique tel qu'on le connaît est en train de disparaître. » Le programme Praceal a débuté en 2006 et durera jusqu'en 2009. « Nous avons séjourné les deux mois d'été au Spitzberg en 2006 et sept mois en 2007. En 2008, nous y serons allés quatre fois », détaille Patrick Mayzaud. « L'idée est d'avoir une bonne couverture des cycles annuels, poursuit Stéphane Gasparini. Nous avons déjà beaucoup de données sur ce qui se passe au printemps. Mais on sait beaucoup moins ce qui se passe juste avant l'hiver, au moment où la constitution des réserves énergétiques est cruciale. D'où cette mission en octobre. » Au terme du programme, les chercheurs espèrent pouvoir utiliser leurs résultats pour faire tourner des modèles mathématiques d'évolution de l'écosystème arctique. « L'idée est de prédire le devenir de la faune locale en fonction des différents scénarios climatiques », indique Patrick Mayzaud. Mais avant que ne parle la boule de cristal numérique, plusieurs séjours les mains dans l'eau glacée du fjord seront encore nécessaires.